Cinéma : l’art d’aimer

Dans « Bonnard, Pierre et Marthe », Martin Provost brosse le double portrait lumineux et éclairé d’un couple passionné, campé par Cécile de France et Vincent Macaigne.
Cécile de France et Vincent Macaigne dans « Bonnard, Pierre et Marthe ».
Cécile de France et Vincent Macaigne dans « Bonnard, Pierre et Marthe ». (Crédits : © MEMENTO DISTRIBUTION)

Elle est de presque tous ses tableaux. Au détour d'un immense chapeau, à l'orée d'une terrasse dorée (et adorée) à Vernon, fuyante et fondue dans la foule, ou seule et alanguie dans sa baignoire. Elle, c'est Marthe, celle qui a rendu Pierre Bonnard immortel à travers son art dans le même temps que celui-ci l'immortalisait sur ses toiles. Rompu à l'exercice du portrait de femme après le biopic multicésarisé de la peintre Séraphine de Senlis, avec Yolande Moreau, ou celui de l'écrivaine Violette Leduc, avec Emmanuelle Devos, Martin Provost porte en ce début d'année son regard sur le couple Bonnard, et illumine la muse amante et aimante à l'ombre du célèbre postimpressionniste. Une femme ornée de nuances, de mystères et de complexité, fascinante, offerte, passionnante et passionnée, incarnée par une Cécile de France révélant avec finesse toute la palette de son jeu.

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Présenté à Cannes, Bonnard, Pierre et Marthe s'ouvre sur une feuille blanche rapidement habillée par le talent d'un coup de crayon : celui de Pierre Bonnard, alias Vincent Macaigne, lunettes sans branches vissées sur un nez lui-même fixé sur son ébauche. Il ne le sait pas encore, mais la femme qui se trouve derrière lui et qu'il croque là pour la première fois va habiter son existence d'homme et d'artiste durant près de cinquante années. Lui est déjà un peintre assez réputé et entretenu par les grands noms du milieu, elle est une Berrichonne éblouie par la bourgeoisie, se faisant passer pour une princesse italienne désargentée. De manière quasi instantanée, cette rencontre se mue en découverte des corps pour le dessinateur et son sujet, tous deux jeunes et assoiffés de s'aimer.

Passé le premier acte de la passion, du désir et de l'éclosion d'un artiste de génie dans le Paris de la fin du XIXe siècle, c'est le passage à l'âge adulte qui se dessine devant la caméra de Martin Provost et sous nos yeux, face à la fameuse Roulotte. Idyllique, cette maison de campagne au bord de l'eau, à la fois éden et tanière dans laquelle le couple va se transformer, est le décor de séquences mémorables, sublimées par les images vibrantes du chef opérateur Guillaume Schiffman. Au-delà de la scène en lisière de Seine fixée sur l'affiche du film, le paysage verduré esquisse des déjeuners en compagnie des Monet - André Marcon impressionne sous les traits de l'impressionniste -, et se concentre sur le début de l'essoufflement de Marthe.

Injectant délicatesse dans son propos et trouvailles dans sa mise en scène référencée, Martin Provost réussit à faire oublier une narration parfois trop classique

De la passion au drame

Toujours amoureuse, celle qui souffre du cœur supporte de moins en moins les absences répétées de son homme. Commence ainsi une plongée dans la frustration et la jalousie qui trouve son point d'orgue lors d'un face-à-face tout bonnement jouissif. Un duel au soleil en pleine eau avec Misia Godebska, fameuse mécène pétillante et ambivalente de Pierre Bonnard, portée avec virtuosité par Anouk Grinberg. L'horizon bucolique et le jaune si présent dans les tableaux de Bonnard se dotent alors d'une teinte plus sombre dans la seconde moitié du film, ponctuée par l'arrivée de la jeune Renée (Stacy Martin), étudiante aux Beaux-Arts pour qui le peintre a un coup de foudre.

Prenant la forme d'un triangle amoureux, cette passion se referme sur un drame qui permet à l'artiste de donner une autre dimension à ses œuvres, et au film de gagner en épaisseur en mettant - enfin - l'accent sur le goût et le don de Marthe pour la peinture. Seule, rongée par la peine, la femme devient elle aussi artiste avant que Pierre ne la retrouve, amorçant un final nimbé de lumière. Transformés par la vieillesse et la maladie, les contours des Bonnard n'en deviennent que plus précis, tracés dans un amour qui survivra à la folie et à la mort.

Hommage à Maria Boursin devenue Marthe de Méligny, puis Bonnard, et à la passion hors des conventions, Bonnard, Pierre et Marthe brille par la prestation et l'alchimie de ses interprètes. Injectant délicatesse dans son propos et trouvailles dans sa mise en scène référencée - le matte painting très hitchcockien de certains décors -, Martin Provost réussit presque à faire oublier une narration parfois trop classique et certaines longueurs. Une fresque nuancée du couple à travers les âges et l'art magnifiée par une photographie qu'il serait dommage de contempler ailleurs que sur grand écran.

Bonnard, Pierre et Marthe, de Martin Provost, avec Vincent Macaigne, Cécile de France. 2 h 02. En salles mercredi.

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