Livre : la sélection poche de l'été

« Histoire du repos », d'Alain Corbin, « Fairyland », d'Alysia Abbott, « La chambre de Giovanni », de James Baldwin : découvrez notre sélection de livres de poche pour l'été.
Alain Corbin - Histoire du repos - © LTD / AGORA
Alain Corbin - Histoire du repos - © LTD / AGORA (Crédits : © LTD / AGORA)

Du salut éternel à la sieste

Le grand historien Alain Corbin se penche sur l'étonnante évolution de l'idée de repos.

Sachez-le, l'invention du rocking-chair est un moment important de l'histoire occidentale ! Elle constitue en effet « une nouvelle étape dans le processus d'intensification et d'ostentation des postures de repos ». Voilà ce que l'on peut apprendre dans le livre vif et intelligent d'Alain Corbin. Son Histoire du repos nous montre comment nos sociétés sont passées du repos éternel comme salut au grand siècle du repos (de la fin du XIXe au milieu du XXe) pour arriver aujourd'hui à l'omniprésence du loisir. Pour cela, il faut, bien sûr, revenir au septième jour, qui n'est pas celui de la fainéantise mais de la dévotion. Durant deux millénaires, c'est le repos éternel qui obsède les populations. Mais le repos comme quête de la quiétude et rejet de l'agitation se transforme au fil du temps en remède à la fatigue.

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Joyeusement, l'historien nous raconte la retraite ou encore l'oisiveté et comment le repos se fait thérapeutique en moyenne montagne, ainsi que le suggérait Rousseau, ou en bord de mer, selon les conseils prodigués dès le XVIIIe siècle par les médecins aux Anglais qui se mirent à chérir le sud de la France. Montpellier, note l'historien des émotions, entre alors dans le langage courant pour définir un lieu de villégiature.

On sourit beaucoup à la lecture de ce petit ouvrage d'une érudition folle, notamment quand l'auteur nous rappelle que dans ce lieu par excellence de la détente qu'est la chambre se trouvent des objets familiers, à l'instar de la robe de chambre. Il évoque alors la détresse de Diderot privé de la sienne, si chère : « Elle était faite à moi, j'étais fait à elle. Elle moulait tous les plis de mon corps sans le gêner. »

Histoire du repos, d'Alain Corbin, Agora Pocket, 128 pages, 7,70 euros.

Au royaume des fées

Un père et sa fille dans le San Francisco des luttes LGBT, du disco au sida. Une histoire d'amour.

Ils sont uniques. Fille unique et un père qui, à sa façon, ne l'est pas moins. Alysia et Steve Abbott. Duo brinquebalant sur les chemins perdus de la fin des hippies et du début du sida. Alysia a 2 ans lorsqu'elle perd sa mère dans un accident de la route, à Atlanta, en 1973. Elle était allée chercher son amant, arrêté dans le Michigan pour trafic de drogue et d'armes. L'accident a eu lieu sur la route du retour... Voilà donc l'enfant seule avec son père, Steve, un poète avant-gardiste et militant de la cause gay. Le duo, qui n'est désaccordé qu'aux yeux des autres, s'installe à San Francisco au cœur du quartier de Haight-Ashbury, lieu alors de toutes les revendications, de toutes les radicalités, et d'abord celle d'un monde homo qui, sur les traces de Harvey Milk, prend conscience d'être à la fois une citadelle assiégée et une force politique. Vingt ans passent. Vingt ans de joies, de précarité, de disputes parfois, de réconciliations toujours. Vingt ans d'amour.

C'est cet amour-là, infini, que documente Alysia Abbott dans un livre poignant, Fairyland. Après la mort de son père en 1992 des suites du sida, elle comprend que tout ce qui a été vécu, enduré, ne saurait l'avoir été sans cause ni raison. C'est la littérature qui lui révélera ce passage secret vers le « royaume des fées » qui donne son titre au volume. Ce royaume est bien sûr celui de l'enfance et de ses solitudes (celle d'être seule dans un monde d'adultes, seule fille dans un monde d'hommes aussi). Pourtant, la force du lien qui se noue entre Alysia et Steve est puissante et dissipe toujours les ombres du chagrin. Sans cesse, Alysia, perdue et retrouvée, revient vers lui. Son père. Son amour.

Livre : la sélection poche de l'été

Fairyland, d'Alysia Abbott, traduit de l'anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, Christian Bourgois, 450 pages, 10 euros. ( Crédits : @LTD/ Christian Bourgois )

Deux garçons parisiens

Réédition de l'un des plus beaux romans de James Baldwin, qui aurait eu 100ans cette année.

« Je ne sais même pas comment décrire cette chambre. Elle était devenue, en quelque sorte, semblable à toutes les chambres où j'avais été, et désormais toutes celles que je connaîtrai me rappelleront la chambre de Giovanni. Je n'y suis en fait pas resté très longtemps -nous nous étions rencontrés juste avant le printemps et je devais la quitter dans le courant de l'été, mais il me semble encore que j'y ai vécu une vie entière.»  Paris, années 1950. David, un jeune Américain, réfugié dans la capitale pour fuir le puritanisme de son pays natal et de son père, va de bars en chambres de bonne, de rencontre en rencontre, pas très au clair avec ses désirs. Sa fiancée, Hella, l'a quitté pour fuir en Espagne et peut-être mieux le retrouver...        Un soir, dans un établissement nocturne pour messieurs et garçons trop sensibles, il fait la connaissance de Giovanni, un Italien de son âge, serveur de son état.

Les deux jeunes hommes vont nouer une liaison qui ne se reconnaîtra jamais vraiment comme telle, traversée par la nuit et la fatigue de l'aube, la difficulté de vivre, la dissimulation, les mensonges. Des années plus tard, dans une maison du sud de la France, au crépuscule, alors que tout est à jamais consumé, David se souviendra de cet amour indécis et comprendra pourquoi il a fait irrémédiablement basculer sa vie. La Chambre de Giovanni est le deuxième roman de James Baldwin, dont on célèbre cette année le centième anniversaire de la naissance. Si le livre est devenu culte dans l'ordre de la littérature dite gay, c'est certes pour sa liberté de ton, rare pour l'époque, mais surtout pour sa grâce infinie, sa beauté douloureuse. Entre Capote et l'Isherwood d'Un homme au singulier, Baldwin se souvient que parfois, pour certains garçons américains, Paris est une fête triste.

La Chambre de Giovanni, de James Baldwin, traduit de l'anglais (États-Unis) par Élisabeth Guinsbourg, Le Livre de poche, 288 pages, 8,70euros.

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