Petite bibliothèque pour tenter de se mettre à l’heure des JO

Avant que la compétition ne commence, un échauffement – littéraire ! – s’impose, d’autant plus que la fureur politique a comme souff lé la flamme olympique. Pour essayer de la raviver, au moins un tantinet, on a demandé à deux écrivains férus qui de natation, qui du ballon rond, Pierre Assouline et Olivier Guez, quel était leur livre de sport fétiche. La rédaction de « La Tribune Dimanche » aussi a joué le jeu. Avec, en sus, quelques nouveautés.
« La petite communiste qui ne souriait jamais », livre de Lola Lafon.
« La petite communiste qui ne souriait jamais », livre de Lola Lafon. (Crédits : © LTD / Mondadori Portfolio/Archivio Angelo Cozzi/Angelo Cozzi.)

L'intelligence de la natation - Par Pierre Assouline, de l'académie Goncourt*

Un écrivain n'est jamais requis d'écrire ses œuvres complètes. La parution d'un seul livre peut lui assurer une gloire durable à condition que ce soit le livre de sa vie. Héros et nageurs de Charles Sprawson (Karachi, 1941-Londres, 2020) est un livre culte, mais l'expression est si galvaudée que l'on s'en veut déjà de le banaliser ainsi. Car c'est le genre de texte susceptible de provoquer un émerveillement chez ses lecteurs.

Lire aussiNos critiques littéraires de la semaine

Paru à l'origine en 1992 à Londres, puis en français dans une traduction de Guillaume Villeneuve aux éditions Nevicata en 2019 (et en format de poche chez Flammarion dans la collection « Champs »), c'est un texte aussi scintillant que sa couverture. Il faut oublier la citation assez pessimiste d'un personnage du film Quai des brumes que l'auteur place en épigraphe (« Quand je vois un nageur, je peins un noyé ») pour mieux s'y plonger. Il regorge d'informations, de coups d'œil, de choses vues ou lues qui enrichissent comme peu d'autres notre intelligence de la natation sous ses facettes les plus inattendues. L'auteur y dépeint les Anglais du XIXe siècle comme hostiles à cette activité, la jugeant inappropriée pour un gentleman bien né car elle se pratiquait nu. Il n'est pas surprenant qu'il leur fasse la part belle car ils sont aussi ceux qui ont inventé le premier cercle de natation national en 1828. Mais il n'y en a pas que pour eux. On comptait quelque huit cents piscines dans l'ancienne Rome ; à sa chute, la capacité de séduction de l'eau chuta également. Dans les années 1930, les meilleurs nageurs mondiaux étaient japonais, etc.

En souvenir de Byron

En lisant cet essai fort d'une belle érudition, généreuse et polyglotte, on a souvent l'impression que, sous cette plume, un mot rencontre un autre pour la première fois. Il y est question de qualité de la battue, de sens de l'eau, de lecture du bassin, de chorégraphie natatoire, d'ondulation du serpent, de crawl moulinant, de style en fléau, de manière australienne. Marchand de tableaux, Charles Sprawson fut lui-même un nageur passionné (et comment eût-il pu en être autrement ?) qui traversa l'Hellespont à la brasse indienne en souvenir du poète Byron. Précis de littérature natatoire, Héros et nageurs est l'autobiographie d'un illustre inconnu et qui entendait le rester. Un livre pour ceux qui barbotent dans le lac, alignent les longueurs dans les bassins en comptant les carreaux de faïence au fond ou une fois en mer se donnent à leur quête spirituelle de l'eau. Paul Valéry tenait la natation pour « une fornication avec l'onde ». Entendez que nager en mer l'excitait grave. Il est vrai que lorsqu'on nage, on se sent détaché de la vie ordinaire, dans un état où la dilatation du temps et les contrastes de température contribuent au sentiment d'exaltation béate qui s'empare du nageur. Lorsque George III, roi du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande, nageait au large de Weymouth, il se faisait accompagner par un orchestre de chambre. Aujourd'hui, on ne compte plus les Georges qui crawlent avec des écouteurs dans les oreilles. O tempora, o mores !

*Le Nageur, Gallimard, 2023. À paraître le 21 août : Comment écrire, Albin Michel.

HÉROS ET NAGEURS, Charles Sprawson, traduit de l'anglais (Royaume-Uni) par Guillaume Villeneuve, Nevicata, 288 pages, 22 euros.

Nadia for ever

Montréal 1976. La gymnaste roumaine Nadia Comaneci, elfe de 14 ans au justaucorps immaculé, a fait dérailler les compteurs. L'inoubliable « un virgule zéro zéro » qui est en fait un 10, le perfect ten jamais atteint jusque-là. Le replay proposé par Lola Lafon dans le roman pénétrant - couronné de nombreux prix lors de sa parution en 2014 - qu'elle consacre à « la petite communiste qui ne souriait jamais » est un éblouissement.

L'écriture se hisse à la hauteur du prodige. L'écrivaine se fait - et à nous aussi - le plaisir de relever, en prime, que la sylphide a « flanqué aux hommes la raclée de leur vie » en exécutant un double saut périlleux « que seuls les garçons réussissent ».

De cette prestation magique qui propulse l'athlète star planétaire jusqu'à sa fuite de Roumanie en 1989, Lola Lafon épouse le corps de Nadia. Métaboliquement, sentimentalement, mythologiquement. Ce corps d'une gamine idolâtrée qu'« un contrat amoureux lie à la terre entière depuis 1976 ». Ce corps « capable d'inscrire le feu dans l'air, une Jeanne d'Arc magnésique ». Cette fée-fillette que le monde refusera de voir se transformer en femme. Lola Lafon explore chacun des mouvements de ce corps dans l'espace - olympique et patriarcal.

Rêveries

Mais pour que Nadia ne soit pas seulement un corps, la romancière a ménagé des échappées belles rien que pour elles deux : des dialogues imaginaires entre la narratrice et son personnage. C'est l'occasion pour la première, qui elle aussi a été élevée sous le portrait de Ceausescu, d'emprunter la voix de Nadia afin de régler quelques comptes avec le capitalisme.« À travers vous, le pouvoir faisait la promotion d'un système. La réussite totale du régime communiste, l'apothéose de la sélection : l'Enfant nouvelle surdouée, belle, sage et performante », assure l'écrivaine à Nadia. Laquelle répond : « Ah oui, bien entendu ! Les Roumains vendaient le communisme. En revanche les athlètes français ou américains, aujourd'hui, ne représentent aucun système, n'est-ce pas, aucune marque !!... » Les rêveries n'empêchent pas la politique. Au contraire. A.C

LA PETITE COMMUNISTE QUI NE SOURIAIT JAMAIS, Lola Lafon, Babel, 320 pages, 9,20 euros.

Emil ou de l'envie de courir

C'est l'histoire d'une course jubilatoire. Celle du coureur de fond tchèque Emil Zatopek, auteur d'un des plus grands exploits de l'histoire de l'athlétisme, toujours inégalé, en remportant lors des mêmes Jeux olympiques à Helsinki, en 1952, le titre sur 10 000 mètres, sur 5 000 mètres et sur le marathon. Ce sportif de légende est au cœur de la biographie romancée de Jean Echenoz publiée en 2008. Probablement l'un des plus des plus beaux livres consacrés à la course à pied. Respectant la chronologie, l'auteur se concentre sur quelques faits marquants de la carrière de ce grand sportif. Il s'attache surtout à montrer le goût et le sens de l'effort de celui que l'on surnomma la « locomotive tchèque ». Il décrit également l'ambiance politique de ces années dans une démocratie populaire - celle des pays du bloc de l'Est - qui tentait de gérer, à son bénéfice, la carrière de son champion.

Zatopek commence à cultiver ses aptitudes pour la course à pied durant l'occupation nazie. Au lendemain de la guerre, lors des JO de Londres de 1948, il devient l'une des gloires de l'athlétisme mondial. Il symbolise surtout le héros idéal d'une Tchécoslovaquie tenue d'une main de fer qui se sert de lui comme d'un objet de propagande pour le régime communiste, le présentant dans les villes et les usines comme le résultat vivant de la supériorité de cette doctrine. Héros de cette dictature du marteau et de la faucille, le champion tombe en disgrâce après le printemps de Prague et sa prise de position contre l'invasion soviétique. Exclu du PC et de l'armée, contraint à faire son autocritique, il est envoyé dans une mine d'uranium. Sa fin de vie sera celle d'un homme oublié de tous.

Hors normes

Avec sa plume légère, Jean Echenoz décrit les hauts et les bas vertigineux de ce sportif courageux et intègre, qu'il nomme Émile jusqu'aux deux tiers du livre, avant de l'appeler Emil sans e, puis Emil Zatopek. Comme pour mieux le rendre à la postérité. Celle d'un héros éternel, champion hors normes et patriote exemplaire. B.J

COURIR, Jean Echenoz, Éditions de Minuit, 144 pages, 15 euros.

À vos justo !

Gamba ! Gamba les filles ! Gamba la France ! » Le cri résonne dans les gymnases et se fait hashtag pour accompagner les posts Instagram et vidéos TikTok d'exploits à la poutre ou aux barres asymétriques. Dérivé d'une expression populaire italienne « essere in gamba » (être en jambes), le mot claque sur la couverture de ce premier roman de Sophie Tavert Macian où elle nous immerge dans le quotidien d'un pôle d'entraînement d'une équipe féminine de gymnastique de haut niveau.

Au moyen d'un mot, donc, mais aussi d'une odeur, d'un geste, celle qui jusque-là était scénariste et réalisatrice de films d'animation téléporte son lecteur dans l'univers de futures médaillées olympiques, des « mutantes mi-filles, mi-guerrières ». Une tenue lavée à la main dans le lavabo de la salle de bains, des ampoules générées par les frottements des barres que l'on perce à l'aiguille chauffée au briquet, du Satien que l'on s'applique religieusement sur la peau avant d'enfiler son justaucorps pour que celui-ci reste bien en place... On y est. Ça sent la magnésie et la transpiration. Les descriptions des figures de gym sont magistrales. « Chaque acrobatie est un voyage fulgurant dans l'espace, là où le corps n'a plus ni gravité ni repère », écrit-elle. Et la championne de ce roman s'appelle Maëlys, boulet de canon qui n'est pas sans rappeler la gymnaste française Mélanie de Jesus dos Santos. Réunionnaise, elle a quitté son île au prix de lourds sacrifices financiers de la part de sa mère et de sa sœur pour rejoindre un pôle d'élite en vue des JO.

Bande de filles

Au-delà de la plongée dans un sport de haut niveau, Gamba est un roman sur une bande de filles. Des adolescentes coupées de leur famille, à l'emploi du temps et au régime alimentaire sur-contrôlés, qui restent cependant des gamines avec les posters punaisés (principalement ceux représentant Simone Biles, « le bolide afro-américain qui invente de nouvelles figures, qui leur donne son nom et qui marque pour toujours l'histoire du sport ») qui « tchipent », se chambrent entre « bestah » et trouvent du réconfort auprès de leur « commu » sur les réseaux sociaux. Il y a la compétition, les jalousies, mais lorsque le drame surgit, elles feront corps. Une mention spéciale pour la subtile relation entre un entraîneur et sa championne, loin de celle, tumultueuse, entre Philippe Lucas et Laure Manaudou. Alors, gamba en librairie ! A-L.W

GAMBA, Sophie Tavert Macian, Belfond, 256 pages, 21 euros.

Zlatanographie

Quand Zlatan se présente, il peut dire « Je suis Zlatan, et toi, qui diable es-tu ? » Quand Zlatan trouve la maison de ses rêves, il va voir les propriétaires et s'explique : « Nous sommes ici parce que vous vivez dans notre maison. » Quand Zlatan part dans son premier club pro, il achète une voiture à crédit et se retrouve sans rien à manger parce qu'il n'avait « pas compris qu'il [lui] fallait attendre un mois avant de toucher [s]on premier salaire ». Ah, et quand Zlatan prend sa Ferrari, il peut monter à 325 km/h, ce qui fait dire à ses passagers « Zlatan, ralentis nom de Dieu, j'ai une famille ! », ce à quoi il répond « Et moi alors, espèce de gros con, je n'en ai pas ? »

N'en jetons plus ! Passé par l'Ajax Amsterdam, la Juventus Turin, l'Inter Milan, le FC Barcelone, le Paris Saint-Germain, le Suédois Zlatan Ibrahimovic a été un footballeur d'exception : science du dribble inspirée des Brésiliens, carrure de Terminator acquise en Italie, gestes déliés par les arts martiaux, buts terrestres ou aériens d'anthologie... Il est aussi, ce qui est plus rare en football, une personnalité d'exception, qui a fait ce qu'il fallait pour devenir un personnage public grâce à un sens très personnel de la formule, entre orgueil éhonté et fine autodérision. Cela a commencé lorsqu'on lui a demandé de commenter un but : « D'abord je suis allé à gauche, et il m'a suivi. Puis je suis allé à droite et lui aussi. Puis j'ai repris à gauche et il est parti s'acheter un hot dog. » Tout cela se devait de finir en livre.

Gourmandise experte

Cosigné par l'excellent écrivain suédois David Lagercrantz, Moi, Zlatan Ibrahimovic, paru en 2013, reste l'un des meilleurs textes issus de la rencontre entre un ballon et un stylo. Il faut dire que la vie de Zlatan n'a rien d'ordinaire : né dans un foyer qui était la Yougoslavie à lui tout seul (père bosnien, mère croate), et qui finit divisé comme tel, Zlatan grandit dans les HLM du quartier de Rosengard, où « tout le monde conduit, qu'on ait le permis ou pas ». Quand il passe au très chic club de Malmö, les parents lancent des pétitions pour qu'il soit renvoyé... La suite livre le portait hallucinant d'un champion qui ne fait rien comme tout le monde. Qui n'a pas épousé un mannequin mais une cadre supérieure plus âgée qui le traite volontiers de crétin (lui l'appelle son « evilsuperbitchdeluxe »). Qui nous raconte ses exploits sportifs avec une gourmandise experte et un égotisme d'autant plus confondant qu'on ne peut guère le lui reprocher : c'est une des conditions de sa réussite !

Tout cela vous paraît loin de l'esprit d'humilité olympique ? En effet, cet autoportrait d'un gamin né dans une dure réalité puis précipité dans le monde hors-sol des stars surpayées relève plutôt de l'hubris footballistique. Cependant le sens de la démesure qui anime Zlatan, sa rage contre l'adversité qui se dresse ou qu'il s'invente, son obsession pour la réussite se retrouvent à la racine de toute carrière de champion. Mais il faut être Zlatan pour revendiquer tout cela avec une telle insolence ! A.B

MOI, ZLATAN IBRAHIMOVIC - MON HISTOIRE RACONTÉE À DAVID LAGERCRANTZ, traduit de l'anglais par Olivier Villepreux, Le Livre de poche, 512 pages, 9,70 euros.

Comment les JO ont offert à Hitler une légitimité nouvelle - Par Olivier Guez, prix Renaudot 2017*

Je me suis souvent demandé pourquoi le Front populaire n'avait pas boycotté les Jeux olympiques de Berlin. Les nazis terrorisaient leurs adversaires politiques depuis leur prise du pouvoir et les enfermaient dans des camps de redressement dont ils ne faisaient pas mystère. Les lois de Nuremberg « pour la protection du sang et de l'honneur allemands » avaient fait des Juifs allemands des parias ; l'armée allemande avait réoccupé la zone démilitarisée de la Rhénanie en mars 1936, violation flagrante du droit international. Les Alliés savaient. Hitler « écrase froidement tout ce qui le gêne », écrivait André François-Poncet, ambassadeur de France à Berlin. « Pour le parti [nazi], la tenue des JO est devenue le symbole de sa conquête du monde... », avertissait le consul général américain. Deux mois avant les JO, l'écrivain Heinrich Mann avait prononcé un appel solennel à Paris : « Les sportifs qui iront à Berlin ne seront là-bas que les bouffons d'un dictateur qui se prend déjà pour le maître du monde... » Le gouvernement du Front populaire décida néanmoins de maintenir le cap dessiné par les gouvernements précédents. « Blum ne veut ni risquer d'encourager l'antisémitisme d'une partie de l'opinion ni mettre en péril l'équilibre des relations diplomatiques entre la France et l'Allemagne... ; aucune des grandes puissances ne veut risquer de crise diplomatique avec l'Allemagne. Toutes s'en remettent au Comité international olympique et le CIO ne peut plus revenir en arrière », écrit Jérôme Prieur dans Berlin - Les Jeux de 36. Seul le jeune Pierre Mendès France vota contre la participation française lors du vote organisé à la Chambre le 9 juillet. La droite l'approuva ; la gauche s'abstint, courageusement.

Invincibles

On trouve beaucoup de choses dans le petit livre de Jérôme Prieur ; des choses dont l'écho retentit encore à la veille de nos JO parisiens en cet été 24. Matière à réflexion : les Jeux de Berlin sont les premiers de l'ère moderne. Leur gigantisme et les moyens colossaux que leur consacre le régime nazi font basculer le sport dans une ère politique nouvelle. Il devient un champ de bataille, outil de propagande, étalage de puissance. Le culte du corps, jeune, fort et sain. « Jamais l'humanité n'a été spirituellement et physiquement plus proche de l'Antiquité qu'aujourd'hui », se félicite Hitler. Le corps plastique que les caméras de Leni Riefenstahl magnifient au stade olympique de Berlin est devenu l'obsession du monde contemporain. « La vérité est que les gens qui rendent un culte à la santé ne peuvent pas demeurer sains », avait pourtant mis en garde G.K. Chesterton dans une biographie de saint François d'Assise. L'apolitisme des (trop) puissantes instances sportives internationales. Il est le meilleur allié des dictatures en leur offrant une légitimité, une popularité nouvelles. Jérôme Prieur observateur français de l'époque: « Un frémissement d'orgueil, parti du stade berlinois, s'est répandu sur toute l'Allemagne. Il a secoué les plus indifférents, même les adversaires du régime. » Grâce aux JO, Hitler persuada les Allemands qu'ils n'avaient jamais été vaincus et qu'ils étaient invincibles. Des centaines de millions d'Européens en payèrent le prix. O.G

Une passion absurde et dévorante - Écrits sur le football, L'Observatoire, 2021. À paraître le 14 août : Mesopotamia, Grasset.

BERLIN - LES JEUX DE 36, Jérôme Prieur, La Bibliothèque, 170 pages, 14 euros.

Les « pourquoi ? » de Vandel

Qu'il est confortable de trouver un livre qui a réponse à tout. C'est le créneau du journaliste - et chroniqueur à La Tribune Dimanche - Philippe Vandel, qui, depuis Radio Nova en 1993, se demande au fil de ses émissions télé, chroniques radio ou podcasts : « Pourquoi ? » Dans son dernier opus, l'insatiable socratique colle à l'actualité et répond à 75 questions, des plus évidentes aux plus insolites, ayant trait aux Jeux olympiques. Avec une joyeuse pédagogie, il passe au crible les règles des sports, l'histoire des disciplines, les tenues des athlètes, l'aérodynamisme des accessoires... À la lecture nous prend l'envie irrésistible de partager notre découverte. Par exemple : savez-vous pourquoi les courses à pied se déroulent dans le sens inverse des aiguilles d'une montre (contrairement à la formule 1) ? Le sens antihoraire serait « plus naturel ». En 2004, un chercheur japonais a voulu comprendre et a observé, en faisant courir un 400 mètres aux mêmes sportifs dans les deux sens, une différence de deux secondes avec la corde à gauche. En cause, bien sûr l'habitude de s'entraîner dans le sens antihoraire, mais aussi une raison physiologique : l'hémisphère droit du cerveau dirigeant la perception de l'espace, la vision est meilleure à gauche. Ajouté au fait que la jambe droite est généralement la jambe d'appel, tourner à gauche est plus aisé. Voilà une question qu'on ne se posait pas mais dont on est bien content de connaître la réponse. Philippe Vandel nous apprend aussi que la France devrait remporter plus de médailles que d'habitude grâce à « l'avantage du jeu à domicile ». Les sportifs seront portés par la liesse des supporters mais aussi par un réflexe primaire de défense du territoire qui fait monter le taux de testostérone et les rend plus performants. De quoi briller à l'apéro cet été. A-L.W

Au sommet de leurs arts

À l'instar de Pierre-Louis Basse, nous avions un peu oublié la souffrance d'Emil Zatopek pendant ses courses. C'est la justesse du trait de crayon d'Ernest Pignon-Ernest qui nous la rappelle : « Cette bouche qui se tord échappe à tous les palmarès. » Point n'est besoin d'être passionné par le sport pour trouver fascinants les destins des sportifs, d'autant plus quand ils sont saisis par le plasticien et racontés par l'un des plus grands journalistes sportifs. Dans La Ruée vers l'or, les deux hommes mêlent leurs arts et talents au service de l'olympisme. Nous voici, par exemple, en 1960, à Rome, avec le tout jeune Cassius Clay. Il y dispute le tournoi olympique des mi-lourds. « Tout est déjà là », écrit Basse, chez ce jeune homme qui deviendra un monstre sacré : « Le balancement des jambes comme un danseur de claquettes ; cette piqûre qui affleure au bout d'une droite dévastatrice ; cette vitesse démente qui lui permet d'enchaîner une grêle de coups, après avoir fait semblant de chavirer dans le vide. » Sur les dessins en noir et blanc, on devine la grâce du boxeur. La même que l'on trouve chez Dick Fosbury avec ce corps qui s'étire et se vrille au-dessus de la barre. Des portraits - de Jesse Owens à Teddy Riner - d'une élégance rare. A.M

LA RUÉE VERS L'OR, Ernest Pignon-Ernest et Pierre-Louis Basse, En exergue, 240 pages, 39,90 euros.

Murakami écrit comme il court, et inversement

Les allergiques à la course à pied auraient tort de dédaigner Autoportrait de l'auteur en coureur de fond. Ce serait mésestimer la portée de cet essai publié en 2007 par Haruki Murakami, infiniment plus digeste que les marathons auxquels s'astreint l'écrivain japonais chaque année depuis l'âge de 33 ans. Dans sa trilogie 1Q84, le romancier célébré dans le monde entier fait se rejoindre deux univers. Dans cet Autoportrait, il confronte les deux piliers de sa vie jusqu'à les fusionner. Il écrit comme il court, il court comme il écrit. Patiemment, progressivement, obstinément, malgré un talent qu'il juge limité dans les deux cas. Une activité nourrit l'autre. Écrire plusieurs heures chaque jour exige une concentration et une robustesse physique que Murakami cultive grâce à la course à pied. Courir réclame un sens de la discipline et une persévérance que l'écriture entretient. Le propos est universel. Peu importe ses goûts, son univers, le lecteur trouve ici un mode d'emploi délicat. Chacun est invité à respecter ses inclinaisons, utiliser ses forces, composer avec ses faiblesses.

Preuve que Murakami n'envisage pas son activité de marathonien à la légère, il conclut son essai avec cette épitaphe qu'il désire voir gravée sur sa tombe : « Haruki Murakami. 1949-20**. Écrivain (et coureur). Au moins, jusqu'au bout, il n'aura pas marché. » S.C

AUTOPORTRAIT DE L'AUTEUR EN COUREUR DE FONDHaruki Murakami, traduit du japonais par Hélène Morita, Belfond, 182 pages, 19,50 euros.

Le football comme un commentaire de nos vies

Le football est une écriture. Sur le terrain vert s'élaborent des dispositifs, des schémas de jeu où le style a tout à voir. Dans Le cours du jeu est bouleversé, l'immense écrivain israélien Eshkol Nevo a relancé la partie. « Quiconque veut comprendre le secret de l'attrait qu'exerce le football ne doit pas se contenter de la composition des équipes. Ou des résultats. Car son emprise réside précisément dans les phases entre deux buts. Dans les mouvements du ballon d'un pied à l'autre, à la tête. Et, surtout, dans ces instants où, soudain, sans raison apparente, le cours du jeu est bouleversé du tout au tout », a écrit Nevo dans son deuxième roman publié en France (en 2010).

C'est l'histoire de quatre amis qui se sont connus durant leur adolescence à Haïfa. Youval, Amihaï, Ofir et Churchill. Ils ont 30 ans et encore de féroces ambitions lorsqu'un soir de juillet 1998, le 12, ils se réunissent pour regarder ensemble la finale de la Coupe du monde. Comme un jeu, qui s'avérera bien entendu cruel, ils imaginent alors noter sur des bouts de papier les désirs qu'ils aimeraient avoir assouvis quatre ans plus tard, pour la finale suivante. Le cours du jeu de leur vie sera bouleversé donc et rien ne se passera comme prévu. Il y a dans ces chapitres baignés d'une intense mélancolie quelque chose que l'on retrouve aussi dans les films de Sautet. Un sentiment du temps passé, perdu, des serments évanouis, de la faiblesse des hommes. O.M

LE COURS DU JEU EST BOULEVERSÉ,  Eshkol Nevo, traduit de l'hébreu par Jean- Luc Allouche, Gallimard, 432 pages, 23,30 euros.

Qui osera dire que le sport n'est pas politique ?

Voici un texte à ne pas mettre entre les mains de ceux qui réclament de ne pas mélanger le sport et la politique. Dans les anciennes républiques yougoslaves, plus d'une fois les deux n'ont fait qu'un. Le journaliste italien Gigi Riva, qui fut correspondant dans les Balkans ravagés de la première moitié des années 1990, raconte la dernière guerre d'Europe - jusqu'à l'invasion de l'Ukraine par la Russie - à travers le destin de la dernière équipe nationale de football de la Yougoslavie unie. Que serait-il advenu si le Bosnien Faruk Hadzibegic avait réussi son penalty contre l'Argentine en quart de finale de la Coupe du monde 1990 ? Le défenseur, bien connu en France où il a joué et entraîné, est convaincu qu'un but de sa part aurait retardé l'éclatement de son pays.

L'auteur examine cette thèse pas si farfelue. Moins personnel que Once Brothers, le documentaire d'ESPN sur l'amitié gâchée des deux stars du basket à la même époque, le Croate Drazen Petrovic et le Serbe Vlade Divac, mais plus érudit, Le Dernier Penalty est une porte d'entrée pour comprendre une région complexe, traversée par les passions les plus ludiques et les haines les plus féroces. Un éclairage toujours d'actualité : la Serbie, présente à l'Euro de football, s'est moins illustrée sur les terrains que pour les rixes impliquant ses supporters ultranationalistes - y compris le fils de l'actuel Premier ministre - et leurs refrains hostiles au Kosovo. M.C

LE DERNIER PÉNALTY- HISTOIRE DE FOOTBALL ET DE GUERREGigi Riva, traduit de l'italien par Martine Segonds- Bauer, Seuil,192 pages, 19 euros.

Dans la tête de Mike Tyson

Avant de commettre ce qui suit, la bonne conscience m'a poussé à reprendre contact avec ce pavé qui m'avait happé. Il était là, pas très compliqué à trouver, au milieu des quelques autres livres de sport qui méritent leur place dans une bibliothèque. Celui-ci détonne : il n'est qu'une version poche qui a morflé. Je l'ai repris en main, reluqué, feuilleté. J'ai replongé. Bien plus longtemps que prévu. Dix ans après, j'ai repris un bout de ce voyage halluciné dans la tête de Mike Tyson, mis en musique par l'écrivain new-yorkais Larry « Ratso » Sloman, dont le bagout éthéré donne parfois l'impression d'être lové dans un fauteuil club pivotant à 360 degrés au sommet d'une montagne, les yeux mi-clos, les Pink Floyd dans le casque.

Harcelé, zozotant

Mike Tyson donc. Sa trajectoire bigger than life - harcelé, zozotant, voyou de quartier, colombophile (les pigeons, pas la série), rejeté, adopté, starifié, mangeur d'oreille, jeté en prison pour un viol qu'il nie, accro à tout, portant le deuil éternel de sa fille de 4 ans, propriétaire de tigres dans la vie et au cinéma... - suffirait à faire une formidable autobiographie. Mais il y a dans cette « vérité incontestée », le titre du livre en anglais, quelque chose d'incontestable : c'est une immense quête. Le plus jeune champion du monde poids lourds ne s'y donne pas le beau rôle. Il ne cherche ni excuse ni rédemption. Il veut s'approcher de la vérité. Elle fait aussi mal qu'un coup de poing dans le foie. Féroce.

Vous n'aimerez ou ne détesterez pas plus « Iron Mike » après ça. Mais il vous dépouillera de vos certitudes et vous noiera sans scrupule dans le marigot de la boxe, que vous soyez client ou non. La lumière arrive au bout ? Les démons réapparaissent ; vite, il faut ajouter un chapitre ! On en redemande, et on s'écœure un peu d'être autant fasciné par la déchéance et l'inaptitude au bonheur. Mais il vit et revient de tout. Au fond, c'est peut-être ça le message d'espoir... Son retour sur les rings, à 58 ans - il les fête aujourd'hui - contre un youtubeur de 27 ans, évidemment pour la beauté du sport, a été ajourné car il traîne un ulcère : une invitation au doute plus qu'à l'actualisation littéraire. S.C

LA VÉRITÉ ET RIEN D'AUTRE- AUTOBIOGRAPHIEMike Tyson, traduit de l'anglais (États-Unis) par Carole Delporte et Laurent Bury, Les Arènes, 602 pages, 21,50 euros.

Chlore et lycra mouillé

Cet album n'évoque pas le sport de haut niveau, ni les performances, ni les médailles. Et pourtant c'est un des livres qui parlent le mieux de la natation, de ses corps flottants, plongeants, se contorsionnant. La sensation est là, dans chacune de ces pages monochromes qui explorent toutes les nuances du bleu et du sentiment, dans la fluidité d'un découpage cinématographique multipliant les points de vue, en surface et sous l'eau, dans des cases souvent sans paroles qui ne disent que le chlore, les bruits étouffés et le lycra mouillé. Le Goût du chlore est l'album qui révèle Bastien Vivès. On est alors en 2008, l'auteur de BD a 24 ans. On y découvre un peintre de l'émotion et des micromouvements de la psychologie adolescente. Dans une piscine Art déco, des personnages sans nom font des longueurs sous la verrière. Il y a un jeune homme, pas encore adulte, qui s'astreint à aller chaque semaine à la piscine pour soigner une scoliose. Et une jeune femme, ancienne championne, qui file telle une sirène en Arena et va lui prodiguer quelques conseils. Lui y voit la naissance d'une idylle. Quant à elle... Une bande dessinée subtile et contemplative qui nous laisse le cœur fripé d'être resté un peu trop longtemps dans le grand bassin. A-L.W

LE GOÛT DU CHLOREBastien Vivès, Casterman, 144 pages, 18 euros.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 30/06/2024 à 19:24
Signaler
Nadia Comaneci a subi un véritable calvaire durant ses entrainements avec un entraineur particulièrement violent qui les frappait quand elles ne réussissaient pas, du coup cette dépossession de son propre corps rend l'ensemble moins beau. Elle n'a pa...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.