LA TRIBUNE DIMANCHE - Comment sentez-vous cette campagne ?
CLÉMENTINE AUTAIN - C'est une campagne éclair qui génère un très haut niveau d'inquiétude chez les Français. L'hypothèse d'une extrême droite au pouvoir menacerait la paix civile. Elle briserait la république. Nous pourrions être dans une situation de crise de régime et personne ne peut prédire ce que ferait Emmanuel Macron, tant il sert les plats à Marine Le Pen et ses amis et tant il manque de rationalité et de continuité. L'heure est grave, nous sommes au pied du mur. Face au RN, nous sommes les seuls à pouvoir gagner. Le Nouveau Front populaire porte l'espoir d'une France capable de progrès social et écologique. Je perçois une forte mobilisation de nos électorats. Il nous reste une semaine pour arracher la victoire.
Le pouvoir renvoie les extrêmes dos à dos. Que pensez-vous de cette comparaison ?
Nous sommes face à un choix de société : la haine de l'autre ou la liberté. L'extrême droite n'a jamais pris le pouvoir en France par les urnes. En juin 1940, avec Pétain, elle est arrivée sur les porte-bagages de l'armée allemande, alors que les possédants affirmaient : « Plutôt Hitler que le Front populaire. » Aujourd'hui, le RN cherche à masquer son racisme et son sexisme viscéraux, et il ment sur son profil social. La réforme des retraites ou celle sur le chômage seront abolies avec nous, pas avec eux. Notre union historique à gauche est une chance pour la France. Elle est l'outil pour éviter aux monstres de resurgir. Elle est l'instrument d'un changement profond de cap politique. Le seul à même de créer les conditions de l'apaisement dont les Français ont tant besoin.
Les divergences affichées entre socialistes et Insoumis sur le chiffrage du programme du Nouveau Front populaire ne décrédibilisent-elles pas le projet ?
Je vois surtout les convergences : nous portons ensemble un programme, et il est maintenant collectivement chiffré. Il faut surtout retenir le sens de ce que nous allons faire : partager les richesses. Nous voulons mettre à contribution les hyper-riches et les grands groupes qui engrangent des profits pour que la majorité des Français cesse de s'appauvrir, que l'on reconstruise les services publics, que l'on soit à la hauteur du défi climatique. Par ailleurs, ce procès en crédibilité est un classique quand la gauche est en passe d'arriver au pouvoir. Les puissants ont peur que l'on touche à ce qui leur appartient. Les prétendus Mozart de la finance ont servi leurs intérêts et constitué une dette colossale pour notre pays, tout en détruisant les droits et les protections des Français. Nous ferons tellement mieux !
Il y a un problème d'incarnation à gauche. Tout le monde se sent capable de devenir Premier ministre mais personne ne s'impose. N'est-ce pas là votre principale faiblesse ?
Il faut faire de cette situation une force. Nous ne voulons pas exercer le pouvoir comme Jupiter. De très nombreuses personnalités ont les compétences pour former un gouvernement.
Et pour Matignon ? Vous sentez-vous prête à occuper ce poste ?
Je fais partie de celles et ceux qui peuvent occuper cette fonction de Premier ministre. Il faudra une candidature capable de fédérer la diversité de notre Front populaire. Quelle que soit ma place, je serai au service du rassemblement.
Vous excluez donc l'hypothèse de voir Jean-Luc Mélenchon à Matignon ?
Force est de constater qu'aujourd'hui il n'est pas la personnalité qui peut faire consensus. C'est factuel.
Êtes-vous d'accord avec la proposition d'Olivier Faure de désigner quelqu'un par le vote ?
L'idée que les députés désignent eux-mêmes la ou le chef de gouvernement est une proposition sensée. Il faut s'accorder sur une méthode et qu'elle soit le plus démocratique possible. Je m'y soumettrai.
Plusieurs députés LFI qui avaient pris leurs distances avec Mélenchon, comme Alexis Corbière ou Raquel Garrido, n'ont pas été investis. Comment analysez-vous cette purge ?
Quand on est face à la grande histoire, régler ses petits comptes avec ceux qui ont osé critiquer la direction est une faute politique. Là, le message envoyé, c'est que, si nous exprimons des désaccords avec Jean-Luc Mélenchon, c'est la porte. Un mouvement de gauche ne peut pas s'asseoir ainsi sur le pluralisme et la démocratie. Mes amis sont sanctionnés pour avoir eu raison trop tôt. Pourquoi poser un tel acte de fragmentation quand l'urgence est d'être unis contre l'extrême droite et pour changer le quotidien des Français ? J'appelle les électeurs de Marseille, Seine-Saint-Denis et Paris à donner une leçon électorale à ces méthodes en votant pour Hendrik Davi, Alexis Corbière, Raquel Garrido et Danielle Simonnet.
Pourquoi avez-vous été épargnée selon vous, comme François Ruffin ?
Nous ne sommes pas vraiment épargnés, puisque ce sont nos proches qui sont brutalement sanctionnés. Ne pas investir François Ruffin ou moi-même eût été sans doute trop grossier...
Pourquoi vous ne partez pas ?
Vous trouvez que c'est le moment ? Là, nous devons faire front pour gagner. Ces questions-là seront devant nous après le 7 juillet.
« François a choisi la rupture avec moi », affirme Jean-Luc Mélenchon dans Le Figaro.
Certes, Jean-Luc Mélenchon ne s'est jamais ouvertement confronté à François Ruffin qui est, je le rappelle, beaucoup plus populaire que lui. Mais ne renversons pas les responsabilités de la rupture : ce sont Mélenchon et son entourage qui ont décidé de lancer l'offensive contre nous et ce depuis longtemps. Ils se sont chargés de nous écarter de la direction du mouvement, et de nous invisibiliser. Et les off ne manquent pas pour descendre en flèche François Ruffin. Mais cela fait une semaine que la campagne est polluée par ces questions-là ! Je n'ai plus envie d'y répondre. Il reste peu de temps pour convaincre les Français d'éviter un scénario noir pour notre pays, à peine sept jours pour qu'ils renouent avec l'espérance d'une vie meilleure. J'aimerais que toutes les forces du Nouveau Front populaire soient tournées vers cet objectif : la victoire.