Le document date de mars 2013. Il reprend l'intervention de Jean-Marc Sauvé, alors vice-président du Conseil d'État et ancien secrétaire général du gouvernement (1995-2006), devant les élèves de l'ENA. Ce haut fonctionnaire très respecté délivre un cours magistral sur la déontologie des hauts fonctionnaires et propose ses conseils pour servir l'État sans faire preuve de « soumission, ni renoncer à présenter des mises en garde ou des objections au regard de la bonne administration, de l'efficacité des politiques ou de respect de la règle du droit ». Évidemment, l'expérience de Jean-Marc Sauvé, qui a travaillé pendant onze ans avec deux présidents de la République et quatre Premiers ministres de couleurs politiques différentes, est relue à l'aune d'une possible bascule vers un pouvoir exercé, demain, par le Rassemblement national. Beaucoup de hauts fonctionnaires lisent cette note ainsi que d'actuels ministres, notamment Stanislas Guérini, chargé de la Transformation et de la Fonction publiques.
Déontologie pour temps de crise
Dans un long paragraphe, Jean-Marc Sauvé évoque les « périodes noires où une telle réflexion a été singulièrement défaillante » : « Ce qui en temps normal relève du dysfonctionnement de la fonction publique peut devenir en temps de crise une implacable machine de démantèlement de l'État de droit et d'accomplissement d'une volonté politique funeste.» Avec dix ans d'avance, le haut fonctionnaire décrit donc les ressorts et les conditions d'une déontologie adaptée au temps de crise. S'il fait bien la différence entre légitimité démocratique du politique et légitimité méritocratique du fonctionnaire, Sauvé estime que l'agent public doit manifester à l'égard du pouvoir politique sa « loyauté parce que le pouvoir est d'essence démocratique ».
Mais, ajoute-t-il, le fonctionnaire « n'est pas au service d'une personne, d'un parti ou d'un programme politique » : « En toutes circonstances, le fonctionnaire doit conserver son impartialité et ne pas abdiquer son indépendance d'esprit. » Des phrases que beaucoup de hauts fonctionnaires en poste se repassent en boucle. Certains ont déjà fait leur choix en cas d'arrivée au pouvoir du RN. En attendant, l'exécutif a entamé cette semaine un vaste mouvement de nominations de hauts fonctionnaires, 34 dont trois recteurs, lors du dernier Conseil des ministres. Mercredi prochain, un grand nombre de préfets devraient bougés.