Dissolution de l'Assemblée : la Corse autonome a du plomb dans l’aile

La dissolution porte un sacré coup de massue au processus dit de Beauvau qui devait déboucher sur l’inscription de la Corse dans la Constitution et une nouvelle évolution institutionnelle avec un pouvoir législatif encadré. Le vote massif pour le RN aux Européennes risque de faire pencher la balance vers l’abandon du projet.
Emmanuel Macron à la tribune de l'Assemblé de Corse en septembre dernier.
Emmanuel Macron à la tribune de l'Assemblé de Corse en septembre dernier. (Crédits : Reuters)

La Corse de la politique s'est réveillée avec la gueule de bois au lendemain de l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale qui marque un sérieux coup d'arrêt à la réforme constitutionnelle promise par le Président de la République à la tribune de l'Assemblée de Corse le 28 septembre dernier : un statut d'autonomie assorti d'un pouvoir normatif et fiscal et l'officialisation de la singularité de l'île dans le texte fondateur de la Ve République.

Le projet de texte constitutionnel, issu d'un long processus de deux ans, piloté par le ministre de l'Intérieur et voté à une large majorité par les élus corses, a du plomb dans l'aile. Son examen au Parlement prévu dans les prochaines semaines - une délégation de la commission des lois du Sénat était attendue sur place ce lundi - est reporté sine die. C'est un énorme caillou dans la chaussure de la majorité territoriale et de son chef de file autonomiste Gilles Simeoni qui avait beaucoup usé ses semelles tous ces derniers mois pour tenter de convaincre les députés et les sénateurs récalcitrants. Un entretien à l'Élysée était même programmé de façon imminente. On peut toujours céder au fatalisme et se résigner à admettre, avec l'historien-architecte Eugène Viollet-le-Duc, qu'il n'est pas d'œuvre humaine qui ne contienne en germe, en son sein, le principe de sa dissolution. Pour autant, les nationalistes assurent, bien que groggys, qu'ils ne sont pas prêts à capituler en rase campagne.

Lire aussi« L'autonomie de la Corse s'inscrit dans le pacte girondin porté par Emmanuel Macron » (Marc Ferracci, député)

Quand la Corse bascule d'un nationalisme à l'autre

Compliqué, par ailleurs, d'analyser les résultats hiéroglyphiques de la Corse. Avec 41% des suffrages (45% à Ajaccio le fief du député Laurent Marcangeli ), Jordan Bardella fait carton plein. Une sorte de résidence secondaire politique pour la leader du Rassemblement national qui est désormais chez lui en Corse. Et ce, deux ans après le résultat historique de Marine Le Pen aux élections présidentielles : son meilleur score régional avec 58% des voix. Il y a à peine plus de trente ans, en février 1992, sur le tarmac de Bastia, des militants nationalistes avaient empêché l'avion de Jean-Marie Le Pen de se poser pour tenir meeting, fulminant de rage derrière leur banderole « Fascisti fora », les fascistes dehors.

Comment l'île aurait-elle ainsi basculé ? Il n'y a pas de réponse claire à la question tant la lecture des urnes paraît indéchiffrable : aux dernières élections régionales, sept électeurs corses sur dix avaient voté pour une liste nationaliste alors que dimanche, c'est un électeur sur deux qui a adhéré soit au RN soit à Reconquête. C'est bien simple : Jordan Bardella arrive en tête dans 77,5% des 360 communes que compte le territoire. Un véritable séisme. La Corse a ainsi une faculté de passer allègrement d'un nationalisme à l'autre qui laisse songeur. Même s'il convient de nuancer la puissance de ce béguin en précisant que le taux d'abstention ce dimanche a été supérieur de 10 points à celui de la moyenne nationale.

Lire aussiCorse : le gouvernement et les élus trouvent un accord pour inscrire « un statut d'autonomie » dans la Constitution

En attendant, la seule députée corse qui siègera au Parlement européen est estampillée RN. On ignore dans quelle mesure le refus de Gilles Simeoni de se positionner en faveur de Valérie Hayer a pu peser sur la campagne, mais le choix de la neutralité pourrait être assez mal perçu par le Président de la République qui a mouillé la chemise pour une autonomie qui aurait constitué la pierre angulaire du « pacte girondin » de son programme.

Le « scénario du pire » selon un député nationaliste

Or, si le RN obtient la majorité à l'Assemblée nationale, fût-elle relative, et si Jordan Bardella s'installe à Matignon dans le cadre d'une cohabitation, le processus de Beauvau a lui-même toutes les chances d'être à son tour dissous. Celui-ci a été sans équivoque sur le sujet : il est opposé à la mention de la Corse dans la Constitution et contre le statut d'autonomie qu'il considère comme un marchepied pour l'indépendance. Jouant les ingénus, les trois députés nationalistes refusent de voir dans les résultats de dimanche l'esquisse d'une adhésion aux idées de l'extrême-droite, préférant brandir l'argument du vote sanction à l'égard de la majorité présidentielle : « La Corse est otage du match de ping-pong entre le RN et Emmanuel Macron. L'autonomie est une démarche de démocratie et de paix. Le processus, qui a rencontré un fort consensus, est par entre parenthèses par la force des choses », regrette Jean-Félix Acquaviva tandis que son collègue Michel Castellani, plus pessimiste, qualifie la dissolution de « scénario du pire ».

Les nationalistes peuvent être relativement confiants pour retrouver leur siège au Palais Bourbon. En Corse, la gauche est réduite à la portion congrue et la droite républicaine, qui a régné en maître pendant des décennies, est confinée au rôle d'opposition. Dix ans avant Macron, Simeoni avait dynamité (au sens figuré) la bipolarité du paysage politique corse. Et, par expérience, on peut annoncer, sans risque démesuré, que les candidats RN présents dans les quatre circonscriptions de l'île ne passeront pas le cap du premier tour. N'empêche. D'un coup de baguette magique dont l'Élysée a le secret, le statut d'autonomie est devenu une autonomie statufiée.

Commentaires 4
à écrit le 12/06/2024 à 7:46
Signaler
De toute façon Macron s´en moquait, comme de toute façon il ne comprenait rien au problème du millefeuille administratif, lui qui non seulement dirigeait tout seul sans écouter des conseillers ou proches, croyant tout comprendre sans avoir ni expérie...

à écrit le 11/06/2024 à 20:34
Signaler
"Dissolution de l'Assemblée : la Corse autonome a du plomb dans l'aile" Une opportunité pour mettre fin à la captivité très onéreuse des corses dans le giron français et ainsi obtenir une indépendance comme la Sardaigne.

à écrit le 11/06/2024 à 19:08
Signaler
On fini par conclure que le McKronisme n'est qu'une forme de parasitisme entre la Nation et l'individu !

à écrit le 11/06/2024 à 17:45
Signaler
L'abandon du projet d'autonomie avec financement continental ? Ou l'abandon de la Corse à son destin ? Allez, courage, ils n'ont pas encore gagné...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.