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Ruffin, la vie sans Mélenchon

À 48 ans, l’Amiénois a rompu avec les Insoumis. Face au RN, François Ruffin risque sa peau. Le 8 juillet sera pour lui une bascule.
En campagne à Flixecourt (Somme), vendredi.
En campagne à Flixecourt (Somme), vendredi. (Crédits : © LTD / Raphael Lafargue/ABACA POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Le ciel est dégagé, d'un bleu impeccable et l'ambiance est paisible dans les rues de Flixecourt ce vendredi soir. François Ruffin aussi a bonne mine. Dans sa chemise verte en lin et son jean, le député sortant de la Somme sillonne à grands pas les rues de ce village au Nord d'Amiens, ouvre les portails des jardins où les chiens préviennent de sa venue, glisse ses tracts dans les boîtes aux lettres et répète cette phrase à chacun avec la même détermination : « Envoyez moi à l'Assemblée pour qu'il y en ait pas que pour les gros là haut mais aussi les gens d'en bas, les auxiliaires de vies, les retraités, les ouvriers...» Dans un sourire parfois gêné, les apostrophés lui lancent des énigmatiques « y a pas de soucis ».

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Derrière les portes des maisons apparaissent souvent des visages familiers. « Tiens salut Catherine, je savais pas que tu habitais là », «Ah José, ça roule?». Les habitants lui donnent du « Bonjour François », « Comment tu vas Ruffin? », « je suis contente de vous voir ». Presque rien ne laisserait présager que l'homme de 48 ans est ici clairement menacé. Que sur cette terre dont il est le député depuis sept ans, Marine Le Pen a recueilli 48% des voix à l'élection présidentielle de 2022 et Jordan Bardella 40% aux européennes. Seul un automobiliste a appuyé sur l'accélérateur à son approche, laissant fuser un « Bardella! » de sa fenêtre. « La peur s'est installée dans le cœur des gens, constate-t-il dans cette ville où l'usine de textile Saint Frères a fermé ses portes dans les années 2000, laissant derrière elle nombre de vies sans emploi. J'essaie de transformer la colère en espérance. Je suis moi-même en colère avec le sourire ». Jamais très loin, le député sortant de la circonscription voisine, le RN Jean-Philippe Tanguy peste contre son « romantisme révolutionnaire ».

Ici, tout le monde le lui dit. « On ne veut pas de Mélenchon Premier ministre », insiste un couple sur le pas de leur porte. « Ce ne sera pas lui, on est tous d'accord », leur certifie François Ruffin. Mais cela ne suffit pas : « Pourquoi vous vous mélangez avec ces gens-là ? C'est des dangereux. Mélenchon va vous faire du mal ». Réponse de François Ruffin : « La clarification est en cours. J'ai reçu votre message à 100% ». Finalement, la dissolution n'a fait qu'accélérer l'histoire entre eux. Les germes de la rupture étaient là mais la bombe lancée par Emmanuel Macron a tout précipité. Jusqu'alors, Jean-Luc Mélenchon épargnait publiquement son potentiel rival, qu'il qualifiait d'« ami ». Lors de leurs déjeuners réguliers, les deux hommes parlaient histoire et philosophie, jacqueries du 14e siècle. Cela peut paraître surprenant mais Jean-Luc Mélenchon trouve François Ruffin parfois « trop brut de décoffrage, sans aucune concession face à ses interlocuteurs ». « On parle de mon caractère mais le sien est à observer également », nous glissait-il en avril, promettant alors : « Tout le monde parle de guerre entre nous mais il n'y en aura pas ».

« Si je perds, je n'aurai aucun regret »

La rupture entre les deux hommes a finalement été consommée dans la nuit du 14 au 15 juin. Ce soir-là, des anciens fidèles de Jean-Luc Mélenchon - Alexis Corbière et Raquel Garrido - ainsi que des proches de François Ruffin et Clémentine Autain - Hendrick Davi et Frédéric Mathieu - ont appris qu'ils n'étaient pas réinvestis. Tous reprochaient à Jean-Luc Mélenchon son fonctionnement « clanique » et l'absence de démocratie interne au parti. François Ruffin a été épargné mais cela n'a rien enlevé de son amertume face à cette purge : « Notre démocratie mérite mieux que vous », a-t-il écrit sur Twitter. Dans le cercle des fidèles mélenchonistes, il n'y a pas de mots assez durs pour qualifier  « la violence inouïe" de "ce lâche ». Adrien Quatennens, dauphin contesté de Jean-Luc Mélenchon, a mitraillé cette semaine : « Rejoins le RN direct! »

Ruffin, la vie sans Mélenchon

 En campagne à Flixecourt (Somme), vendredi. (© LTD / Raphael Lafargue/ABACA POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

 Ce moment précis, François Ruffin le redoutait. Il savait qu'il ferait l'objet d'un raid numérique des militants insoumis le jour où il acterait sa rupture. Mais puisqu'il ne va pas lui-même sur les réseaux sociaux - son collaborateur le fait pour lui - considérant qu'il n'y a pas de joie là dedans mais que l'horreur des « rancoeurs », il n'a pas eu à l'affronter directement. « On me dit qu'il y a des attaques violentes. Ça me glisse dessus. Ce n'est pas le monde réel », sourit-il. La violence inhérente au monde politique l'a déjà questionné sur son envie d'y rester. Ce père de deux enfants, qui dit se sauver par les livres, s'astreint à des diètes médiatiques de trois mois. Ce qu'il appelle « faire le sous-marin » et dans lequel il était enfermé jusqu'au dimanche 9 juin au soir, lorsque son visage est apparu sur les plateaux télés en duplex depuis ses terres picardes.

Les choses pour l'après

C'est lui qui a lancé le premier l'idée du Front populaire et tout le monde a suivi. Le hashtag a immédiatement décollé et la mécanique de l'union s'est mise en marche, inarrêtable. « Le génie de cette soirée, c'est lui. Il a tout de suite compris ce qu'il se passait. En terme de communication politique, c'est brillant », applaudit l'ancien communicant de François Hollande, Gaspard Gantzer. Ce que ne dit par François Ruffin ce soir-là, c'est qu'il juge les interventions de Jean-Luc Mélenchon particulièrement clivantes, en rien rassembleuses. Dans les jours suivants, il ne participera pas aux négociations qui donneront lieu à un accord programmatique et électoral inédit. Dès le soir de la dissolution, François Ruffin a organisé les choses pour l'après, à travers l'association de financement de Picardie Debout.

Les cadres mélenchonistes assurent que certains candidats Insoumis ont été appelés par des collaborateurs de son micro-parti pour les convaincre de s'affilier politiquement à eux. « Il a monté une entreprise de ruines de LFI!, s'étrangle Paul Vannier, le monsieur élections des Insoumis. Il a choqué beaucoup de parlementaires en faisant ça ». De son côté, François Ruffin assure être à peine au courant et certifie qu'il n'y a « aucun enjeu autour de ça ». Il y en a quand même un, celui de créer un nouveau groupe à l'Assemblée nationale avec les frondeurs insoumis. Qui d'autre suivra ? Chez les socialistes, François Ruffin a plutôt la cote. Le premier secrétaire du PS Olivier Faure dit qu'il l'aime « beaucoup », Boris Vallaud estime qu'il a de « l'intuition », Jérôme Guedj le trouve « rafraîchissant ». Il s'entend aussi très bien avec les communistes, parmi lesquels il compte son seul vrai ami au Palais Bourbon, l'élu de Seine-Maritime, Sébastien Jumel.

Ruffin, la vie sans Mélenchon

A côté du RN Jean-Philippe Tanguy lors d'une rencontre le jour même avec les syndicalistes agricoles de la FDSEA locale(© LTD / Raphael Lafargue/ABACA POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

 Chose plus rare à gauche, François Ruffin échange aussi avec des macronistes. Lorsque l'ancien ministre de la Santé, Aurélien Rousseau avait quitté le gouvernement après le vote de la loi immigration, il lui avait envoyé un message de félicitations. Depuis qu'ils font partie de la même alliance, ils n'ont pas échangé. L'ex ministre des Transports, Clément Beaune a demandé à voir François Ruffin mais il a repoussé ce rendez-vous à l'après législatives. Son émancipation n'est une surprise pour personne. « François fait de la politique de façon apaisée, populaire et festive quand Jean-Luc prône une approche plus violente et radicalisée. Ils ne parlent pas le même langage », analyse un ancien LFI. Au-delà de la méthode, il y a un désaccord de fond. La Une du Nouvel Obs en novembre 2022 avec son visage et cette citation « Je suis social- démocrate » avait marqué les esprits.

« Il faut arrêter de se raconter des salades »

Mais Jean-Luc Mélenchon n'a jamais vraiment cru à ce « nouveau Ruffin » : « François est un anti capitaliste, il faut arrêter de se raconter des salades ». « J'ai un fond libertaire et j'appartiens à une forme de gauche classique. Mais ce qui change la donne, c'est l'impératif écologique », explique aujourd'hui l'intéressé, réfutant l'idée d'avoir déjà appartenu à l'extrême gauche. Au printemps, François Ruffin avait fait une autre sortie remarquée face aux députés Insoumis : « Il faut de la sécurité, de la stabilité et de la protection ». Certains se sont étouffés en entendant ces termes dignes d' « un mec de droite ». Dans la Somme ce vendredi, il a développé ce même triptyque face aux habitants.

Ruffin, la vie sans Mélenchon

François Ruffin en campagne à Flixecourt (Somme), vendredi. (© LTD / Raphael Lafargue/ABACA POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Chez LFI, on reproche à cet ancien journaliste de penser « comme un homme Blanc », inapte à parler aux quartiers populaires. Ce qui est sûr, c'est que le Picard ne se retrouve pas dans cette gauche décoloniale et wokiste. Aux grands concepts il préfère la vie dans ce qu'elle a de plus ordinaire. Au terme aride d'« intersectionnalité », il choisit celui de « cumul des fragilités ». Lui qui parle « frigidaire, salaire et découvert bancaire » croit à la théorie communiste du carreau cassé, selon laquelle la citoyenneté commence lorsque le carreau en bas de chez soi a été brisé. Partir du réel pour développer une vision. « Il fait de la micropolitique », résume Bruno Bonnell, ancien député macroniste avec qui il a travaillé.

Le 8 juillet, la vie de François Ruffin basculera. « Je serai peut-être out. Mais si je perds, je n'aurais aucun regret, j'aurais tout essayé. C'est que la vague RN aura été trop haute, trop rapide », dit-il. Dans ce cas, il reprendra ses activités d'écriture, de film (il a un projet en cours autour du travail). S'il gagne, ce sera pour lui une nouvelle ère politique qui s'ouvrira. Il a déjà affirmé qu'il se « sentait capable » d'occuper le poste de Premier ministre mais c'est 2027 que François Ruffin a en ligne de mire. « Il faut se préparer », répète-t-il à ses proches. Pour le moment, il glisse seulement que le 8 juillet au soir, il aura « des choses à dire au pays ». Le début de sa nouvelle vie.

Commentaires 6
à écrit le 30/06/2024 à 22:21
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Encore un ultra humaniste dultra paleo gauche qui n est pas au courant des dizaines dz millions de morts de son ideologie tolerante qui finit toujours en guerrz et en coercition

à écrit le 30/06/2024 à 17:34
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j'afdore!!! ils ne peuvent pas se blairer, et ils font toujours semblant d'etre les meilleurs copains!!

à écrit le 30/06/2024 à 11:15
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"qui dit se sauver par les livres"... Ci-gît t le secrétaire de rédaction (si ça existe encore)

à écrit le 30/06/2024 à 9:47
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C'est bien de jouer les strapontins en cas de casse du fauteuil, cela dépanne vite fait ! ;-)

à écrit le 30/06/2024 à 7:45
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Le vote RN est un vote contestataire en plastique, depuis le temps qu'on nous expose ce parti comme seul alternative possible au larbin des marchés financiers les gens croient contester en votant pour lui, ils vont tomber de haut, de ce fait Ruffin d...

le 30/06/2024 à 9:38
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la demande de blague de m melenchon est elle valable pour sa personne de fait

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