![Les pays européens frappés par les stigmates de la pandémie vont devoir financer une montagne colossale d'investissements dans la transition écologique, la défense, le numérique ou encore la santé.](https://static.latribune.fr/full_width/2381088/election-ue-2024-500-e.jpg)
L'Europe va-t-elle réussir à se mettre d'accord sur un nouveau plan de relance pour un réarmement massif de son économie après les élections de juin prochain ? Le grand rêve d'Emmanuel Macron de construire une «Europe puissance » pourrait bien être très difficile à bâtir. Embourbé dans une stagnation économique, le Vieux continent doit affronter des niveaux d'endettement vertigineux.
De la Pologne au Portugal en passant par l'Italie ou la France, la pandémie et la guerre en Ukraine ont plongé les comptes publics dans le rouge. Dans le même temps, les pays européens vont devoir financer une montagne colossale d'investissements dans la transition écologique, la défense, le numérique ou encore la santé.
« Un changement radical est nécessaire » (Mario Draghi)
Après le scrutin de juin, l'Europe va, en effet, devoir prendre un virage brutal si elle ne veut pas se retrouver à la remorque des Etats-Unis et de la Chine dans les prochaines années.« Un changement radical est nécessaire », a d'ailleurs appelé l'ancien Premier ministre Italien, Mario Draghi.
Mandaté par la Commission européenne pour établir un rapport sur un futur pacte de compétitivité, l'ancien président de la BCE souligne que « notre organisation, notre processus décisionnel et notre financement ont été conçus pour le monde d'avant - avant le Covid-19, avant l'Ukraine, avant l'embrasement au Moyen-Orient, avant le retour de la rivalité entre grandes puissances. Or, nous avons besoin d'une Union européenne adaptée au monde d'aujourd'hui et de demain ».
[Mario Draghi et Christine Lagarde lors des 25 ans de la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort en 2023. Crédits : Reuters]
Une montagne d'investissements pour la transition climatique et la Défense
Dans ce monde chamboulé de toutes parts, les besoins de dépenses ont été relativement identifiés. À l'échelle européenne, le déficit d'investissement s'élève à environ 400 milliards d'euros par an, selon l'institut pour le climat (I4CE), rien que pour parvenir à remplir les objectifs climatiques de la Commission européenne (Fit for 55, soit une baisse de 55% des émissions d'ici 2030 par rapport à 1990).
« Il est impératif que les institutions européennes mettent en place pour la prochaine mandature un plan de financement climat afin de combler ce déficit d'investissement », explique Clara Calipel, de l'institut pour le Climat (I4CE).
En France, le rapport des économistes Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz a évalué les besoins d'investissements publics et privés à 60 milliards d'euros par an. Quant à l'Allemagne, les efforts de décarbonation de l'industrie sont immenses compte tenu de l'accélération du changement climatique.
« Est-ce que l'Europe a besoin d'un plan de relance ? Il n'y a aucun doute », juge Jérôme Créel, économiste à l'OFCE et coordinateur de l'ouvrage L'Economie européenne 2023-2024, (Editions La Découverte). ll y a, certes, d'importantes sommes à décaisser du plan de relance pour faire face à la crise sanitaire, mais « il y a d'immenses besoins sur la transition sociale et écologique ». En effet, les bouleversements engendrés par le changement climatique pourraient faire bondir les inégalités territoriales et les risques d'appauvrissement dans certaines régions européennes particulièrement exposées au réchauffement. À cela s'ajoutent les efforts à réaliser pour muscler la défense des Etats du Vieux continent et soutenir l'Ukraine dans ses dépenses militaires et la future reconstruction.
Budget européen et mutualisation des dettes : le casse-tête des Etats
Pour financer cet immense plan d'investissements, plusieurs options sont sur la table. À la Commission européenne, on se réjouit que, « pour la première fois, on débat du budget pendant la campagne européenne », explique une source bruxelloise. Pourquoi ? « Car le budget a mué ». Avec la crise Covid, les chefs d'Etat et de gouvernement, après d'âpres discussions, se sont mis d'accord pour financer des prêts aux Etats membres et des subventions de l'ordre de 800 milliards d'euros. « C'est un changement historique », poursuit ce haut-fonctionnaire. La mise en place du plan NexGenEU a ainsi permis d'amortir les terribles effets de la pandémie sur l'économie européenne.
Trouver un accord sur un cadre financier annuel : « un enfer » selon un haut fonctionnaire
Mais se mettre d'accord sur un cadre financier pluriannuel reste « un enfer », concède ce spécialiste des questions budgétaires et fiscales. À quoi faut-il s'attendre après les élections ? Certains en Europe rêvent d'un instrument de mutualisation des dettes, mais à ce stade, il reste difficile de se projeter. « Beaucoup d'acteurs expliquent qu'il faudrait aller vers une mutualisation des dettes. La mutualisation de la dette fait sens, mais politiquement, c'est compliqué », rappelle Christopher Dembick, économiste chez Pictet Asset Management.
« Il y a une profonde divergence entre les pays sur les objectifs budgétaires. Ce sera un débat tranché avec les élections européennes. Au regard des sondages, il devrait y avoir une forme de flexibilité sur les règles budgétaires. L'Allemagne pourrait être très isolée sur son souhait de consolidation budgétaire », ajoute-t-il.
La logique « d'égoïsmes nationaux » prédomine
L'orientation du plan de relance va d'ailleurs sans doute raviver les débats entre les pays du Nord dits « frugaux » et les pays du Sud jugés « dépensiers ». « Le Covid aurait pu changer la donne [...] mais on est toujours dans une logique d'égoïsmes nationaux », souligne Christopher Dembick.
Lors de son discours à la Sorbonne, le chef de l'Etat français Emmanuel Macron a, lui, tiré la sonnette d'alarme sur le sombre avenir du Vieux continent si les Etats ne réagissent pas. « L'Europe peut mourir », a-t-il lancé dans l'amphithéâtre de la célèbre faculté française. Comme une forme de provocation, le président français veut infléchir les positions des pays du Nord de l'Europe sur le respect des nouvelles règles budgétaires toujours vilipendées.
L'autre option serait d'émettre des émissions de dette au nom de l'Europe, mais là encore, les Etats risquent de se fracturer sur ce sujet sensible.
Plan de relance : l'Europe peut apparaître comme « la solution »
Compte tenu du retour des règles budgétaires et du risque de division, les Etats pourraient plaider pour le renforcement du budget européen. « Le cadre budgétaire des Etats étant contraint, l'Europe est plutôt un argument pour le plan de relance », explique Eric Monnet, professeur à l'Ecole d'Economie de Paris et co-auteur avec Antoine Vauchez du livre L'Europe, du marché à la puissance publique ?, (Editions PUF).
Surtout, « il y a un flou sur l'application des règles. Et en même temps, il y a un besoin d'investissements dans la transition écologique et d'infrastructures, y compris en Allemagne. Certains Etats ont pris du retard. Dans ce contexte, l'Europe apparaît comme une solution », poursuit l'économiste.
Budget européen : les ressources propres, un levier crucial
Faute de consensus politique, la Commission européenne plaide pour le développement des ressources propres. Pour l'instant, « les ressources principales sont les contributions des Etats et des ressources propres, mais la contribution nationale devient difficile », explique un ponte de la Commission. Les Etats membres « donnent de l'argent avec difficulté ».
« Avant, ce n'était pas un sujet, mais dorénavant, les élus nous contactent régulièrement, confie cette source. Si le budget européen avait plus de ressources propres, ce serait moins un sujet ».
À Bruxelles, les fonctionnaires comptent sur la taxe carbone aux frontières, le pilier 1 de l'ODCE (taxe minimum sur les multinationales) et la taxe sur les emballages. « La taxe sur les plastiques pour désinciter l'usage de matière polluante existe, mais elle a vocation un jour à disparaître », explique Jérôme Creel. « Les montants de ces instruments ne sont pas totalement dérisoires, mais ces taxes incitatives sont là pour corriger et le but, à la fin, est qu'elles disparaissent », abonde Eric Monnet.
Une nouvelle taxe sur les entreprises de 0,5% pour financer un budget européen à l'étude
En outre, « si on ne compte que sur la taxe carbone aux frontières, on frappe d'abord les pays les plus pauvres à l'Est de l'Europe. On ne peut pas faire porter le financement du budget européen sur ces pays », explique un haut fonctionnaire bruxellois. La Commission européenne planche également sur un prélèvement de 0,5% sur l'excédent brut d'exploitation (EBE) sur les entreprises en Europe. « Ce n'est pas le meilleur des instruments, mais il représente 16 milliards d'euros par an », confie ce haut-fonctionnaire.
Mais l'idée d'une taxation unique des entreprises risque de se transformer en parcours du combattant au regard des disparités sur le Vieux continent . « On n'y arrive pas, car personne ne veut en parler. J'ai peu d'espoir que ce sujet avance avant le prochain cadre financier », explique ce cadre. Autant dire que le financement du futur plan de relance à 1.000 milliards d'euros va donner du fil à retordre aux Etats européens.
Plan de relance : le rôle crucial de la BCE Après une décennie de politique monétaire accommodante, la banque centrale européenne a changé de braquet à l'été 2022 en amorçant une hausse de taux inédite afin de faire baisser les pressions inflationnistes. Constatant une réelle inflexion des prix depuis 2023, la Banque centrale devrait baisser ses taux à partir de juin, comme l'a confirmé son chef économiste Philip Lane dans une récente interview au Financial Times. Dans ce contexte, l'institution de Francfort aura sans doute un rôle crucial dans le plan de relance européen. En effet, l'assouplissement de la politique monétaire et des conditions financières devraient redonner du souffle aux entreprises et aux ménages pour engager des investissements dans la transition. « Pour des raisons de stabilité des prix et de stabilité financière, la BCE doit aussi désinciter les banques à investir dans des activités de production d'énergie fossile », juge Eric Monnet, spécialiste de l'histoire des politiques monétaires. En effet, le réchauffement climatique va sans nul doute accroître la pression sur les prix, mais aussi sur certains actifs détenus dans les banques. « La BCE reconnaît ce problème-là, mais ce qu'elle fait est encore insuffisant pour limiter l'activité des entreprises les plus polluantes », regrette l'économiste.