[Article publié le 17 mai 2024 à 7h19, mis à jour à 16h57] La Nouvelle-Calédonie va maintenant devoir remonter la pente, après quatre nuits de violence. « Aujourd'hui, la Calédonie est ruinée », a pu dire un député de l'archipel.
Des propos cités ce matin sur RTL par le président de la Fédération des Industries du territoire, Xavier Benoist, qui les a repris à son compte en évoquant « quelque 200 entreprises rayées de la carte » qui concentrent « entre 2.000 et 4.000 emplois ». Selon le président de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) locale, les émeutes ont déjà causé pour 200 millions d'euros de dégâts.
« Des renforts vont arriver pour contrôler les zones qui nous ont échappé ces jours derniers, dont le contrôle n'est plus assuré », a déclaré devant la presse à Nouméa Louis Le Franc, Haut-commissaire de la République sur ce territoire français du Pacifique. Ils doivent permettre de « reconquérir tous les espaces de l'agglomération (de Nouméa) que nous avons perdus, et qu'il nous appartient de reprendre ».
« L'état d'urgence a permis, pour la première fois depuis lundi, de retrouver une situation plus calme et apaisée dans le grand Nouméa, malgré les incendies d'une école et de deux entreprises », a affirmé le Haut-commissaire. La nuit de jeudi à vendredi a été « marquée par l'arrivée des renforts envoyés » de l'Hexagone, a ajouté la même source.
L'aéroport de Nouméa toujours fermé aux vols commerciaux
Le représentant de l'Etat a évoqué « trois zones », des quartiers défavorisés du grand Nouméa peuplés majoritairement d'autochtones : Kaméré, Montravel et une partie de « la Vallée du Tir », où des « centaines d'émeutiers » recherchent selon lui « le contact avec les forces de l'ordre » et à poursuivre leurs « exactions ».
Dans la capitale, les pénuries alimentaires provoquent de très longues files d'attente devant les magasins. « En lien avec le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, l'Etat se mobilise pour apporter le soutien à la population et organiser l'acheminement des produits de première nécessité », a assuré vendredi matin le Haut-commissaire Louis Le Franc. Il a appelé à laisser dégager les grands axes de circulation. Les autorités préparent un « pont aérien » entre l'Hexagone et son archipel, séparés de plus de 16.000 km. L'aéroport de Nouméa reste fermé aux vols commerciaux.
Sécurité intérieure renforcée
Le gouvernement avait annoncé quelques heures plus tôt l'envoi d'un millier d'effectifs de sécurité intérieure, en plus des 1.700 membres des forces de l'ordre déjà sur place. L'armée s'est également déployée pour sécuriser les ports et l'aéroport du territoire, désormais sous le régime de l'état d'urgence décrété par le gouvernement mercredi soir.
L'interdiction de rassemblements, de transport d'armes et de vente d'alcool, ainsi que le couvre-feu de 18h00 à 6h00 restent en vigueur. Louis Le Franc a ajouté qu'un suspect d'homicide s'était « rendu », sans précision sur son identité ni sur l'affaire concernée.
Par ailleurs, ce matin, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a publié une circulaire appelant « une réponse pénale empreinte de la plus grande fermeté à l'encontre des auteurs des exactions perpétrées » dans l'archipel.
Un bilan de victimes qui s'alourdit
Cinq personnes sont mortes depuis le début des émeutes lundi : deux hommes de 20 et 36 ans, une adolescente de 17 ans et deux gendarmes. Le premier, âgé de 22 ans, avait été atteint d'une balle dans la tête mercredi. Le second, âgé de 45 ans, a été victime d'un « tir accidentel » jeudi matin, selon le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin.
Ce dernier a publié un communiqué vendredi pour demander « à chacun de respecter le temps du deuil », à savoir « un temps d'apaisement pour enrayer l'escalade de la violence ». Le ministre a par ailleurs dénoncé l'ingérence de l'Azerbaïdjan, où plusieurs leaders indépendantistes calédoniens se sont déplacés ces derniers mois. Des accusations « infondées », selon Bakou.
De son côté, un responsable de l'hôpital de Nouméa, Thierry de Greslan, s'est alarmé de la dégradation de la situation sanitaire sur l'archipel. « Trois ou quatre personnes seraient décédées hier (jeudi) par manque d'accessibilité aux soins », en raison notamment de barrages érigés dans la ville, a-t-il avancé sur France Info.
Des discussions avec les élus calédoniens attendues ce vendredi
Le Premier ministre Gabriel Attal avait indiqué « qu'une circulaire pénale » serait publiée par le garde des Sceaux pour « garantir les sanctions les plus lourdes contre les émeutiers et les pillards ». Sur le plan politique, le chef du gouvernement va recevoir à Matignon, avec Gérald Darmanin vendredi à 18h30 heure de Paris, les comités de liaison parlementaires sur la Nouvelle-Calédonie pour un « échange » sur la crise.
Avant cette réunion, Gabriel Attal présidera à 8h00 une troisième cellule interministérielle de crise. Enfin, après l'échec d'une tentative de visioconférence entre le président Emmanuel Macron et des élus calédoniens « ne souhaitant pas dialoguer les uns avec les autres pour le moment », selon l'Elysée, ces discussions devraient intervenir vendredi.
Les députés ont par ailleurs adopté dans la nuit de mardi à mercredi à Paris la réforme constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres. Ce texte devra encore être voté par les parlementaires réunis en Congrès, sauf si un accord sur un texte global entre indépendantistes et loyalistes intervient avant. Le texte voté vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales. Les partisans de l'indépendance estiment que cette modification risque de réduire leur poids électoral et de marginaliser « encore plus le peuple autochtone kanak ».
Volte-Face du RN
Fait qui a surpris de nombreux observateurs de la politique française : le Rassemblement national de Marine Le Pen et Jordan Bardella, historiquement opposé à l'accord de Nouméa, assume un spectaculaire changement de ligne sur le dossier de la Nouvelle-Calédonie, en appelant désormais à une nouvelle consultation « dans quarante ans ».
Jeudi soir, sur France 2, la triple candidate malheureuse à l'Elysée a feint d'interroger : « Faut-il, pour négocier et réussir, accorder aux Kanak la possibilité de se prononcer dans 40 ans sur l'autonomie, pour permettre le développement aujourd'hui et pour les 40 prochaines années avec une pacification de la Nouvelle-Calédonie ? » En répondant dans la foulée: « Oui, peut-être faut-il y réfléchir. »
Si les députés RN ont voté dans la nuit de mardi à mercredi cette réforme du corps électoral - qui doit encore être entérinée par les deux chambres parlementaires réunies en Congrès -, Marine Le Pen n'hésite pas à épingler « le calendrier » et « la méthode » choisis par le gouvernement.
« Je tiens pour responsable le gouvernement » de la situation insurrectionnelle, a encore appuyé jeudi Jordan Bardella, appelant désormais au « pragmatisme » face à des « réalités nouvelles » et prônant un nouvel « accord global qui offrirait aussi à une population (kanake), qui représente 40%, de l'île la perspective de vivre aux côtés des loyalistes ».
Le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, réunira les assureurs « la semaine prochaine » afin de « garantir une indemnisation rapide et juste » des dégâts causés par les violences en Nouvelle-Calédonie, a annoncé ce vendredi son cabinet. Le montant des dégâts économiques est encore en cours d'évaluation et sera communiqué lorsqu'il sera « stabilisé et fiable », selon la même source, relayant le « soutien » de Bruno Le Maire « aux élus et au monde économique de Nouvelle-Calédonie ». Le cabinet du ministre n'a pas donné de date précise pour la réunion prévue avec les assureurs.Bruno Le Maire réunit les assureurs la semaine prochaine
(Avec AFP)