JOUR DE GLOIRE (5/7) - « Mon destin s’est joué à moins d’un kilo ! » (Thierry Rey, ancien judoka)

L’ancien athlète retrace son ascension en évoquant les joies et les difficultés, ainsi que le rôle joué par ses parents lors des JO de Moscou, le 1er août 1980.
Thierry Rey avec sa médaille, à Paris en avril
Thierry Rey avec sa médaille, à Paris en avril (Crédits : © LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Il devient champion olympique à 21 ans, en battant en demi-finale le Soviétique Emizh et en finale le Cubain Rodríguez. Thierry Rey est le premier judoka français à cumuler les titres olympique, mondial et européen. Après sa retraite sportive, il devient consultant pour Canal+. Mais son nom est aussi attaché à celui de la famille Chirac depuis qu'il a eu un fils, Martin, en 1996, avec Claude, la fille cadette de l'ancien président. La politique le titille. En 2011, il soutient François Hollande à la présidentielle et restera son conseiller pendant deux ans à l'Élysée.

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« Quand le gong retentit, c'est une libération sur le tatami. À 21 ans, je suis le premier Français champion du monde et champion olympique. Une libération, car c'est mon dernier combat dans la catégorie ultra-léger, celle des moins de 60 kilos. Je mets définitivement un terme à toutes les problématiques de perte de poids qui ont toujours été un enfer.

Trois mois avant les Jeux, je pesais 68 kilos. Ma mission, en perdre 8, soit 12 % de mon poids. La veille de la compétition, j'ai encore 2,2 kilos de trop. Je cours sans boire ni manger. Je vous raconterai.

Le jour J, mon compagnon de chambre, Jean-Luc Rougé, un grand champion, me raconte les péripéties de la nuit : « Je t'ai retrouvé assis sur ton lit et nous avons eu une discussion très cohérente. » Je n'en ai aucun souvenir. Serais-je somnambule ?

Je me réveille spontanément à 5 heures, je pars courir dans le stade de Moscou sous 35°C avec des gants et un bonnet pour suer et perdre un maximum d'eau. À chaque pas, je me répète : « C'est la dernière fois de ma vie que je pèserai 60 kilos. » J'ai l'impression à cet instant d'être le Rocky du judo. Puis arrive la pesée matinale non officielle avant l'officielle. C'est à ce moment qu'il faut être très stratégique : passer en premier à l'ouverture de la pesée non officielle pour avoir le maximum de temps avant la compétition. Bingo ! 59 kilos pour la pesée officielle. Première victoire ! Parce que si tu dépasses de 50 grammes, tu ne combats pas.

Comme quoi, mon destin s'est joué à moins d'un kilo. Participer aux Jeux olympiques est une bourrasque de tension, d'inquiétude et de responsabilités, car il ne faut pas décevoir ceux qui croient en toi. Croyez-moi, c'est très lourd à porter ! Tu dois être un personnage, être un tueur, un jusqu'au-boutiste, une machine. Tu dois tout calculer. Chacun a son propre but dans la vie. Moi, j'étais programmé pour devenir champion. Comme j'avais été champion du monde sept mois auparavant, c'était la suite logique.

Thierry

Le judoka remporte la médaille d'or aux JO de Moscou, en 1980. (Crédit : © LTD / PRESSE SPORT)

Je reçois la médaille d'or sur le podium, sans La Marseillaise. Il faut se remettre dans le contexte. En 1980, la France sous Valéry Giscard d'Estaing faisait partie des pays qui boycottaient les Jeux de Moscou, boycott lancé par les États-Unis pour protester contre l'invasion soviétique de l'Afghanistan en décembre 1979. Pendant six mois, les sportifs français ont fait pression sur le gouvernement pour y participer, faisant abstraction des conflits politiques.

C'est la dernière fois de ma vie que je pèserai 60 kilos

J'étais tout gamin à l'époque, et on m'a bien fait comprendre que je n'avais pas mon mot à dire. Puis Giscard a finalement accepté que ce ne soit pas l'État qui y participe, mais le comité olympique français.

Raison pour laquelle je n'ai pas eu droit à La Marseillaise. Sur le moment, je ressens de la frustration. Dans plein de sports, ils y ont droit avant la compétition. Dans le judo, on doit la gagner pour l'entendre. Mais franchement, il y a plus important quand on reçoit la médaille d'or aux Jeux olympiques.

Bref, depuis le 1ᵉʳ août 1980, j'ai une espèce de tatouage marqué au fer rouge. Si je suis en train de vous raconter cette histoire, c'est parce que cet exploit m'accompagnera toute ma vie. Je suis devenu celui que je rêvais d'être. Ce môme qui apportait son cahier d'autographes quand je rencontrais mes idoles de l'équipe de France, équipe que j'ai pu rejoindre par la suite et avec laquelle j'ai gagné.

En 1980, il n'y a pas encore tous ces médias, Internet, les réseaux sociaux. Le village olympique est tout petit et surtout très vétuste. Je me souviens surtout des frigos tièdes, car j'ai fêté ma victoire avec des bières... tièdes. Pas de chichi ou de réception officielle. Juste une soirée entre potes à picorer des cacahouètes tout en racontant des conneries dans le village. Nous aurions pu sortir dans Moscou, mais nous préférons rester entre nous. La fatigue était si forte qu'au bout de deux bières, je suis cuit. Le lendemain de la victoire est l'un de plus beaux moments de ma carrière sportive. C'est en ouvrant les yeux que je percute. Que je reviens à la réalité du monde. « Ah ! Putain, j'ai réussi ! » Débute alors le premier jour du reste de ma vie. Je retrouve mes parents dans Moscou. Ils m'ont toujours soutenu moralement. Je n'oublierai jamais cette phrase prononcée par mon père dans la cuisine l'année de mes 13 ans : « Un jour, tu seras champion olympique. » Ils en ont toujours été persuadés sans pour autant me mettre la pression. Lors de nos retrouvailles, je ressens de la fierté, beaucoup d'émotion. Cette victoire, on l'a remportée ensemble. Les innombrables rendez-vous chez les diététiciens avec ma mère, les courses à pied avec mon père... Sans eux, je n'aurais jamais été champion olympique. Et pourtant, devenir judoka professionnel n'était pas une sinécure. Pour vous donner une idée, j'ai reçu 24 000 francs (l'équivalent de 11 700 euros aujourd'hui), soit 1 000 francs de moins qu'en étant champion du monde. Le judo était vraiment un sport amateur sans aucun sponsor. Aujourd'hui, un judoka en équipe de France peut en vivre, mais ce n'est pas déconnant non plus : Environ 10 000 euros par mois.

Thierry

Thierry Rey avec sa médaille d'or à Paris en avril (Crédit : © LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Mes sept années de judoka professionnel n'ont jamais pas été prises en compte pour la retraite. On me fi lait parfois une petite enveloppe après une démonstration de judo, mais c'est tout. Je gagnais que dalle. Et c'était très frustrant, car je faisais partie des grands champions tels qu'Alain Prost, Jean-Pierre Rives, Bernard Hinault, Yannick Noah. Sauf que moi, je réfléchissais à deux fois avant de faire le plein d'essence. Aujourd'hui, un champion olympique est sponsorisé par des entreprises privées, il est accompagné par les départements, les Régions. Je vous raconte tout ça sans aucune amertume, aucune gravité. Ainsi était l'époque, et mes performances sportives valent tous les plus gros chèques du monde.

Jour de gloire
La semaine prochaine, pour le sixième épisode de notre série, retrouvez l'athlète Sandra Forgues

Le champion en bref

Naissance

1er juin 1959 à Furnes, en Belgique

Son gabarit

1,70 mètre pour 60 kilos

Son palmarès

Jeux olympiques : Médaille d'or à Moscou en 1980

Championnats du monde : Médaille d'or à Paris en 1979

Championnats d'Europe : Deux médailles d'or en 1980 et 1983

Championnats de France : Six médailles d'or entre 1978 et 1984

Sa vie en politique

Mai 2012-juin 2014 : Conseiller sport et jeunesse sous François Hollande

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