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Trois millions de visiteurs concentrés sur une petite dizaine de semaines, une sur-fréquentation des sites exceptionnels - sanctionnée dans un passé récent par un déclassement de la Réserve naturelle de Scandola par l'Unesco - des routes aussi encombrées que les conteneurs à déchets et une hausse de la consommation d'eau en période de sécheresse : voilà ce qui donne du grain à moudre aux tenants du tourisme-bashing galopant au sein d'une population censée être consciente du caractère vital de l'activité pour l'économie de la Corse.
Vue par le prisme des professionnels de l'hôtellerie et de la restauration, la situation est tout aussi bilieuse : la croissance effrénée des meublés de tourisme au détriment de l'hébergement marchand (hôtels, gîtes et campings) et quelques billets de transport de 800 euros le trajet Paris-Corse, qui font les choux gras des réseaux sociaux, ajoutent à la morosité ambiante et à l'angoisse d'une saison 2024 déprimante.
Aussi, c'est avec une curiosité mâtinée d'optimisme que l'on regarde l'initiative, inédite en France et même en Europe, imaginée par la CCI de Corse, qui fait la preuve en l'occurrence de son esprit créatif, et reprise par la Collectivité de Corse pour sa mise en œuvre. Le dispositif, baptisé « Achat de flux », a pour objectif de renforcer, d'élargir et d'annualiser les liaisons aériennes, domestiques et internationales, à destination de la Corse et ce, en dehors des lignes de service public, Paris, Nice et Marseille.
Dix destinations choisies, nationales et internationales
Le projet, juridiquement innovant, vise non seulement à conforter la desserte aérienne de l'île mais permet de promouvoir une gestion responsable, raisonnée et durable de son tourisme. Le principe est simple : la Collectivité de Corse, compétente dans le domaine des transports et propriétaire des quatre aéroports internationaux (Ajaccio, Bastia, Calvi et Figari), lance un marché auprès des opérateurs du transport aérien pour obtenir des flux de passagers, lissés tout au long de l'année et particulièrement sur les ailes de saison. Le premier appel a concurrence concernera dix lignes. Six lignes internationales (Bruxelles, Rome, Milan, Francfort, Genève et Londres) et quatre lignes nationales (Bordeaux, Nantes, Strasbourg et Toulouse). Des bassins géographiques de population choisis, sur la base des recommandations de l'Agence de Tourisme de la Corse, pour leur gisement potentiel de visiteurs et donc de retombées économiques pour la Corse en marge de la haute saison. Au total, dès la première année de lancement, l'accroissement des flux serait de l'ordre de 25% soit environ 600.000 passagers.
Les avantages sont légions : diversification des marchés sources, fréquence accrue des vols existants et création de nouvelles liaisons, réduction sensible de la pression sur les ressources naturelles et les infrastructures - grâce à une fréquentation étirée dans le temps et plus homogène - augmentation de la rentabilité des aéroports et, bien sûr, soutien à l'économie locale, les entreprises issues des filières touristiques mais aussi les artisans et les commerçants qui bénéficieraient d'une source de revenus régulière et stable.
Gilles Simeoni s'est laissé convaincre par la vision consulaire : « Ce mécanisme est vertueux, argumente-t-il. Il suscite, en période creuse, un trafic qui n'existe pas ou de façon marginale et ne finance pas la fréquentation en haute saison. » Le président du Conseil exécutif de Corse a été rendu destinataire d'un courrier cosigné par les principales organisations socio-professionnelles insulaires du tourisme qui exprime leur adhésion au projet. L'Assemblée de Corse s'est ralliée à leur cause et l'a voté ce jeudi.
Une compensation financière pour les compagnies
Les compagnies aériennes qui remportent le marché s'engagent concrètement à transporter chaque mois, sur une période de quatre ans, un nombre minimal de passagers à partir des villes citées plus haut. Ce « trafic garanti » constituerait donc une obligation de résultat pour elles. Les contrats, conclus dans le strict respect des législations nationales et européennes, prévoient que les compagnies concessionnaires ne bénéficieront d'aucune exclusivité sur les lignes exploitées. Par ailleurs, en cas de non-respect des engagements pris sur le volume des flux de passagers à acheminer en Corse, ces dernières s'exposent à une pénalité financière. Dès lors, la question se pose légitimement : qu'est-ce qui pourrait donc inciter les opérateurs aériens à répondre à une procédure de mise en concurrence qui fait peser sur leur tête une épée de Damoclès ? D'abord, leur rémunération sera constituée par les recettes tarifaires que cette nouvelle perspective de marché leur offre, car la Corse demeure malgré tout une destination attractive. Ensuite, ils se verront octroyer le paiement d'un prix unitaire pour chaque passager acheminé dans l'île de la part de la Collectivité de Corse, susceptible d'être répercutée sur le titre de transport pour séduire la clientèle. Le prix payé par la Collectivité sera plafonné et variera en fonction des mois et des aéroports concernés. Il sera égal à zéro pour les mois de juillet et d'août.
En revanche, si l'économie locale, éminemment saisonnière, pourra tirer profit de ce dispositif novateur et très prometteur, il ne coûtera pas un centime au contribuable corse. L'argent investi pour aider les compagnies aériennes concessionnaires proviendra du produit fiscal que perçoit la Collectivité de Corse au titre du trafic passagers qui va augmenter mécaniquement et de manière significative. Le produit annuel et additionnel de la taxe sur les transports aériens est estimé à plus de 6 millions d'euros.
La mise en œuvre opérationnelle de l'achat de flux aériens est prévue pour le printemps 2025.