La campagne des élections législatives entre dans sa dernière ligne droite. Après deux semaines d'intenses tractations, les trois principaux blocs (Nouveau Front populaire, Rassemblement national et majorité présidentielle) en lice ont présenté les grandes lignes de leurs programmes. Pressés par un calendrier très serré, les candidats vont devoir tenter de convaincre en un temps record les électeurs, plongés dans un épais brouillard depuis l'annonce tonitruante de la dissolution de l'Assemblée nationale. Pour tenter d'y voir plus clair, le collectif Nos Services Publics, constitué d'experts et de hauts-fonctionnaires, a dévoilé un comparateur de programmes ce mardi. Inquiet, le collectif a tiré la sonnette d'alarme.
« Alors que l'état des services publics s'est fortement dégradé ces dernières années, trois programmes sur quatre proposent de faire reculer le rôle de l'Etat. Il y a un risque majeur de recul des services publics », a déclaré Arnaud Bontemps, un des porte-paroles, lors d'une conférence de presse.
Le recul des services publics, un moteur pour le vote RN
Dans leurs démarches d'analyse, les chercheurs et fonctionnaires ont pris en compte les questions que pouvaient se poser les usagers au quotidien : mon enfant aura-t-il un professeur devant lui toute l'année ? Va-t-on faire revenir un médecin près de chez moi ? Le prix de l'énergie va-t-il encore augmenter ?
Des questions cruciales, au moment où les inégalités territoriales se creusent en France et le sentiment de déclassement s'amplifie. En effet, l'absence de service public peut être un carburant pour le vote d'extrême droite, comme l'ont rappelé plusieurs études.
«Ce recul des services publics nourrit un sentiment d'abandon capté par le RN », explique Arnaud Bontemps, auprès de La Tribune. Et « paradoxalement, l'analyse de son programme montre que cette dégradation pourrait s'accélérer », si le RN arrivait au pouvoir.
Baisse des dépenses
Sur l'ensemble des programmes passés à la loupe par le collectif, celui du Rassemblement national inquiète particulièrement les fonctionnaires. « Le premier impact serait sur les financements », explique Arnaud Bontemps. Le Rassemblement national prévoit en effet de tailler à vif « avec une baisse des recettes de l'ordre de 60 milliards d'euros ».
Face au marasme budgétaire et au retour des règles européennes du pacte de stabilité, le parti nationaliste annonce un plan drastique de rigueur qui aurait des conséquences particulièrement douloureuses sur le fonctionnement des services publics.
En matière de fiscalité, le Rassemblement national propose un grand nombre de baisses d'impôts. Beaucoup peinent toutefois à convaincre les économistes et les experts. Sur la baisse de la TVA sur les produits énergétiques par exemple, rien n'indique qu'elle profitera d'abord aux consommateurs. Et elles, « seraient très difficiles et donc longues à mettre en œuvre ».
La proposition du RN nécessite « de revoir une directive européenne de 2006 ». La directive « n'inclut pas les produits énergétiques dans la liste de ceux pouvant bénéficier d'un taux réduit ». En outre, cette modification requiert l'unanimité des Etats de l'UE à 27 qui « serait certainement très difficile à obtenir, car elle expose les Etats membres à une concurrence à la baisse sur la taxation de ces produits ».
Un risque de pénurie de personnel...
L'autre risque concernerait « l'attractivité des métiers » dans la fonction publique. Déjà confrontés à des pénuries de main-d'œuvre, de nombreux secteurs pourraient pâtir d'une plus grande sélection basée sur « la préférence nationale ». Erigée en totem du programme du RN, la préférence nationale est « un élément de fragilisation des services publics », considère ainsi Laetitia Vernier, du collectif. « Les propositions du RN fragiliseraient le sens et l'attractivité des services publics », ajoute-t-elle.
Ces propositions signifient que les services publics « se couperaient de ressources très importantes. Il existe des pénuries de professionnels dans l'éducation, la santé ». « Il faut alerter sur la notion de préférence nationale ». Dans les hôpitaux, le RN veut réduire le poids du personnel administratif à 10%. Or, c'est déjà le cas, ont pointé des économistes sur le réseau social X.
... Et de discriminations accru
Du point de vue des usagers, les risques de discriminations dans les services publics pourraient également s'accroître. Or, le Défenseur des droits a déjà alerté - à maintes reprises - sur ce fléau dans des rapports très documentés. Arnaud Bontemps estime qu'avec les mesures propositions du RN, il existe un risque « de rupture » sur les principes fondateurs des services publics (Egalité de tous). « La préférence nationale est une rupture d'égalité », juge Arnaud Bontemps. « Le recul des droits sociaux risque de faire plonger un grand nombre de personnes dans la pauvreté ». En janvier, les fonctionnaires avaient déjà sonné l'alerte sur le risque que faisait peser le projet de loi immigration sur le fléau de la pauvreté.
L'arrivée du Rassemblement national à Matignon pourrait fonder la redistribution économique et social sur un principe identitaire compte tenu de l'attachement du parti co-fondé par Jean-Marie Le Pen aux idées xénophobes. Derrière la tentative de « normalisation », les fondamentaux du nationalisme d'extrême droite demeurent particulièrement prégnants.
Longtemps épargnée par le vote RN, la fonction publique vote de plus en plus pour le parti de Jordan Bardella. Entre 2017 et 2022, Marine Le Pen y a sensiblement augmenté ses scores, « puisqu'elle gagne 9 points dans la fonction publique d'État (de 28% à 37%), 7 points dans la fonction publique territoriale (de 33% à 40%), 15 points dans la fonction publique hospitalière (de 29% à 44%) », souligne une récente étude de la fondation Jean Jaurès. Ces résultats témoignent d'une avancée considérable du vote nationaliste chez toutes les catégories de fonctionnaires. De la haute fonction publique aux contractuels, le RN a conquis des pans entiers de la fonction publique restée pendant longtemps réfractaire aux principes de l'extrême droite tricolore.La percée spectaculaire du vote RN chez les fonctionnaires