Face aux JO, les musées de la Ville de Paris gagneront-ils le match ?

Avec la crainte d’être effacé par les Jeux olympiques et de voir chuter sa fréquentation comme ce fut le cas pour les musées londoniens en 2012, Paris Musées a mis en œuvre toute une série de dispositifs.
Valérie Abrial
Performance de Mathieu Forget avec les handballeuses Paulette Foppa, Grace Zaadi, médaillées or JO Tokyo 2020 et Tamara Horacek, médaillée argent JO Rio 2016, championnes du monde avec l’équipe de France en 2023, devant l'oeuvre de Raoul Dufy La fée électricité au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris.
Performance de Mathieu Forget avec les handballeuses Paulette Foppa, Grace Zaadi, médaillées or JO Tokyo 2020 et Tamara Horacek, médaillée argent JO Rio 2016, championnes du monde avec l’équipe de France en 2023, devant l'oeuvre de Raoul Dufy "La fée électricité" au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris. (Crédits : Forgetmat)

D'ordinaire, la période estivale est plutôt réjouissante pour les musées de la Ville de Paris, réunis depuis 2013 sous la bannière de l'établissement public Paris Musées. Mais cette année, les Jeux olympiques risquent de changer la donne.

En cause : la désertion du public parisien qui préfère fuir la capitale de peur d'affronter un quotidien compliqué dû à la venue de plus de 15 millions de touristes et de difficultés drastiques de circulation. Quand, en outre, lesdits 15 millions viennent à Paris dans le but, souvent unique, d'assister aux Jeux, il y a de quoi s'inquiéter pour la fréquentation des musées.

Et à y regarder de plus près, le constat des olympiades à Londres en 2012 est sans appel : le British Museum a accusé une baisse de fréquentation de 25 %, quant à celle de la National Gallery ce fut une dégringolade de 40 % !  Un drame que Paris Musées souhaite bien sûr éviter et contre lequel bon nombre d'initiatives ont été mises en œuvre. L'une des premières, et sans doute l'essentielle, étant de réunir deux secteurs que d'aucun juge la plupart du temps éloignés, ceux de l'art et du sport. Et la matière est aussi belle que généreuse. Pléthore de sources artistiques, de l'Antiquité à nos jours, révèlent un lien indéfectible entre l'art et le sport. Peinture, sculpture, photographie, poésie, mode... la création s'est toujours intéressée au sujet sportif et olympique. Autant le faire savoir et le valoriser.

Et surtout l'exposer. Les musées nationaux de la capitale se sont d'ailleurs eux aussi prêtés au jeu. À commencer par le musée Marmottant Monet qui présente « En jeu ! Les artistes et le sport 1870-1930 », le Palais de la Porte Dorée et son exposition « Olympisme, une histoire du monde » ou encore le musée du Louvre avec « L'Olympisme, une invention moderne, un héritage antique ». Pour chacune de ces institutions muséales, pas question de réitérer la triste expérience londonienne.

Pour d'autres, c'est néanmoins beaucoup plus compliqué. Le Musée de l'Homme, étant donné son emplacement Place du Trocadéro où auront lieu les épreuves d'athlétisme et de cyclisme, a dû se contraindre à une fermeture totale du 20 juillet au 10 août. Le Jeu de Paume a lui aussi pris cette difficile décision. En décembre dernier, son directeur Quentin Bajac annonçait dans Le Monde que son public étant plutôt parisien, il valait mieux fermer le site face à la désertion annoncée des habitants et l'invitation des pouvoirs publics à se déplacer le moins possible. Résultat selon lui : une perte de 600.000 à 700.000 euros environ. Vu sous cet angle, il est certain que les JO ne sont pas une aubaine pour tous.

Art et sport

Augustin Rouart, Le Nageur, 1943. Tempera sur toile, 19×33,5 cm. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Parcours art et sport gratuits

Du côté de Paris Musées, on a misé sur la carte du dialogue entre l'art et le sport en ne manquant pas de rappeler leurs valeurs communes : générosité, solidarité, accessibilité et universalité (sic). De bons mots pour un état d'esprit, celui des Jeux et de l'Olympiade Culturelle (la programmation artistique et culturelle mise en place par les Jeux Olympiques et paralympique de Paris 2024).

Et il faut dire que l'établissement public tire plutôt bien son épingle du jeu. Profitant du fait que les collections des musées de la ville de Paris sont en visite libre, certaines institutions n'ont pas hésité à utiliser cette gratuité à bon escient. Avec une mention spéciale pour le Petit Palais, qui avec l'exposition Le corps en mouvement, a su réinventer son parcours muséographique. Un parcours dans lequel 50 œuvres ont été choisies pour faire la lumière sur le lien qui unit le sport à l'art. Et c'est très réussi. Des origines des Jeux, au Corps héroïque, en passant par Le Corps dessiné, Le Corps en suspens, ou encore Le Sport en vogue, chaque œuvre sélectionnée rappelle qu'à toutes les époques, le corps a fasciné les artistes. Non content de redécouvrir ce lien, c'est tout à loisir que le visiteur peut, de fait, découvrir la riche collection du Petit Palais et se délecter d'œuvres de Pissarro, Monet, Vuillard, Ingres, Rembrandt, ou encore de la plus grande collection d'icônes de France. Ajouté à cela, au cœur du parcours, des vidéos de jeunes athlètes et de para-athlètes qui partagent leur regard sur des œuvres qu'ils ont choisies et le combo est gagnant. Surtout auprès d'un public jeune qui n'est pas toujours fervent de visite muséale.

Cerise sur le gâteau : l'exposition, elle aussi gratuite, We are here, qui réunit pour la première fois au Petit palais les artistes d'art urbain. Une occasion unique de voir au musée des street artistes de la scène nationale et internationale à commencer par Shepard Fairey (Obey), Invader, Seth, Vhils, ou encore D*Face. Des œuvres souvent exceptionnelles et monumentales, elles aussi au cœur des collections dont la visite aboutit à une installation de plus de 200 œuvres d'une soixantaine d'artistes, présentées à la manière des Salons du XIXe siècle. Une façon d'accorder enfin toute sa place, somme toute majeure, à l'art urbain.

Forgetmat

Performance de Mathieu Forget avec Steven Da Costa, karatéka, champion du monde, médaillé or JO Tokyo 2020 et Cyrian Ravet, taekwondoïste, champion d'Europe 2022 au musée Bourdelle - Vidéo en ligne ici

Expositions, Olympiades et marches culturelles

Côté gratuité, et sur le même modèle, le musée Carnavalet « entre en jeu(x) », avec plus de 70 œuvres autour des disciplines olympiques ; la Maison de Victor Hugo, elle, présente une exposition sur l'escrime au sein de la famille Hugo ; à la maison Balzac on s'interroge sur le sport avant les jeux. Peu de grandes expositions cependant à voir dans ces musées comme c'est toujours le cas au coeur de l'été précise Anne-Sophie Gasquet, la directrice générale de Paris Musées (voir son interview ci-dessous). Excepté le Musée d'Art Moderne, qui outre son parcours dédié aux JO — un peu léger hélas, on sent la marche forcée de poses de cartels parsemés ici et là — et l'exposition gratuite du photographe Ari Marcopoulos sur l'époque underground du skateboard (discipline olympique, rappelons-le) joue les prolongations avec ses expositions « Jean Hélion » et « Présences arabes » qui se terminent respectivement les 18 et 25 août.

Et puis, il y a les Olympiades Culturelles contre monnaie sonnante et trébuchante autour de deux très belles expositions. Les Chevaux de Géricault que le musée de la Vie Romantique présente dans le cadre du bicentenaire de la mort du peintre, une centaine d'œuvres exceptionnelles qui ne sont pas sans rappeler la passion de l'artiste pour le portrait équestre, un clin d'œil bien sûr au sport hippique. Quant au Palais Galliera, musée de la mode de Paris, le deuxième opus de La Mode en mouvement nous régale (tout comme le premier d'ailleurs) de plus de 250 œuvres qui nous permettent d'appréhender la place du vêtement dans la pratique sportive. Une exposition ludique et instructive à souhait.

Pour les plus sportifs, sachez que Paris Musée vous a concocté des parcours alliant activités physiques et découvertes des musées de la Ville de Paris. Le « parcours centre » reste encore disponible à la réservation avec une marche culturelle qui débute à La Crypte archéologique de l'île de la Cité, puis direction le musée Carnavalet, le musée Cognacq-Jay et enfin la maison de Victor Hugo. Un itinéraire qui permet de partir à la découverte des sites culturels en petites foulées, ponctuées de séances de gainage et de cardio training, assurée par Julie Pelloie, coach sportive certifiée.

Forgetmat

Combat dansant entre Enzo Lefort, triple champion du monde d'escrime et Mathieu Forget (Copyright Forgetmat) au Petit Palais - Vidéo en ligne ici

Une fin de parcours dont le repos (mérité) peut se poursuivre à Paris Plage — qui fête aussi les JO ! — quai de Valmy, l'occasion de découvrir les superbes photos de Mathieu Forget (alias Forgetmat, fils de l'ancien champion de tennis Guy Forget) à qui Paris Musées a donné carte blanche. Spécialiste du mouvement et de l'art en lévitation, l'artiste, ancien sportif de haut niveau, danseur et performeur, aime défier la loi de la gravité. Pour l'exposition Paris Musée fête les jeux, Mathieu Forget a convié les athlètes olympiques à prendre la pose sportive au cœur des collections des musées de la Ville de Paris. Des clichés tout en apesanteur et en grâce, tout autant que les vidéos qui les accompagnent — que nous vous invitions à visionner ici. Comme une mise en abyme du geste sportif et artistique. Comme si, finalement, tout était art.

L'avenir dira si la rencontre entre l'art et le sport aura su séduire le public et sauver les chiffres de la fréquentation.

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Toutes les informations pratiques sur le dispositif Paris Musées fête les Jeux sont disponibles sur : https://www.parismusees.paris.fr/fr/infos-jeux-2024

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Anne-Sophie de Gasquet

3 questions à Anne-Sophie de Gasquet, directrice générale de Paris Musées

Comment Paris Musées s'est-il préparé à la tenue des Jeux-Olympiques ?

Nous avons mis en place plusieurs axes de travail depuis de nombreux mois. Notre objectif était de réussir à articuler une programmation art et sport avec une programmation plus classique. Je pense tout particulièrement au Palais Galliera dont nous avons présenté un premier accrochage de l'exposition La mode en mouvement dès l'année dernière ; le second opus, toujours dédié au vêtement de sport, a débuté en avril dernier et se poursuivra jusqu'en janvier 2025.

En dehors de l'aspect événementiel que sont les JO, notre réflexion a aussi porté sur le temps long. Bien sûr, beaucoup d'expositions sont dédiées aux Jeux dans une grande partie de nos musées qui ont tous travaillé en ce sens : le musée Carnavalet autour des disciplines olympiques, Cernuschi autour de l'art équestre, la maison Victor Hugo autour de l'escrime... chacun, à partir de ses collections, a su tirer un fil pour mettre en avant le sport. C'est un parti-pris que nous avons choisi, mais pour autant nous voulions également que de grandes expositions soient visibles pendant les JO. Habituellement, nous n'en présentons pas en plein été ; car c'est le moment où nous démontons les expositions estivales pour préparer celles de la rentrée. Cette année, dans une volonté de faire découvrir nos musées à un nouveau public nous avons décidé de prolonger un certain nombre d'entre elles comme Le luxe de poche au musée Cognacq-Jay ou encore La Fontaine des Innocents à Carnavalet. Nous avons également fait appel au performer Forgetmat à qui nous avons donné carte blanche pour réaliser des vidéos et photos avec des champions olympiques. Cette série a contribué à une très belle campagne de communication pour nos musées.

Proposez-vous des tarifs de visite spécial JO ?

Oui. Nous avons créé un Pass Collector que nous avons lancé début juin, c'est une carte qui permet pour 24 euros d'avoir accès à toutes les expositions des musées de la ville de Paris pendant 15 jours. Nous sommes partis du principe que les publics qui viennent pour un long moment à Paris, et particulièrement ceux des JO auront la possibilité grâce ce Pass de visiter nos expositions temporaires comme celles des musées de la Vie Romantique, du musée Bourdelle, Zadkine... Nous misons beaucoup sur ce Pass Collector d'autant plus que d'après les informations communiquées par l'Office du Tourisme, les gens qui viennent pour les JO ne viennent pas pour voir toutes les compétitions. Ils auront donc du temps pour visiter Paris et nos musées.

Malgré tous ces dispositifs - un certain nombre de musées ont même accueilli la flamme olympique les 14 et 15 juillet - avez-vous des craintes quant à la fréquentation ?

C'est difficile d'évaluer la fréquentation en amont, mais ce que je trouve intéressant avec le réseau des musées, ce sont les différents types de propositions. Prenons par exemple l'espace d'hospitalité du Palais de Tokyo (le centre d'art contemporain à deux pas du Trocadéro va fermer ses espaces d'expositions et devenir un Club-House 24 pendant toute la durée des JO, NDLR). On peut imaginer que le public qui ira au Palais de Tokyo pour les hospitalités aura envie de voir une exposition aux abords du Palais, soit au Musée d'art moderne soit au Palais Galliera. Le fait que nous ayons des lieux qui soient situés proche de zones de compétition est une chance. On peut aussi espérer que les gens qui iront voir de l'escrime au Grand Palais, traverseront la rue pour aller voir l'exposition L'art en mouvement au Petit Palais. Alors évidemment, nous n'avons pas de certitudes quant à la fréquentation, mais nos premiers chiffres sont encourageants. En juin dernier au Petit Palais, nous avons comptabilisé 5% de plus de fréquentation qu'en juin 2023.

Par ailleurs, si l'on compare les chiffres de nos musées de manière générale, entre 2012 et aujourd'hui, on observe une grande augmentation des publics. Il y a 10 ans les chiffres de fréquentation de Paris Musées étaient en moyenne de 3 millions de visiteurs par an, l'année dernière nous en avons comptabilisé 5,3 millions. Voilà pourquoi, je reste confiante.

Valérie Abrial

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Commentaires 4
à écrit le 20/07/2024 à 11:27
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Tant qu'a être à Paris, autant profiter de son offre culturelle et de la fraîcheur de la plupart de ses monuments. Quoi de mieux que d'allier sport et culture ? L'image du sportif/ve qui serait juste épris de sport et de bières à forte teneur en al...

à écrit le 20/07/2024 à 10:53
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Même si nos musés se reposent un peu cette année est-ce grave ?

à écrit le 20/07/2024 à 10:50
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C'est peut être justement le bon moment pour profiter de certains musées, mais cela dit le prix des musées est tellement cher en France.

à écrit le 20/07/2024 à 10:17
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J.O. 2024 ? Ne manquez pas de lire "Oxymore" de Jean Tuan chez C.L.C. Éditions. L'auteur observateur attentif de la Chine, le pays de son père, nous dévoile comment la Chine utilise tous les moyens pour que ses athlètes triomphent au niveau mondial....

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