DANS CE GENRE-LÀ (3/6) - Un cavalier qui surgit hors de la nuit

Cet été, nous vous proposons de découvrir chaque semaine, à travers un livre, un genre littéraire peu connu. Ce dimanche, les comics s’emparent de la légende de Zorro avec une BD d’action, garantie sans combinaison moulante.
Anne-Laure Walter
Zorro - D'entre les morts.
Zorro - D'entre les morts. (Crédits : © LTD / URBAN COMICS)

Dans la Galerie 9e art, au pied du Sacré-Cœur à Paris, un Américain aux mèches blondes décolorées et au cuir vintage de coureur automobile fait une entrée remarquée. Sean Murphy, l'un des auteurs stars de comics, inaugure l'exposition autour de son dernier album, Zorro - D'entre les morts. Aussi à l'aise dans les grosses productions dopées aux super-héros - il est l'auteur de la saga Batman -White Knight, où il réhabilite le Joker en sauveur de Gotham City - que dans la BD indépendante, avec des titres comme Punk Rock Jesus, dystopie cinglée où le Christ est cloné, Sean Murphy est le digne représentant des comics, la bande dessinée américaine, dans toute sa diversité. Ce genre pilier irrigue toute la pop culture outre-Atlantique, aussi bien la BD que les films, séries ou jeux vidéo, et tient d'ailleurs son plus gros rassemblement mondial à San Diego, à partir du 25 juillet.

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Le fameux Hall H - le tapis rouge local - sera sans nul doute l'occasion de rencontres avec les acteurs de séries à succès, de dédicaces de dessinateurs et de trailers ou annonces surprises sur Captain America, Wonder Woman, Star Wars ou autres. Pourtant Sean Murphy incarne aussi une espèce en voie de disparition aux États-Unis. Et pas seulement parce qu'il signe là un ouvrage sans superhéros (les personnages moulés dans leur combinaison lycra représentant en effet 70 % de la production de comics). « Heureusement que je travaille encore à l'ancienne, sinon je ne serais pas là, exposé à Paris. La plupart des auteurs de comics ne touchent plus au papier », raconte ce dernier des Mohicans du crayon, entouré de ses élégantes planches en noir et blanc. « Je suis snob en matière d'art, confesse-t-il, je préfère le noir et blanc. » Un côté old fashion revendiqué pour cet ancien encreur au trait gracieux, qui revisite dans son dernier livre la légende de Zorro, démarrée par le roman de Johnston McCulley au début du XXe siècle et immortalisée par la série Disney dans les années 1950.

J'ai toujours été un fan de Zorro. Il a d'ailleurs été une source d'inspiration pour mon Batman

Sean Murphy

Le Diego de Sean Murphy a la silhouette et la prestance de l'acteur Guy Williams, qui incarna merveilleusement Zorro sur petit écran, même s'il évolue dans le Mexique contemporain, gangrené par les cartels. L'histoire débute dans le village de La Vega où, chaque année, une fête est donnée en l'honneur du héros local qui, cent quatre-vingts ans auparavant, aurait marqué de son célèbre Z le porche de l'église. Les narcotrafiquants se méfient de cette communion populaire, terreau d'une possible révolution. Ils assassinent l'acteur qui incarne le justicier lors des célébrations, sous les yeux de ses deux enfants, Rosa et Diego. La fratrie sera séparée et se retrouvera vingt ans plus tard, pour se venger du cartel parricide. Portant le trauma de ce meurtre sanglant, Diego est persuadé d'être « El Zorro », un vengeur masqué qui combat les trafiquants de drogue à l'épée, accompagné de son fidèle... renard, Bandido.

Même si ce Zorro, bloqué dans sa réalité alternative, est raisonnablement bon pour l'hôpital psychiatrique, les villageois terrorisés par les cartels veulent croire en une rébellion possible et vont choisir Diego pour fédérer le mouvement. Dans cet album autoproduit, Sean Murphy, fin navigateur entre les genres (de l'underground aux studios), fait du personnage de roman de cape et d'épée le héros d'un comics efficace. « J'ai toujours été un fan de Zorro, depuis que je suis tout petit, raconte-t-il. Il a d'ailleurs été une source d'inspiration pour mon Batman. M'emparer de cette histoire était donc pour moi une évolution naturelle. » Les deux justiciers ont en commun d'avoir été témoins de l'assassinat de leurs parents, d'être des hommes riches à l'identité secrète, ainsi que de manifester un goût quelque peu extrême pour les vêtements noirs. Comme tout héros du genre, Zorro défend la veuve et l'opprimé sur fond de lutte du Bien contre le Mal.

DANS CE GENRE-LÀ (3/6) - Un cavalier qui surgit hors de la nuit

Zorro-d 'entre les morts Sean Murphy, traduit de l'anglais (États-Unis) par Benjamin Rivière, Urban Comics, 128 pages, 20 euros. (Crédits : ©LTD / Urban Comics)

N'oublions pas que cette bande dessinée américaine est née à la veille de la Seconde Guerre mondiale, d'une évolution des comic-strips de l'époque qui proposaient des histoires courtes à gags, en outil de propagande glorifiant les super-guerriers. Superman, qui arrive en 1938, va dans ses aventures briser la défense allemande et combattre le Führer. Vont suivre une armée de justiciers costumés à la force surhumaine, dotés souvent de superpouvoirs, tels Thor ou Iron Man qui vont devenir les gardiens du monde libre. En créateur de génie, Sean Murphy parvient à imposer sa patte dans ce genre corseté. Par exemple, il ne peut pas s'empêcher de dessiner des voitures, une passion qui explique le port du blouson Steve McQueen des 24 Heures du Mans le jour où nous le rencontrons. Pour Zorro, ce sera une Chevrolet El Camino. Certes, Zorro chevauche toujours son fidèle Tornado ; il y aura aussi quelques scènes où, à l'arrière du pick-up de sa sœur, il joue du fleuret face au cartel surarmé.

Autre trouvaille de cet album, l'omniprésence de la couleur rouge et de l'esthétique du Día de muertos avec ses crânes colorés et fleuris, qui immerge le lecteur dans un Mexique dangereux et attachant. Enfin, on retrouve le souci du détail du dessinateur qui travaille à outrance les décors, faisant de ses planches en ouverture de chapitre de véritables tableaux qu'on a envie d'encadrer. Une édition en noir et blanc proposée en parallèle par son éditeur français rend justice à ce perfectionnisme des décors, souvent négligés dans ce genre qui va vite et favorise l'action. En effet, les comics se consomment vite, d'abord publiés par épisodes dans des magazines avant d'être réunis en un volume cartonné. Cent ans après la naissance du personnage, ce nouveau Zorro un peu fêlé vient enrichir notre mémoire collective du renard rusé, après Guy Williams, Antonio Banderas et avant Jean Dujardin, qui endossera à la rentrée le rôle de don Diego de la Vega dans une série sur France 2.

Anne-Laure Walter

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Commentaire 1
à écrit le 21/07/2024 à 8:48
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Un fils de riche qui au lieu de reprendre le business à papa préfère défendre ceux qui en sont LES victimes, définitivement une fiction donc héros définitif.

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