Produire du « gaz vert » à partir d’électricité : pourquoi ce sera plus compliqué que prévu

Pour remplacer le gaz fossile, le gestionnaire du réseau de distribution, GRDF, ne mise pas que sur le biométhane, cette molécule issue de la fermentation de matières organiques. Il plaide aussi pour accroître les investissements dans le « power-to-methane », un procédé qui permet de changer l’électricité…en gaz. Seulement voilà : le rendement reste mauvais, et l’électricité bas carbone, disponible en quantités limitées.
Marine Godelier
Le fameux « gaz vert » proviendra de ressources disputées, comme la biomasse mais aussi l'électricité (Photo d'illustration).
Le fameux « gaz vert » proviendra de ressources disputées, comme la biomasse mais aussi l'électricité (Photo d'illustration). (Crédits : Eric Gaillard)

Ces dernières années, une promesse a fait son apparition : du « gaz vert » fera bientôt son apparition dans nos tuyaux, alimentant les radiateurs et autres plaques de cuisson, et ce, sans contribuer au réchauffement de la planète, et sans que nous ayons à modifier nos habitudes. C'est en tout cas ce qu'affirment les géants du secteur, en premier lieu GRDF, le gestionnaire du réseau français de canalisations. Au point que, grâce à cette innovation, il deviendrait même inutile de bifurquer vers une chaudière électrique pour diminuer son empreinte carbone et se passer des combustibles fossiles, fait régulièrement valoir l'entreprise.

Seulement voilà : avant que la réalité ne colle à ce narratif, le chemin sera très long. De fait, le fameux « gaz vert » proviendra de ressources coûteuses et très disputées, comme la biomasse (résidus végétaux, bois...) ou encore... l'électricité bas carbone, issue des renouvelables ou du nucléaire.

Lire aussiLe biométhane, l'arme d'Engie pour sauver les chaudières à gaz

Biomasse ou électricité

En effet, il existe plusieurs moyens pour générer la fameuse molécule de méthane (CH4), principal composant du gaz naturel, en dehors de l'exploitation d'hydrocarbures en sous-sol. La plupart d'entre eux reposent non pas sur l'électricité, mais sur la décomposition de biomasse. C'est-à-dire la matière organique d'origine végétale, animale, bactérienne ou fongique utilisable comme source d'énergie. Et notamment la « méthanisation », qui consiste à fermenter des intrants agricoles ou industriels dans de grandes cuves.

Mais ce n'est pas la seule manière de faire : pour générer suffisamment de « gaz  vert », GRDF compte également sur la « méthanation », ou « power-to-methane ». Ce procédé consiste à générer du gaz bas carbone à partir d'électricité. 

« La méthanation constitue, au côté de la méthanisation, une des principales options pour décarboner le système gazier », pointe ainsi le gestionnaire du réseau de transport d'électricité RTE dans un rapport publié fin juillet.

De fait, « différents scénarios en France et en Europe, portés notamment par les opérateurs d'infrastructures gazières, envisagent un développement significatif » de cette méthode, ajoute-t-il. A l'instar de GRDF, qui estime à 50 térawattheures (TWh) le potentiel de production de gaz par « power-to-methane » en 2050, contre 130 TWh pour la méthanisation (qui deviendrait la principale filière à cette échéance). Des chiffres à comparer avec les quelque 400 TWh de gaz consommés chaque année en France.

Lire aussiProduction de biogaz : la trajectoire n'est pas bonne, alerte l'Etat

« Dé-fossiliser » le gaz

Mais concrètement, comment obtient-on du méthane à partir d'électricité ? Comme pour produire de l'hydrogène « vert », tout part d'une molécule d'eau (H20). Dans un engin appelé électrolyseur, un courant électrique sépare l'oxygène (O) de l'hydrogène (H2). Ce dernier est ensuite combiné avec du carbone (CO2) pour créer du CH4, directement injectable dans les canalisations à la place de son équivalent fossile (ce qui est impossible pour l'hydrogène sans ajustement des tuyaux).

« Même s'il y a toujours besoin de carbone, cela permet de dé-fossiliser le gaz », précise Etienne Philippe, chef de projet « nouvelles filières de gaz vert » chez GRDF.

Deux conditions doivent toutefois être réunies pour que le méthane ainsi obtenu soit considéré comme « vert » : que le CO2 soit d'origine biogénique, c'est-à-dire contenu dans la biomasse agricole ou forestière plutôt qu'issu du sous-sol terrestre. Et, surtout, que le courant utilisé pour l'électrolyse de l'eau provienne de centrales renouvelables ou nucléaires, c'est-à-dire peu émettrices de gaz à effet de serre.

Y aura-t-il assez d'électricité bas carbone ?

Et c'est là que le bât blesse. Car il faudrait disposer d'énormément d'électricité bas carbone pour mettre au point ce nouveau gaz. La raison : d'importantes pertes énergétiques surviennent lors de la transformation, avec un rendement de l'ordre de 50% à 60% seulement. Or, l'électricité « verte », issue du nucléaire ou des renouvelables, sera probablement limitée sur le territoire, alors que les nouveaux réacteurs atomiques ne sont pas attendus avant 2035 au mieux, et que la France affiche déjà un retard sur l'installation d'éoliennes et de panneaux solaires.

L'agence de la transition écologique (Ademe) a même revu à la baisse ses projections pour cette raison : dans une étude menée en 2018 avec GRDF et GRTgaz, celle-ci estimait le potentiel d'injection de gaz produit par « power-to-methane » entre 34 et 135 TWh en 2050. Dans son rapport de référence Transition(s) 2050 publiée fin 2021, le scénario le plus favorable à cette solution n'allait au-delà de 36 TWh.

« En 2018, on arrivait à des gisements plus élevés, car on n'appliquait pas de contraintes sur la disponibilité de l'électricité. Mais dans la réalité, il faudra réaliser des arbitrages », explique Jean-Michel Parrouffe, à l'époque chef du service réseau énergies renouvelables.

Dans ces conditions, GRDF affiche un autre argument : pourquoi ne pas utiliser le surplus généré par les énergies renouvelables lorsqu'il y a trop de vent et de soleil, qui serait perdu autrement ? Dans une étude de 2014 portant sur « l'hydrogène et la méthanation comme procédé de valorisation de l'électricité excédentaire », l'Ademe, GRTgaz et GRDF retiennent cette solution, « l'éolien et le photovoltaïque » étant « des filières de production d'énergie renouvelable au potentiel très élevé et aux coûts de production parmi les plus faibles à moyen-long terme ».

« L'injection dans les réseaux de gaz facilitera l'intégration des énergies renouvelables intermittentes dans le mix énergétique et permettra d'augmenter leur part dans la consommation énergétique finale », affirme-t-on même du côté d'Engie.

Un développement « très limité » à moyen terme, dit RTE

Seulement voilà : les électrolyseurs censés transformer le courant électrique en gaz gèrent plus mal que prévu l'approvisionnement par à-coups des énergies renouvelables.

« La variabilité de l'éolien et du solaire en fonction de la météo entraîne un vieillissement des composants plus important que prévu. On observe aussi un comportement des fluides différent de celui qu'on voyait à petite échelle, ainsi que des densités de courant imprévues, des points chauds qui se créent, et un endommagement des membranes », expliquait il y a quelques semaines à La Tribune Ludovic Leroy, ingénieur d'affaires à l'IFP Energies nouvelles.

Lire aussiHydrogène : la grande désillusion ?

Au global, le « power-to-methane » connaîtra ainsi un « développement a priori très limité à moyen terme compte tenu des faibles performances », estimait RTE dans son rapport de fin juillet. D'autant que, rappelle l'organisme, « de nombreux usages du méthane peuvent être substitués avec des solutions basées sur l'électricité présentant de bien meilleures performances à l'usage ». Notamment le chauffage des bâtiments ou la production de chaleur à basse température dans l'industrie, pour lesquels l'utilisation de pompes à chaleur permet de « diviser par 3 à 4 les besoins énergétiques ». En d'autres termes : pourquoi ne pas utiliser directement l'électricité, plutôt que de la transformer en gaz avec d'importantes pertes en cours de route ?

« Tout dépendra de l'évolution du système électrique, et de la manière dont on arrivera ou pas à maîtriser la demande et à valoriser les excédents », répond-on chez GRDF, loin d'exclure un déploiement de la méthanation à moyen terme.

Une chose est sûre : alors que GRDF s'est battu pendant de longs mois pour défendre les chaudières à gaz face à l'éventualité de leur interdiction, sa bataille d'influence contre le « tout-électrique » promet de durer.

Lire aussiRTE dézingue les arguments des gaziers contre les pompes à chaleur électriques

Marine Godelier

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 8
à écrit le 09/08/2024 à 18:58
Signaler
Le rendement n'est pas le problème. Les excédents arrivent par vagues qui culminent à une quinzaine de GW aujourd'hui. Dès 2028, ce sera 100 GW et quoiqu'on fasse une grande partie de cette énergie sera sacrifiée. Si vous avez un électrolyseur au ren...

à écrit le 09/08/2024 à 10:16
Signaler
C'est fou ce qu'au prétexte de défendre ses intérêts corporatistes les ingénieurs d'entreprises sont prêts et amenés à faire. Revoir ses hypothèses de 135 TWh à 36 TWh en moins de trois ans, même les énarques n'oseraient pas le faire. Ce monde n'a pl...

à écrit le 09/08/2024 à 9:59
Signaler
Le gaz a encore de très beaux jours devant lui. Sans doute faudrait-il à terme remplacer les chaudières à gaz par des PAC. MAIS, pour convaincre les ménages, il faudra que deux conditions soient strictement remplies: garantir les économies d'énergie ...

à écrit le 09/08/2024 à 9:43
Signaler
Produire du dhydrogène ou du méthane en quantités significatives dans le mix énergétique (environ 5 %), à partir d'électricité, relève au mieux de l'incompétence la plus totale, au pire du délire.

à écrit le 09/08/2024 à 8:16
Signaler
Une usine à gaz parfaite, une pensée stalinienne adaptée à l'UERSS empire prévu pour durer mille ans. Générer de l'énergie avec de l'énergie. LOL ! Staliniens et néolibéraux s'entendent comme larrons en foire, le nihilisme a de nombreux thuriféraires...

à écrit le 08/08/2024 à 17:21
Signaler
Sur le plan thermodynamique, ca n'a aucun sens de transformer de l'electricite en methane

à écrit le 08/08/2024 à 16:28
Signaler
Gaz vert = OXYMORE, la combustion produisant du CO2 Ces gars-là seraient capables de vendre du sable à un bédouin, mais la réalité les rattrape. Toujours rien sur le houlomoteur (qui fonctionne, qui est pas cher, mais pour lequel GDF/EDF ne peuvent...

à écrit le 08/08/2024 à 16:17
Signaler
Le rendement doit être assez médiocre ? Faire H2 avec de l'électricité, le faire réagir sur le CO2 pour faire du méthane CH4 (et séparer, comme pour la fermentation, CH4 de CO2), il y a quoi à la fin ? Un peu de méthane issu de beaucoup d'énergie éle...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.