Liaison aérienne entre la Corse et le continent : la demi-victoire d’Air Corsica

C’est donc à l’unanimité des élus de l’Assemblée de Corse que la compagnie régionale a remporté devant la compagnie low-cost Volotea l’appel d’offres pour les liaisons dites de « bord à bord » entre les quatre aéroports de l’île et Nice et Marseille. Mais pour la desserte sur Paris-Orly, l’attribution a été repoussée au printemps… faute de crédits suffisants.
(Crédits : Reuters)

Ce n'est pas une surprise. On peut même parler de formalité. Pas une seule voix n'a manqué à l'Assemblée de Corse pour confier à Air Corsica les rênes de la délégation de service public (DSP) relative à la desserte aérienne entre, d'une part, les quatre aéroports de Corse (Ajaccio, Bastia, Calvi et Figari) et, d'autre part, les deux destinations de bord à bord, Nice et Marseille. Et ce, pour la période 2024/2027. Bien que relativement moins-disant dans sa demande de compensation financière, l'opérateur Volotea, compagnie de la Catalogne, unique concurrent soumissionnaire, n'avait pas la moindre chance de s'imposer car, à l'évidence, le choix des élus de la Corse, sur proposition du président du Conseil exécutif Gilles Simeoni, était politique et pas économique.

Mais Air Corsica est loin de la jubilation. Elle n'a donc remporté que la première manche. S'agissant des liaisons avec Paris-Orly, pour lesquelles Volotea est également sur les rangs, le vote a été repoussé au mois de mars en raison d'une enveloppe de continuité territoriale* insuffisante.

Air Corsica : l'affection et un peu plus...

Dans le match du « bord à bord », la victoire d'Air Corsica était acquise pour plusieurs raisons. D'abord, les élus de la majorité nationaliste comme ceux de l'opposition y sont viscéralement attachés. Air Corsica a été créée à l'initiative d'un élu de l'Assemblée, Philippe Ceccaldi, en 1989, c'est un peu la fille « ailée » de la Corse que l'on regarde toujours avec affection. Ensuite, elle représente une grande valeur ajoutée humaine : Air Corsica, c'est près de 1.500 emplois directs et induits (maintenance, assistance, exploitation...) et sa disparition, inéluctable si elle perdait l'appel d'offres, constituerait un séisme social et économique sans précédent pour un territoire dont le niveau de vie se situe parmi les plus faibles de France. D'ailleurs, jeudi, jour de session de l'Assemblée de Corse, les syndicats unis s'étaient rassemblés devant les grilles à l'appel du STC (le syndicat des travailleurs corse, nationaliste) qui martelait son message : « Le service public a un coût mais n'a pas de prix ! ».Enfin, l'ouverture des plis a permis de constater que les écarts entre les deux compagnies candidates étaient relativement modérés. La compensation financière demandée par Volotea pour la durée de la DSP s'élève à 36,1 millions d'euros contre 39,4 millions d'euros pour Air Corsica. À titre d'exemple, la différence annuelle pour la ligne Bastia-Marseille est faible (10,4 millions d'euros pour Volotea contre 11 millions d'euros pour Air Corsica). D'autres éléments ont fait pencher la balance du côté de la compagnie corse : les espaces d'accueil dans les aéroports de Nice et de Marseille spécifiquement dédiés aux résidents qui se déplacent pour des raisons médicales (environ 26.000 par an), les défaillances de Volotea généreusement relayées dans les médias insulaires -  dont la dernière en date est la condamnation par la cour d'appel de Bordeaux pour travail dissimulé de dix-huit pilotes - le critère environnemental favorable à Air Corsica dont la flotte a une meilleure empreinte carbone que sa concurrente, mais aussi, selon l'Office des Transports de la Corse et le STC , une plus grande fiabilité financière « alors que Volotea est en attente d'une recapitalisation ».

Paris-Orly : un report et des doutes

Mais tous les nuages ne sont pas dissipés dans le ciel d'Air Corsica. « Le vote est incomplet et donc imparfait » admet à regret Gilles Simeoni pour qui ce dossier est « le plus important de la mandature ». L'équation est simple ou plutôt compliquée : l'enveloppe de continuité territoriale est de 187 millions d'euros. 107 millions d'euros ont été mobilisés pour la DSP maritime. Une partie des 80 millions d'euros restants va au budget de fonctionnement de l'Office des Transports à des investissements portuaires. En réalité, il manque 20 millions d'euros pour la desserte aérienne de service public. Les députés nationalistes ont récemment obtenu par voie d'amendement une rallonge de 40 millions d'euros mais pour cette année seulement. Comme l'a rappelé Gilles Simeoni, l'enveloppe de continuité territoriale n'est plus indexée au coût de la vie depuis 2009. Si elle l'avait été, elle s'élèverait de nos jours à plus de 300 millions d'euros, surtout avec la flambée du prix du carburant.

Par conséquence, le vote pour attribuer le marché entre les plateformes corses et Paris-Orly a été différé au mois de mars 2024. Que peut-il se passer d'ici là pour que la procédure soit menée à bon (aéro)port ? Deux choses, selon Jean-Félix Acquaviva, député nationaliste, « l'assurance du gouvernement d'avoir une dotation de continuité territoriale revue à la hausse et octroyée de manière pérenne, une revendication qui est au cœur du processus en cours sur un futur statut d'autonomie et que les deux compagnies concurrentes revoient leurs exigences à la baisse à la faveur des négociations qui se poursuivent avec elles. » Mais ce n'est pas le seul écueil. Si la Commission européenne a accepté le maintien d'un tarif résident pour les Corses qui se déplacent en avion, elle est très rétive au maintien d'un service public sur Paris-Orly pour deux raisons au moins. D'abord dans sa philosophie, la notion de desserte de service public pour une île doit se limiter à la rive la plus proche, donc confinée au seul « bord à bord » ; ensuite seuls 18 % des résidents corses empruntent les lignes entre l'île et Paris-Orly, ce qui démontre en creux le problème posé par la croissance débridée des résidences secondaires. Il aura fallu la force de conviction du Conseil exécutif et le soutien de la Direction générale de l'Aviation civile pour que l'Europe accepte le maintien de Paris dans le périmètre de la DSP. Mais dans quatre ans, c'est fichu. Et la perspective d'un retrait total d'Orly d'Air France, partenaire historique d'Air Corsica, n'arrange pas les choses.

Volotea, toujours en embuscade

Si Air Corsica veut conserver durablement la desserte sur la Capitale, dont dépend aussi sa survie, elle devra changer son modèle économique pour produire de nouvelles recettes, par exemple, en déployant ses ailes vers d'autres destinations européennes et méditerranéennes. Un challenge difficile à relever.

Volotea, pour sa part, a pris acte du vote de l'Assemblée de Corse. Dans un communiqué émis depuis Barcelone, elle annonce poursuivre les négociations pour les lignes sur Paris-Orly et rappelle qu'en dix ans, elle a acheminé, vers et depuis la Corse, près de 6,5 millions de passagers. En revanche, aucune allusion à un éventuel recours devant une juridiction administrative. La compagnie de la « sœur autonomiste » catalane la joue fair-play. Pour le moment...

Le concept de continuité territoriale a été inventé en 1976 et adopté par le Parlement pour aligner le coût de la traversée entre la Corse et le Continent sur le tarif du ferroviaire.

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Commentaires 3
à écrit le 02/12/2023 à 8:49
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Départ Nice Marseille la région PACA a une forte concentration de famille issue de l'île Les prix hesorbitans des billets pour l'île posent question sur le choix de cette compagnie qui se gave. Difficile de passer des WE en famille aux prix fous de...

le 02/12/2023 à 9:19
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Bon à savoir, avec environ 1000 salariés (Air Corsica + Air France) vivant en Corse (salaires dépensés en Corse, cotisations sociales versées aux organismes français, impôts payés au Trésor français, etc.) cela devrait peser plus que la compagnie low...

le 02/12/2023 à 13:11
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Bonjour, Intéressant votre commentaire Pour ce qui est de la concurrence salariale rien n'interdit au donneur d'ordre d'imposer ses conditions. Pour ce qui de la ristourne aux résidants je vous invite à regarder combien coûte sur AF un aller retour P...

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