Nos critiques littéraires de la semaine

« Sept maisons vides », de Samanta Shweblin, « La vraie histoires des corsaires », de Dominique Le Brun, « L'Affaire Chanteclerc », de Robert Namias, le livre à relire de Bret Easton Ellis : découvrez nos critiques littéraires de la semaine.
Samanta Schweblin, auteure de Sept maisons vides.
Samanta Schweblin, auteure de Sept maisons vides. (Crédits : LTD / Maximiliano Pallocchini)

Les folles des logis

Dans le monde de banlieusards de Samanta Schweblin, sept histoires de psychés qui déraillent.

Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière », disait Michel Audiard. L'Argentine Samanta Schweblin n'est pas d'accord. Dans ces nouvelles pleines de déchirantes noirceurs, elle nous raconte la tragédie sans rémission des gens qui décrochent. Une mère obsédée par les maisons des autres embourbe sa voiture en pleine séance d'espionnage, des grands-parents tout nus kidnappent leurs petits-enfants, une vieille dame vit sa version peu glorieuse de l'éternel retour... Soit sept psychés malades, vues de l'intérieur ou de l'extérieur, débouchant sur sept histoires pleines d'ellipses retorses où les enjeux existentiels viennent se loger dans les objets les plus triviaux. Ce peut être un sucrier volé par notre mère espionne sous les yeux de sa fille consternée. Un maillot de bain ramassé par le père désemparé d'enfants disparus. Un outil emprunté par un jeune homme au mari d'une dame paranoïaque. Les habits d'un adolescent décédé jetés tous les quinze jours dans le jardin des voisins par une mère à bout. Quelle violence dans cette folie ordinaire !

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Des morts assis à vos côtés

Mais quel talent, aussi, pour nous emmener ainsi danser au bord de l'abîme tout en variant les rythmes - quelques pages pour la fulgurante Sortir, près de 80 pour La Respiration caverneuse, pleine de rebondissements.

Samanta Schweblin nous avait déjà tapé dans l'œil avec son roman Kentukis, portant sur notre monde connecté et sur d'étranges doudous électroniques capables de relier deux inconnus - le propriétaire de la bestiole et celui qui s'amuse à l'incarner. Ici, elle ne va pas si loin dans l'anticipation, mais s'approche parfois finement du fantastique. Puisque le réel ne tient qu'à nos cerveaux. Et qu'il suffit de peu de chose - une petite névrose, ou une grosse sénilité - pour basculer dans un monde où les morts viennent s'asseoir à vos côtés pour regarder la télé. Et comme pour ajouter à notre angoisse, cela se déroule souvent dans un monde banlieusard qui pourrait se trouver partout, avec ses maisons poreuses aux importuns, ses jardins investis par d'inquiétantes bandes d'ados, ses pelouses à saccager. Aux États-Unis, le livre a reçu le National Book Award de la meilleure fiction étrangère 2022. On peut donc encore croire en l'Amérique... (Alexis Brocas)

Sept maisons vides, Samanta Schweblin, traduit de l'espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon, Grasset, 176 pages, 18 euros.

Le Brun

(Crédits : © LTD / Tallandier)

Éloge du corsaire

Dominique Le Brun rend un hommage brillant à ces marins mercenaires qui font toujours rêver.

Surcouf, Jean Bart, les barbaresques ! En lisant ces noms, on sent le vent dans les voiles, le goût salé de la liberté et la poésie des cartes marines ! Eh bien, tout y est, dès les premières pages de cette Vraie Histoire des corsaires. Dominique Le Brun, écrivain du monde maritime et biographe de Surcouf, nous embarque dans une brillante odyssée qui commence avec les Vikings et se poursuit encore aujourd'hui.

Pourquoi aimons-nous tant les corsaires ? Sans doute parce que nous les voulons farouchement libres, aventuriers mais loyaux envers le souverain pour lequel ils agissent. On sourit en lisant que « le corsaire fait la guerre par délégation de service public ». Avant le XVIIe siècle, les puissances n'ont pas de flotte militaire permanente, pas même la Grande-Bretagne... Toutes font donc appel à eux. En Angleterre justement, nous voici sur les traces de sir Francis Drake, qui au XVIe siècle fait un tour du monde et des razzias sur les possessions espagnoles d'Amérique pour le compte de la Couronne. Sans parler des barbaresques en Méditerranée, souvent des chrétiens convertis à l'islam qui se mettent au service de l'Empire ottoman et du grand sultan et mènent « un jihad sur la mer ». Le plus connu, Barberousse, changera d'alliance au gré des événements pour combattre ensuite au nom de François Ier. Bien sûr, l'auteur raconte Jean Bart à Dunkerque, Surcouf à Saint-Malo et Cassard à Nantes. Que de caractères ! Il en fallait pour décliner l'offre de Napoléon d'intégrer la marine de guerre, comme Surcouf l'a fait.

Loup de mer

L'auteur relativise quelques légendes : Jean Bart n'a peut-être pas complètement sauvé le royaume de la famine. Mais le loup de mer à la pipe a bien cassé un blocus pour ramener un convoi de blé en 1694.

Dominique Le Brun nous apprend que la doctrine de la jeune US Navy imposait à ces officiers les règles adoptées par les corsaires : « l'interdiction absolue d'obéir à un code d'honneur suicidaire, et l'obligation de fuir en cas d'infériorité ». Si la guerre de course exercée par les corsaires est abolie depuis 1856, de nouveaux corsaires ont fait leur apparition pendant les guerres mondiales. Dans les années 1970, Paul Watson, le fondateur de Sea Shepherd, attaquait les braconniers, en digne héritier, selon l'auteur, de ces hommes qui alliaient rouerie et honneur. (Aurélie Marcireau)

La vraie histoire des corsaires, Dominique Le Brun, Tallandier, 336 pages, 22 euros.

Robert Namias

Robert Namias (Crédits : ©LTD /HANNAH ASSOULINE)

Quand tombent les masques

Au-delà d'un roman à clé sur PPDA, « L'Affaire Chanteclerc » de Robert Namias est un conte moral.

Ils sont quatre. Comme les mousquetaires, dont ils voudraient se faire croire avoir hérité un certain sens du panache. Quatre gamins de La Rochelle, doués, insolents, dépourvus de tout sens moral, devenus au long d'une vie parisienne ce qu'ils ont toujours rêvé d'être : des hommes puissants. Il y a Olivier, figure iconique du journalisme télévisé, Charles, monstre sacré du grand écran et désormais des planches, Benoît, plusieurs fois ministre et l'un des indispensables « missi dominici » de la scène politique nationale, et enfin Rodolphe, un romancier, auteur de best-sellers aussi fêtés que facilement oubliables.

Un gendre possible

Quatre larrons complices d'une foire qui n'a plus de société que le nom, fidèles seulement à leurs liens, qui sont ceux de l'enfance. Mais les pairs ne sont pas toujours sûrs. Et voici qu'un jour Olivier Chanteclerc est retrouvé mort, assassiné, et que les fantômes blêmes de ses secrètes forfaitures refont surface. L'homme que les Français considéraient comme un père, un fils, un amant, un gendre possible, était surtout un effroyable imposteur et un prédateur sexuel de la pire espèce. Un criminel, donc. Et les trois amis restants vont devoir se livrer à un examen de conscience rétrospectif, cernés désormais par leurs compromis, leurs mensonges, leurs manipulations. Pour eux aussi, le soir va tomber. Chacun l'a noté, avec L'Affaire Chanteclerc, ce conte moral pour une époque sans grandeur, Robert Namias évoque à travers le personnage d'Olivier la figure de Patrick Poivre d'Arvor, dont il fut, durant de longues années à TF1, le patron. C'est peu de dire qu'il ne l'épargne pas...

Toutefois, il serait dommage de ne s'en tenir à propos de ce roman qu'à cette histoire de « vengeance » (qui de toute façon n'en est pas vraiment une). Le tableau, très sombre, que dresse Robert Namias n'est pas celui de la corruption d'un homme, mais de celle des élites. Au milieu de ce désastre restent tout de même quelques jolies choses, la tendresse navrée des femmes, les amitiés d'enfance. Qu'on se le dise. (Olivier Mony)

L'Affaire Chanteclerc, Robert Namias, Éditions de l'Observatoire, 336 pages, 23 euros.

Namias

(Crédits : ©LTD /Éditions de l'Observatoire)

Les Éclats, de Bret Easton Ellis

La paranoïa et la nostalgie sont d'excellents moteurs littéraires, à première vue pas conçus pour fonctionner ensemble. C'est pourtant ce que réussit Ellis dans Les Éclats, roman à la fois poignant et profondément dérangeant. Poignant parce que Ellis abandonne là son masque de « prince des ténèbres » pour pleurer sa jeunesse perdue. Oui, l'ex-prodige des lettres américaines, qui sidéra le lectorat de l'an 1985 en racontant comme en direct les turpitudes de la jeunesse dorée californienne dans Moins que zéro, puis déchaîna les censeurs avec l'excellent American Psycho, a renoncé à son cynisme et à ses stylisations glacées pour écrire un roman proustien sur son adolescence ! Et nous voilà aux côtés de Bret, 17 ans, en terminale dans un lycée friqué, roulant au son des tubes de l'époque vers de grandes maisons ou vivent d'autres grands ados plus ou moins délaissés - l'image pour Ellis d'une liberté perdue.

Mais on ne se refait pas, et bientôt la terreur prend le pas sur la nostalgie: après tout, cette ère était aussi celle des tueurs en série. Or Bret se sent épié. À cause de ce nouveau, Robert, débarqué au lycée avec sa beauté solaire, que Bret a pris d'emblée en flagrant délit de mensonge. Ou serait-ce un effet de sa propre double vie ? Pour tout le monde, Bret sort avec la belle Debbie, fille d'un producteur gay et d'une mère alcoolique qui lui font tous deux des avances. Mais en secret, il couche avec Matt, le fumeur de joints auquel personne ne parle, et avec le beau Ryan, plein de mépris pour sa bande d'enfants gâtés. Et Bret a beau s'appliquer à jouer les « participants impliqués » pour maintenir sa couverture, Robert perturbe ses plans. Tout comme il perturbe le couple formé par ses meilleurs amis, Susan et Thom, vedettes de la promo. Arrêtons là le récit - il est palpitant, plein de démons, de merveilles et de suspense. Portraits d'adolescents saisis dans leur splendeur torpide. Scènes de crime propres à terrifier les cœurs les mieux accrochés. Et regrets éternels pour cette époque permissive où les ados découvraient avant l'heure les rigueurs du monde adulte, et pouvaient ainsi grandir... (Alexis Brocas)

Les Éclats, de Bret Easton Ellis, traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Guglielmina, 10/18, 912pages, 10,70 euros.

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