Cinéma : les joies du confinement dans « Hors du temps »

Avec « Hors du temps », Olivier Assayas cultive avec un charme fou la nostalgie de cette drôle de période. Chronique d’une cohabitation choisie.
Nine d’Urso incarne Morgane, l’une des protagonistes de ce huis clos.
Nine d’Urso incarne Morgane, l’une des protagonistes de ce huis clos. (Crédits : © LTD / CAROLE BETHUEL)

Hors du temps 4 ⭐/ 5

Ici, le temps s'est arrêté. » D'entrée de jeu, dès les premières minutes de son film et dans un premier commentaire, Olivier Assayas, en voix off, donne le ton d'un récit qui jusqu'au bout oscille entre fiction et réalité. « Ici », c'est la maison familiale qui appartient désormais au cinéaste et à son frère, Michka, journaliste spécialisé dans la musique rock et que les auditeurs de France Inter notamment connaissent bien. Tous les deux s'y sont bel et bien retrouvés à l'occasion du confinement, heureux et soulagés de pouvoir quitter Paris pour cette résidence secondaire de charme dans la vallée de Chevreuse. Le scénario du film        s'est construit à partir de cette situation de départ, Olivier devenant Étienne et Michka se transformant en Paul, l'un comme l'autre avec leurs compagnes respectives, qui ne se connaissent pas. Souvenirs réels et inventés se mélangent alors, mais tout au long du film la voix off d'Olivier Assayas, à la première personne du singulier, ne cesse de faire penser à un journal intime.

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Chacun de nous retrouvera des moments vécus au cours du confinement et les tensions qui en découlèrent. Ils ont beau être frères, les Assayas ne s'entendent ni sur le recours systématique aux commandes chez Amazon, ni sur la façon de rattraper une casserole brûlée, ni sur celle de conserver des aliments par temps de Covid, et encore moins sur la bande-son d'une soirée, avec Claude François en alpha mais surtout pas en oméga.            Bref, des gens comme vous et moi que la cohabitation tout à la fois choisie et forcée rend moins tolérants au fil des jours et des semaines. C'est d'abord de cette façon que Hors du temps vise juste et fait mouche : ce journal de bord est criant de vérité, entre mesquineries et mauvaise foi, petits arrangements et grandes concessions.

Un quatuor d'acteurs exceptionnels

Avec Assayas, le confinement devient le prétexte parfait d'une comédie qui se moque gentiment des bobos, tout en tenant un propos universel sur cette drôle de période.                  Mais le cinéaste ne s'arrête pas à ce premier stade. Il profite de cette situation pour approfondir un sujet qu'il a déjà traité dans des films précédents, et singulièrement dans le merveilleux L'Heure d'été où, comme ici, une maison tenait le premier rôle. Cette fois, pas question de la vendre dans le cadre d'un héritage. Il convient au contraire de l'utiliser comme un refuge, un abri, et de la transmettre à la génération d'après, qui semble s'en désintéresser mais certainement pour mieux l'investir le moment venu. Dans ses magnifiques et lumineux commentaires qui scandent le film comme autant de mises en perspective et de retour au réel, Olivier Assayas décrit longuement cette maison, son jardin ainsi que la maison voisine, son court de tennis et son parc auxquels il a librement accès et dont chaque arbre cache un souvenir de vacances.

C'est là que Hors du temps prend toute sa dimension et déploie ses charmes merveilleux. Quand la fiction raconte le quotidien, le prosaïque et parfois même le trivial, la mélancolie    se charge de convoquer la poésie des lieux et le souvenir des parents disparus. À la toute fin de l'un de ses plus grands films, Les Destinées sentimentales, d'après le roman de Jacques Chardonne, Olivier Assayas faisait entendre le bruit si singulier d'un râteau à feuilles sur le gravier en plein été. Moment lumineux et crépusculaire à la fois dont on retrouve l'esprit dans ce nouveau film, qui cite les tableaux de Monet et de Bonnard comme autant d'inspirations stimulantes pour l'œil et l'esprit. Au centre de ce tableau, un quatuor d'acteurs exceptionnels.

Pour les deux frères, le cinéaste s'est amusé à gentiment brouiller les pistes : le « rond » Michka est joué par le grand échalas nonchalant qu'est Micha Lescot, tandis que le plus anguleux Olivier se voit incarné par l'ourson Vincent Macaigne, que l'on savait doué pour entrer dans la peau et les intonations d'Olivier Assayas, ainsi qu'on l'avait vu dans la série Irma Vep. Face à eux, l'impeccable Nora Hamzawi et Nine d'Urso (plus que parfaite en jeune cousine artistique de la singulière Jeanne Balibar). Ces quatre-là ne cessent de nous émouvoir et de nous faire sourire à travers les miroirs qu'ils nous tendent.                                   « Mais où sont les neiges d'antan ? » chante Brassens à la fin du film en écho à un dialogue antérieur. Pour Assayas, l'art, le cinéma, la nature, les lieux et les souvenirs qui vont avec sont autant de réponses à cette interrogation. C'était mieux avant ? Non, mais il faut voir dans le présent ces traces du passé qui nous aident à vivre.

Hors du temps, d'Olivier Assayas, avec Vincent Macaigne, Micha Lescot, Nora Hamzawi, Nine d'Urso. 1h45. Sortie mercredi.

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