Hommage : ce que les jeunes artistes doivent à Françoise Hardy

Libre, direct, unique, le style de l’artiste, décédée le 11 juin, n’en finit pas d’ensorceler la pop, la mode, le monde. Et la nouvelle génération...
Françoise Hardy
Françoise Hardy (Crédits : © LTD / Jean-Marie Périer/Photo12)

Longtemps déjà qu'elle nous habite avec ses mélodies entêtantes, sa tonalité douce en diable et ses messages personnels murmurés au bord du précipice... Nul doute qu'à l'heure de son départ Françoise Hardy n'a pas fini de nous hanter, et son influence est d'ores et déjà inscrite au patrimoine. « Trésor national français », écrivait le New York Times en 2018, rappelant qu'au mitan des années 1960 Bob Dylan et Mick Jagger étaient déjà fous d'elle, imités ensuite par David Bowie. Sur les ondes, Sheila, Véronique Sanson, Alain Chamfort, Louis Chedid, Étienne Daho, Clara Luciani, Juliette Armanet, La Grande Sophie, pour ne citer que ceux qui comptent au rang des artistes proches, beaucoup se sont exprimés, unanimes pour dire sa quête d'intégrité, sa modestie et sa passion musicale chevillées au corps, ainsi que sa grande aura et son irrémédiable timidité, ses convictions farouches et son trac fou en lutte permanente. Damon Albarn, alors dans Blur, qui l'a connue à l'époque de leur collaboration pour l'enregistrement de la chanson To the End, lui a rendu hommage sur les réseaux sociaux : « Françoise Hardy fut mon introduction à la culture française, elle a énormément compté pour nous tous. Elle était la définition même du chic, l'incarnation du charisme discret. » Dans une interview à l'AFP, Keren Ann confirmait son aura internationale : « J'ai pas mal tourné aux États-Unis et on m'a plus parlé de Françoise que de Piaf, Aznavour ou Montand. La French Touch, à la base, c'est elle. » Fait notable, Françoise Hardy représente seule la France dans la liste des 200 plus grands chanteurs et chanteuses de tous les temps établie par le magazine américain Rolling Stone en 2023...

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Que ce soit un refrain, un regret ou une défiance, on a tous en nous quelque chose de Mlle Hardy. Cela peut prendre la forme d'un refus sans façon, ou l'allure d'un abandon complice et sans aucun prétexte, qu'importe, ce sera toujours entier et sincère. « Elle était d'une précision et d'une justesse invraisemblables », salue Arthur H, avouant au passage qu'il n'en menait pas large quand il a eu la chance de chanter avec elle...

Connue pour son exigence, Françoise Hardy était aussi celle qui assumait de déplaire, par exemple en parlant du fisc ou en se déclarant publiquement « de droite ». Celle qui ne cherche pas à être tendre car elle sait que, en fin de compte, elle pourrait vite l'être bien trop. Celle qui assume ses empêchements, connue pour avoir abandonné la scène dès 1968 et ne revenant jamais sur sa décision. « Renoncer au lien le plus authentique et direct avec son public est d'une radicalité folle », souligne la chanteuse P.R2B, de son vrai nom Pauline Rambeau de Baralon, 33 ans.

Elle fut mon introduction à la culture française, elle a énormément compté pour nous tous

Damon Albarn

Avec la fine fleur de la chanson française (Clara Luciani, Voyou, Zaho de Sagazan, November Ultra...), elle a participé au concert hommage « Messages personnels » orchestré par le chanteur et producteur Sage et présenté en début d'année lors de L'Hyper Weekend Festival (par Radio France) puis au Printemps de Bourges. « Monter sur scène pour incarner des chansons qu'elle-même avait choisi de ne pas incarner devant son public était très émouvant, ajoute P.R2B. Pour notre génération, Françoise Hardy est une artiste que l'on n'a jamais vue sur scène, mais avec laquelle on a pu marcher, pleurer dans une chambre. C'est comme si elle était tout le temps près de notre épaule. »

« La queen absolue » des années 1960

Cash et pas à un paradoxe près, Hardy laisse aussi une image de mode prégnante, magnétique, celle d'une femme lumineuse bien qu'étrangère à sa propre beauté. Propulsée toute jeune sous les projecteurs, elle s'est d'entrée de jeu arrangée de sa célébrité et des regards avec un naturel libre, engagé, moderne pour son temps et pas vraiment négociable. « Comme Jane Birkin, elle n'était pas de celles qui courent après la mode mais de celles après qui court la mode », résume Olivier Nicklaus, journaliste et documentariste mode. Si Hardy est célèbre pour avoir été au centre de photos iconiques popularisant de grandes marques comme Rabanne ou Courrèges, sa sobriété en toutes circonstances paraît limite transgressive : « Avec son austérité androgyne en majesté, elle est l'anti-fanfreluches par excellence, elle porte toujours des couleurs sourdes et ses cheveux naturels, déliés, y compris quand elle les raccourcit ou qu'ils blanchissent, il n'y a jamais de triche. »

Au fil du temps, Hardy a toujours affiché la même allure, volontaire sans être plus fière que ça, élancée, défiant ses angoisses avouées, avec ce même tempérament en quête de vérité, miroir de ses chansons à la fois personnelles, atemporelles et universelles. « C'est un grand modèle pour plein d'artistes, mais elle reste unique, personne ne peut faire du Françoise Hardy après elle », estime Barbara Carlotti, chanteuse qui, d'aussi loin qu'elle se souvienne, a toujours été fan. « Elle m'a marquée dès l'enfance avec l'album Musique saoule et la chanson V.I.P. qu'écoutaient mes parents, puis j'ai découvert sa fameuse compilation The Vogue Years, qui a changé ma vie avec des mer-
veilles comme L'Amitié et La Maison où j'ai grandi. »

Elle était très féministe dans son refus d'évoluer dans l'ombre d'un homme

Sage

Pour Barbara Carlotti, pas de doute, Françoise Hardy est « la queen absolue » des années 1960 : « Pas midinette pour un sou, elle s'impose avec sa voix naturelle, ses écrits à elle et son chant sans afféterie, sans fabrication, sans besoin d'en faire des tonnes ni même d'être maquillée pour être belle. Cette assurance folle, cette liberté d'être soi parce qu'on ne peut pas faire autrement, ça m'a libérée, autorisée. »

Inimitable, l'influence de Françoise Hardy a donc d'abord à voir avec cette simplicité sans fard, sans théâtre, une présence directe... « Oui, directe, c'est le mot, rebondit Carlotti. Elle n'a pas de filtre mais sa simplicité n'est jamais pauvre non plus. Au contraire, elle est assez élégante et cultivée pour exprimer la complexité, la profondeur. C'est ce qu'il y a de plus difficile et de plus beau à atteindre pour un artiste. »

« L'art de la délicatesse et de la mélancolie »

Intime à tomber, son écriture laisse songeuse, aussi, la chanteuse P.R2B, pour qui le constat est sans appel. « Son influence majeure, pour moi, c'est sa concision poétique, cet art de faire le récit de la délicatesse et de la mélancolie depuis sa chambre. » Denses, volontiers brefs comme des haïkus, les textes de Hardy l'impressionnent d'autant plus qu'ils abordent souvent, et presque maladivement, des thèmes difficiles comme la solitude de l'adolescence, le dépit amoureux, la finitude... « Pour la création "Messages personnels", j'ai choisi de reprendre Un seul geste, une chanson magnifique qui parle clairement de l'euthanasie, explique P.R2B. Elle a souvent chanté la mort, mais toujours avec l'idée d'une renaissance, en prenant soin d'ouvrir une porte vers l'espoir ou un éclat de rire pour mieux la narguer, le tout avec une remarquable délicatesse mélodique, sans jamais s'excuser d'aborder des thèmes pas drôles du tout et très graves. C'est très fort. »

Hommage Hardy

« Messages personnels » lors du Printemps de Bourges, le 24 avril. (Crédits : © LTD / EDMOND SADAKA/SIPA)

Inspirante, Françoise Hardy l'est indiscutablement pour la nouvelle génération. On peut
d'emblée citer Clara Luciani, laquelle n'a jamais caché sa filiation artistique avec la chanteuse férue d'astrologie. Ambroise Willaume, alias Sage, l'homme de l'ombre que toute la pop française s'arrache, avait immédiatement accepté la proposition de l'équipe du Printemps de Bourges d'assurer la direction musicale de la création « Messages personnels ». « Je n'étais pourtant un spécialiste du répertoire de Françoise Hardy, même si elle fait partie de mon inconscient depuis toujours grâce aux 45-tours de mes parents », nous raconte le musicien de 37 ans depuis New York, où il enregistre le deuxième album de son groupe Astral Bakers. Il se souvient encore d'un mail de Françoise Hardy avec sa playlist idéale pour le concert hommage. « Elle avait choisi des chansons inconnues qu'elle avait composées elle-même, se rappelle-t-il. J'ai senti qu'elle était frustrée car on célébrait toujours "l'icône", la chanteuse à la voix élégante et sobre, mais rarement la musicienne attentive à la production de ses albums. Plus je plongeais dans son répertoire, plus je découvrais des pépites, j'étais impressionné par ses qualités de compositrice, la richesse de ses trouvailles harmoniques. »

Sage souligne également sa « force de caractère hors du commun », son goût précoce et non négociable pour l'indépendance, quand elle avait monté, à 23 ans, sa boîte de production (Asparagus, asperge en anglais) pour garder le contrôle artistique sur ses albums, simplement distribués par sa maison de disques. « Aujourd'hui, c'est une pratique courante chez beaucoup d'artistes, mais à l'époque la démarche était inédite, note Sage. Elle était très féministe dans son refus d'évoluer dans l'ombre d'un homme, de prendre les rênes de sa carrière. Elle avait quarante ans d'avance. » Avant-gardiste dans une industrie musicale patriarcale et d'une exigence artistique constante en soixante ans de carrière. « Elle aimait la prise de risque, se mettre en danger tant elle refusait de se reposer sur ses lauriers. C'est sans doute lié à son tempérament d'artiste en permanence insatisfaite. Pour elle, c'était à la fois une malédiction et un moteur. Et une vraie leçon d'exigence et d'intégrité artistique. »

Funérailles

Jacques et Thomas Dutronc ont annoncé les funérailles de Françoise Hardy dans le Carnet du Figaro hier : « Nous nous réunirons en la salle de la Coupole du crématorium du cimetière du Père-Lachaise, Paris (20e), le jeudi 20 juin à partir de 15 heures. » Selon nos informations, les cendres de la chanteuse seront dispersées à Monticello, en Corse, où elle possédait une maison. Lors d'un concert à Neufchâtel-Hardelot, en Suisse, jeudi, son fils Thomas a rendu hommage à sa mère « partie vers d'autres cieux » en interprétant Le Temps de l'amour « la gorge nouée » avec ses musiciens et le public. « On t'aime, Thomas ! » a lancé une spectatrice.

+30 % d'écoutes dans le monde

Depuis mardi soir, les écoutes de ses chansons explosent sur Spotify. La plateforme de streaming a enregistré une augmentation de 30% au niveau mondial. En France, 15 titres de la chanteuse ont connu une croissance de plus de 2 000 %. Ce boom atteint les 1 000% en Allemagne, aux États-Unis, en Angleterre et en Espagne. En Belgique, Françoise Hardy domine même les neuf premières places du classement devant Taylor Swift ! Quant à ses classiques intemporels, ils trônent dans le top 3 des tendances en Suède, en Italie et aux Pays-Bas et dans le top 5 en Espagne, en Angleterre, au Canada et aux États-Unis. « Tellement ému de découvrir que ma maman est aujourd'hui à ce point aimée et écoutée partout dans le monde y compris dans les pays non francophones, y compris dans les pays qui ne la connaissaient pas avant sa mort... », a posté son fils Thomas Dutronc.

Son dernier combat

Le 17 décembre, La Tribune Dimanche publiait une lettre de Françoise Hardy à Emmanuel Macron en faveur du droit à mourir dans la dignité. Poignant.

Le texte de loi sur la fi n de vie n'attendait plus que le feu vert d'Emmanuel Macron. Le 15 décembre, nous contactions Françoise Hardy par mail pour lui proposer de s'adresser au chef de l'État dans une tribune. Un texte dans lequel elle donnerait les raisons de son engagement en faveur de l'euthanasie depuis l'adolescence et exprimerait l'importance de ce droit de mourir dans la dignité. Une heure après notre sollicitation, Françoise Hardy nous envoie sa lettre : poignante et sincère. Un cri du cœur qui parvient jusqu'à l'Élysée et à Brigitte Macron, elle-même en faveur de cette loi. La première dame échangera par la suite quelques mots avec la chanteuse, épuisée par la souffrance que son corps lui inflige depuis deux décennies à cause d'un cancer du système lymphatique et d'un cancer du pharynx. Depuis ce mardi 11 juin, Françoise Hardy ne souffre plus. A-t-elle enfin eu la réponse à ses questions spirituelles sur le monde d'après ? Le débat sur la fin de vie qu'elle souhaitait tant fait en tout cas les frais de la dissolution. Le vote en première lecture à l'Assemblée nationale, programmé ce 18 juin, a été suspendu. Et pour que ce texte soit à nouveau examiné, il devra être présenté par le futur gouvernement. Cela laisse très peu d'espoir à ses partisans de le voir revenir au Parlement. Car si le Rassemblement national, particulièrement hostile au projet, arrive à Matignon le 7 juillet, ce sera la fin de la loi sur la fin de vie. Le dernier combat de la sienne. (Joséphine Simon-Michel)

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