Quels enseignements tirer du « jour du dépassement » ?

À l'instar de ces dix dernières années (à l’exception de la pandémie de Covid), le jour où la population mondiale a épuisé la capacité annuelle de la planète à se régénérer tombe au milieu de l’été, ce jeudi 1er août. Cette litanie quelque peu déprimante est aussi l’occasion de zoomer sur certaines solutions et sert de caisse de résonnance à une communication au grand public.
Dominique Pialot
L'agriculture intensive contribue à la déforestation mondiale
L'agriculture intensive contribue à la déforestation mondiale (Crédits : Reuters)

Comme chaque année depuis 2006, le Global Footprint Network, en partenariat avec le WWF, annonce le « Jour du dépassement de la Terre », « Earth overshoot day » en version originale.

Cette date met en regard l'empreinte écologique de l'humanité et la biocapacité de la planète, c'est-à-dire l'ensemble des ressources que la Terre peut produire en une année. Si elle tombait le 31 décembre, cela signifierait que la situation est équilibrée. Mais on en est loin, puisque depuis une dizaine d'années, le jour du dépassement survient en plein été. Ce 1er août précisément cette année. Ce qui signifie qu'à compter d'aujourd'hui, nous puisons dans les ressources terrestres sans que notre planète ne puisse absorber les impacts environnementaux négatifs. Pour régénérer ce que l'humanité consomme, il nous faudrait 1,75 Terre en termes de surface.

En effet, cet indicateur repose sur un calcul tenant compte des surfaces nécessaires aux cultures, aux pâturages, aux forêts cultivées en vue de produire du bois, aux espaces bâtis, aux zones de pêche et aux espaces forestiers qui servent de puits de carbone. A l'échelle mondiale, la biocapacité s'établit à 12 milliards d'hectares quand il en faudrait 21 milliards pour satisfaire à nos besoins collectifs. Ou, plus exactement, à notre consommation collective actuelle. Comme d'autres, cet indicateur prête le flanc à la critique. Ainsi, il ne tient pas compte de certaines limites planétaires telles que l'acidification des océans, qui nuit fortement à leur capacité à absorber le CO2. Ni de certains types de pollutions, notamment plastique et chimique.

Un indicateur critiquable, mais précieux

Ce concept de limites planétaires, formalisé il y a 15 ans par des scientifiques regroupés autour du suédois Johan Rockström, définit un écosystème sûr pour l'habitabilité de la planète, délimité par neuf seuils à ne pas franchir dans les domaines suivants :  le changement climatique, l'érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l'azote et du phosphore, le changement d'usage des sols, l'utilisation de l'eau douce, l'acidification des océans, l'appauvrissement de l'ozone stratosphérique, l'augmentation des aérosols dans l'atmosphère, l'introduction d'entités nouvelles dans la biosphère. Pour mémoire, six de ces limites ont d'ores et déjà été franchies.

Quoi qu'il en soit, cet indicateur multifactoriel est tout sauf simple à appréhender par le grand public. A l'autre bout du spectre, le CO2, une métrique qui a fini par s'imposer jusque dans le débat public, mais réductrice.

Pour Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France « on s'est trop longtemps focalisés sur le seul CO2 au détriment de la biodiversité, ce qui est une grave erreur, ne serait-ce que parce que cette dernière est indispensable pour absorber le carbone. » Le « jour du dépassement » permet de mettre un coup de projecteur sur la biodiversité, sur laquelle la prise de conscience n'a pas encore eu lieu faute, notamment, d'indicateur comme il en existe sur le carbone.

« Le "jour du dépassement", qui se situe entre le CO2 trop réducteur et les limites planétaires, trop complexes, permet d'incarner ce sujet de la biodiversité et de mettre en lumière à quel point l'érosion de la biodiversité et le changement climatique constituent des crises jumelles », résume-t-elle.

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Ce que pèsent nos achats

Sur son site, le Global Footprint Network propose de nombreuses simulations de l'impact qu'auraient certaines mesures mises en œuvre à l'échelle mondiale, en nombre de jours gagnés. Par exemple, diviser nos émissions de CO2 par deux ferait survenir le jour du dépassement trois mois plus tard ; remplacer un tiers des distances parcourues en voitures par des transports en commun, du vélo ou de la marche permettrait de reculer de 13 jours supplémentaires.

À l'échelle nationale aussi, l'annonce du jour du dépassement fournit une occasion de battre le rappel sur la nécessité de faire collectivement évoluer nos modes de vie. C'est pourquoi l'ADEME, agence nationale de la transition écologique, s'en fait le relais. « Je continuerai à le faire chaque année », confie à La Tribune son président, Sylvain Waserman, qui « encourage les medias à s'en emparer ». L'ADEME insiste sur le poids des gestes du quotidien : consommation raisonnée d'eau et d'énergie, lutte contre le gaspillage, notamment alimentaire, recours à la deuxième main... Son président évoque aussi les 300 millions de bouteilles en plastique qu'on économiserait en passant au savon et au shampoing solides, ou encore les 2.700 litres d'eau nécessaire à la fabrication d'un T-shirt de la fast fashion.

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De façon générale, « on ne donne pas suffisamment au consommateur les moyens de comprendre les conséquences de ses achats ». Un éco-score semblable à celui existant sur les produits alimentaires doit d'ailleurs être étendu au textile d'ici à la fin de l'année pour pallier cette lacune.

L'agriculture intensive en ligne de mire

Quant au WWF, c'est sur la nécessité de réviser le système agricole que l'antenne française a décidé d'enfoncer le clou cette année. L'ONG rappelle que l'agriculture intensive moderne repose largement sur l'utilisation de ressources non renouvelables telles que les énergies fossiles, mais aussi les engrais à base d'azote minéral, importés à 80%, des graines et tourteaux destinés à l'alimentation du bétail, dont les deux tiers proviennent de l'étranger et contribuent directement à la déforestation mondiale. Le recours aux pesticides affecte la biodiversité et la qualité des eaux, et la disparition de populations de pollinisateurs et autres insectes utiles aux cultures menace la soutenabilité de certaines cultures et, donc, notre souveraineté alimentaire.

« Globalement, nous avons calculé que sur les 9 milliards de subventions octroyées dans le cadre de la PAC, 6 milliards étaient dommageables au climat ou à la biodiversité », indique Véronique Andrieux.

Attendue à l'automne 2025, elle veut croire que la proposition sur la future PAC 2028-2034 pourrait nécessiter une révision du plan stratégique National (PSN) de la France. Une raison de plus, alors que se profile le prochain projet de loi de finances, pour choisir de communiquer sur ce sujet à l'occasion du jour du dépassement.

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Bientôt un « PIB souverain et durable » ?

Cette faible autonomie ne se limite pas à l'alimentation, et une certaine dépendance de la France vis-à-vis d'autres pays se reflète dans le jour du dépassement français. Cette année, c'est depuis le 7 mai que la France a épuisé sa propre biocapacité. Soit plus tard que les Etats-Unis ou le Qatar, mais plus tôt que nombre d'autres pays.

Et si la planète entière adoptait nos modes de vie, ce ne sont pas 1,75, mais plus de 3 planètes qui seraient nécessaires (5 pour les Etats-Unis). D'ailleurs, le sujet de la souveraineté a été mis en haut de l'agenda politique. « Il n'est pas normal de mettre sur le même plan dans le calcul du PIB une machine à laver fabriquée en Asie et sa réparation en France », observe Sylvain Waserman. C'est pourquoi l'ADEME entend soutenir des thèses en économie portant que le calcul d'un PIB « souverain et durable », dont il s'agirait de suivre l'évolution au sein du PIB global.

Dominique Pialot

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Commentaires 5
à écrit le 01/08/2024 à 23:43
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Commencer par ne plus prendre l'avion et arrêter les climatiseurs. Manger moins de viande et boire moins de sodas.Un bon début!😃

le 03/08/2024 à 9:03
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ce n'est pas en resonnant facon ecolos que le monde trouvera la solution c'est en stopant la migration en obligeants les populations a travailler sur leur terres qui en europe et en amerique du nord ainsi que l'asie a tout ceux qui ont fait l...

le 03/08/2024 à 22:21
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Vous êtes un bon petit soldat. J’espère seulement que vous vous appliquez ce que vous préconisez et même plus !

à écrit le 01/08/2024 à 21:00
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Ben oui c'est ce que je dis depuis un moment maintenant, nos dirigeants sont nuls.

à écrit le 01/08/2024 à 19:05
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Le " jour du dépassement " n' est pas le même pour tous les pays ! Comme c' est le cas pour demeurer en bonne santé une vie " frustre " est la bonne solution pour la Planète Terre

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