RN, NFP, LR, Renaissance : les partis politiques face au mur de la dette

Par latribune.fr  |   |  1718  mots
L'Hôtel de Matignon du Premier ministre. (Crédits : © Charles Platiau / Reuters)
La France vient d'être épinglée au niveau européen pour son déficit excessif. Plus inquiétant, à l'approche des législatives, les oppositions d'extrême droite et de gauche, en tête dans les sondages, prévoient d'ouvrir grand le robinet des dépenses mais aussi de revenir sur les réformes emblématiques des retraites et du marché du travail préconisées par Bruxelles. Le mur de la dette est-il désormais trop haut ?

C'est une petite musique dissonante qui accompagne, en creux, les débats qui ont lieu entre les candidats, à moins de deux semaines du premier tour des élections législatives. Ce bruit inquiétant est celui de la dette de l'Etat et des déficits, qui, s'ils s'aggravaient au lendemain du scrutin, pourraient faire basculer la France dans une profonde incertitude sur le financement des services de l'Etat et de son modèle social. Car à plus de 3.000 milliards d'euros, la dette tricolore atteint les 110% du PIB. Un déséquilibre, qui, tout comme le déficit public (à 5,5% du PIB au lieu des 3% réglementaires), vient d'ailleurs d'être sanctionné par l'agence de notation Standard & Poor's. Plus récemment, la France se retrouve dans le viseur de la Commission européenne pour son déficit excessif.

Vu de l'étranger, c'est moins le tournant politique qui serait pris le 7 juillet que la situation financière qui inquiète : « Ce n'est pas la couleur politique des uns et des autres qui préoccupe les marchés, mais la solvabilité de la dette de la France : un programme qui n'est pas financé donne des risques de dérapage des finances publiques », commente Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management. Et la crainte s'est déjà concrétisée avec la montée du taux obligataire français à 10 ans qui a encore alourdi la dette.

Mais la situation est aussi alarmante vue de France. « Aucune crise comparable ne justifie le déficit public de l'année 2023 », s'est inquiété, dans un rapport, le sénateur Jean-François Husson (LR).

Que prévoient les partis en campagne face au mur de la dette pour briguer le poste de Premier ministre et installer une cohabitation avec Emmanuel Macron ?

Le RN : des ambitions patriotiques revues à la baisse

Le RN est donné favori des sondages pour les élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet, après l'annonce surprise de la dissolution de l'Assemblée nationale dimanche.

D'ores et déjà, le parti de Marine Le Pen a annoncé qu'il effectuerait un audit budgétaire au cours du premier mois de son accession à Matignon. Plusieurs mesures ont aussi été repoussées, jugées trop coûteuses par rapport à la situation des finances publiques, raconte-t-on dans La Tribune DimancheEn cas de victoire aux législatives, il entend toutefois dès l'été réduire la TVA sur les carburants, le fioul, le gaz et l'électricité. Son coût budgétaire est estimé par Bercy à 16,8 milliards d'euros en année pleine.

Autre mesure phare, l'âge légal tomberait à 60 ans pour les carrières longues (démarrées avant 20 ans) avec 40 annuités de cotisation.

Mais là encore, le dérapage budgétaire est encore en vue, en l'absence de recettes supplémentaires. Les observateurs s'attendent à « une crise de la dette » si le RN se hisse au pouvoir. Dans l'ensemble, les mesures du RN sont « à la fois floues et changeantes », constate dans une note Sylvain Bersinger, économiste chez Asterès.

« Le RN a un programme plus dépensier que celui de la Première ministre britannique Liz Truss, qui avait pourtant déclenché une crise de la dette publique au Royaume-Uni. En septembre-octobre 2022, les baisses d'impôts annoncées par la nouvelle première ministre avaient entraîné une chute de la livre (un risque contre lequel la France est protégée grâce à l'euro) », prévient l'économiste.

En 2021, à la veille de l'élection présidentielle en France, Jordan Bardella clamait : « La dette c'est avant tout de la confiance entre l'Etat, les acteurs économiques et les épargnants ». Mais pas certain qu'il parvienne à établir cette confiance au lendemain du 7 juillet.

Le Nouveau Front Populaire : la dépense en roue libre

Sur les 22 pages du programme mis en ligne par le Nouveau Front Populaire le 13 juin, il n'y a aucune mention du mot « dette » ou « déficit ».

La nouvelle coalition, qui veut « abolir les privilèges des milliardaires », présente des projets pharaoniques non financés (180 mesures), comme le détaille La Tribune Dimanche.

« Il apparaît évident que les dépenses ou manques à gagner (hausse des salaires dans la fonction publique, baisse de l'âge de la retraite, multiples dépenses sociales et en faveur des services publics) dépassent de plusieurs dizaines de milliards d'euros, au bas mot, les recettes proposées, qui reposent principalement sur une hausse des impôts des plus aisés », commente le cabinet Astérès.

Des attaques contre lesquelles le NFP a tenté de mettre fin, selon un dernier chiffrage livré par la socialiste Valérie Rabault ce mardi 18 juin. D'après l'ancienne vice-présidente de l'Assemblée nationale, le programme économique du Nouveau Front populaire aux législatives est évalué à 106 milliards d'euros de dépenses sur trois ans.

Côté recettes, ce programme compte sur la taxation des superprofits et un retour de l'impôt sur la fortune « avec un poids supérieur à celui d'avant 2017 », a également expliqué Valérie Rabault, tout en se disant défavorable à une taxation du travail.

« En se basant sur ces hypothèses, notre trajectoire budgétaire prévoit un déficit de 5,7% du PIB cette année, puis 5,4% en 2025 et 5,1% en 2026 avant d'atterrir à 3,6% en 2029 », affirme-t-elle.

Toutefois, dans un communiqué, la France Insoumise a précisé mardi que « ce chiffrage ne correspond pas au chiffrage du programme du Nouveau Front populaire ». « Valérie Rabault présente des hypothèses pour 2 ans de mandat, et par conséquent limite à certaines mesures pour un certain temps », a estimé le parti, renvoyant à une « conférence de presse commune » qui permettra « dans les jours qui viennent » de présenter un chiffrage détaillé année par année du programme pour l'ensemble de la législature.

Le document a été décortiqué par Renaissance qui en a établi la facture à 287 milliards d'euros. L'Institut Montaigne, en 2022, avait déjà chiffré les dépenses du projet de LFI à 331 milliards d'euros.

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Renaissance (Ensemble) : une trajectoire budgétaire non tenue

Jusqu'au bout, Emmanuel Macron a tenté d'éteindre le feu qui prenait sur les finances publiques. « Il n'y a pas de dérapage de la dépense de l'État, son budget est même plutôt sous-consommé », affirmait-il fin mai dans un entretien à L'Express.

La promesse de Paris, déjà jugée peu crédible, est de revenir sous le seuil des 3% pour le déficit en 2027. Mais le chef de l'Etat, avant de déclencher la dissolution de l'Assemblée n'en démordait pas : « Est-ce qu'il fallait changer de politique ? La réponse est non. Constance, cohérence, confiance : on garde le cap, car notre stratégie est la bonne ». Et de continuer à promettre aucune nouvelle hausse d'impôts, mais là-dessus, la Cour des comptes était la première à exprimer ses doutes.

S'il ne s'agissait pas d'impôts pour frapper aux portefeuilles des foyers, le gouvernement a fait le choix de réformes pour augmenter les recettes de l'Etat. A commencer par la réforme des retraites, puis, dernièrement, de l'assurance chômage.

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Le bilan d'Emmanuel Macron en matière de budget, s'il a certes traversé la crise du Covid à coup de « quoi qu'il en coûte », est toutefois sans appel : en 2024, jamais la France n'aura autant emprunté sur les marchés, pour un montant de 285 milliards d'euros. Et déjà, la charge budgétaire de la dette était en augmentation à +52,2 milliards d'euros cette année, selon l'Agence France Trésor. Pire, avant la dissolution, le HCFP (Haut conseil des finances publiques) prévoyait une explosion de cette charge de la dette, à « 84 milliards en 2027 ».

Face à cette grenade dégoupillée, le gouvernement a entrepris de serrer l'étau budgétaire en prenant une première décision de couper 10 milliards d'euros dans les dépenses de l'Etat mi février. Et les ministres de Bercy ont annoncé que ce ne serait pas suffisant en annonçant 20 milliards d'euros d'économies supplémentaires étalées sur deux ans.

Pour contrer le RN, le parti d'Emmanuel Macron est désormais contraint d'apporter des gages pour séduire les électeurs inquiets pour leur pouvoir d'achat.

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LR : quelles mesures d'économies ?

Du côté des Républicains (LR), ceux de la faction qui n'ont pas suivi le rapprochement avec le RN, il s'agit de présenter des mesures « concrètes et responsables pour redresser la France ». Parmi elles, rapporte Le Figaro, apparaît la question de la rigueur budgétaire.

Une mesure qui, dans l'ordre, arrive en 7e position, juste après « réindustrialiser pour la prospérité et le pouvoir d'achat (1), maîtriser l'immigration incontrôlée (2), mettre en place une vraie politique du logement (3), reprendre en main la politique pénale (4), soutenir l'assimilation et lutter contre l'islamisme (5), lutter contre la bureaucratie pour libérer les Français et soutenir nos agriculteurs et nos entreprises (6) et promouvoir une écologie fondée sur le progrès et respectueuse de notre mode de vie rural.»

ZOOM : Quels autres pays de l'UE en déficit ?

Les déficits les plus élevés de l'UE ont été enregistrés l'an dernier en Italie (7,4% du PIB), en Hongrie (6,7%), en Roumanie (6,6%), en France (5,5%) et en Pologne (5,1%).

Outre ces cinq pays, les procédures pour déficits excessifs devraient concerner aussi la Slovaquie, Malte (4,9%) et la Belgique (4,4%), a constaté l'Institut Jacques Delors.

L'Espagne et la République tchèque ont dépassé les 3% en 2023 mais prévoient de revenir dans les clous dès cette année. L'Estonie a également franchi les 3% mais sa dette publique à environ 20% du PIB est faible et très en dessous de la limite de 60% du PIB fixée par le Pacte de stabilité, contrairement aux autres pays cités.

Le Pacte de stabilité a été adopté en 1997, en vue de l'arrivée de la monnaie unique au 1er janvier 1999. Répondant au souci de l'Allemagne d'éviter que des pays membres mènent des politiques budgétaires laxistes, il fixe l'objectif de comptes à l'équilibre.

(Avec AFP)