EDF va-t-il devoir revoir sa politique commerciale ? Alors que la question du prix de l'énergie s'est invitée au cœur de la campagne éclair pour les législatives anticipées, les débats s'étaient concentrés jusqu'à présent sur la facture des particuliers. Mais Bruno Le Maire, lui, n'a pas oublié qu'il s'agissait aussi d'une préoccupation majeure pour les entreprises. Et ce, tout particulièrement pour les industriels gourmands en électricité, comme les aciéristes et les chimistes, souvent désignés sous le terme « d'électro-intensifs ».
Ainsi, devant un parterre de patrons, l'actuel ministre de l'Economie a dit, jeudi, vouloir rouvrir les négociations avec EDF, estimant que les prix proposés pour l'industrie française dans le cadre des contrats d'approvisionnement de long terme n'étaient pas satisfaisants.
Clause de revoyure
« Nous rouvrirons la négociation des contrats avec EDF parce que le prix de sortie n'est pas suffisant, n'est pas suffisamment compétitif pour l'industrie française », a déclaré le ministre lors de sa présentation du programme économique du parti présidentiel devant les représentants patronaux réunis au Medef à Paris. « Nous avons proposé des contrats à long terme. Est-ce que le prix est satisfaisant? Non. Est-ce qu'il faudra par conséquent rouvrir la négociation avec EDF ? Ma réponse est oui » a-t-il encore affirmé.
L'entourage de Bruno Le Maire se défend toutefois d'une posture électoraliste. « C'est l'objet de la clause de revoyure qu'il avait annoncée pour fin juin, et qui le mène à acter qu'il y a un problème sur le prix », assure-t-on au sein de son cabinet. Pour rappel, en novembre dernier, EDF et l'exécutif s'étaient mis d'accord sur le cadre de la politique commerciale de l'électricien post-2025, une fois que le mécanisme actuel de l'Arenh - qui contraint le groupe public à vendre une partie de son électricité nucléaire à 42 euros du mégawattheure (MWh), soit en dessous de son coût de production - tirera sa révérence. Cet accord prévoyait, au bout de quelques mois, une clause de revoyure. L'idée ? Que toutes les parties prenantes se remettent autour de la table pour « tirer un premier bilan » et « voir si la politique commerciale fonctionne », explique une source proche du dossier.
Quatre lettres d'intention, mais zéro contrat signé
Or, l'appréciation de cette politique est diamétralement opposée dans les deux camps. Si EDF se targue d'avoir décroché quatre lettres d'intention (deux auprès d'Arcelor Mittal et de GravitHy et deux auprès de deux autres industriels restés confidentiels), fruit de négociations « menées au plus haut niveau de l'entreprise », les industriels ont, eux, une toute autre lecture. « Lorsque nous faisons les comptes aujourd'hui, il y a quatre lettres d'intention, mais zéro contrat signé. Même la lettre d'intention d'ArcelorMittal, annoncée en grande pompe en janvier dernier, n'a toujours pas abouti sur un contrat », déplore ainsi un porte-parole du secteur de l'industrie.
L'électricien, qui visait sept lettres d'intention à l'été, défend son bilan en matière de volume alors que ces quatre lettres représentent 10 térawattheures (Twh) de fourniture d'électricité par an, sur un potentiel estimé à 23 TWh. Ce qui est considéré comme un bon niveau en interne au regard du contexte de marché de gros, où les prix fluctuent entre 0 et 50 euros le MWh. Une situation de prix bas qui n'est pas de nature à précipiter les industriels à s'engager dans des contrats de fourniture sur le long terme.
Or, du côté des industriels, l'absence de signature de contrat s'explique, en partie, par les niveaux de prix trop élevés proposés par EDF. Les acteurs de la chimie s'en étaient déjà plaints tandis que la filière hydrogène, qui peine à décoller, avait déjà appelé l'électricien à casser ses prix. Et ce, alors que l'électricité représente au moins trois quarts du prix de revient de cette molécule, censée jouer un rôle clef dans la décarbonation de l'économie. Les producteurs espèrent ainsi décrocher un prix de seulement 40 euros du mégawattheure !
Blocage sur le partage du risque
Reste que le prix, contrairement à ce que laisse entendre les propos du ministre de l'Economie, n'est pas le seul facteur bloquant. Loin de là. En effet, les négociations des industriels et d'EDF butent aussi et surtout sur la question du partage des risques. Car ici, il n'est pas question de simples contrats d'approvisionnement de long terme, mais de contrats spécifiques adossés à des actifs nucléaires.
Ces « partenariats » doivent porter sur des durées de 10 à 15 ans, voire au-delà, et incluent des avances versées par les industriels clients permettant à EDF de financer une partie de ses investissements. Objectif : réserver une portion de la production du parc nucléaire à un prix attractif, avec des paiements qui seraient ensuite fonction des coûts de revient des centrales. L'électricien souhaite ainsi partager ses risques et obtenir de la visibilité sur ses revenus.
Le ticket minimum de ces fameuses « avances en tête » reste confidentiel, mais il se compte en million d'euros. Ce qui impose nécessairement une forte barrière à l'entrée, ce que n'a cessé de critiquer Philippe Darmayan, ex-patron d'Arcelor Mittal en France et dont le rapport issu de sa mission de médiation entre les industriels et EDF vient d'être remis au gouvernement, selon les informations du média Contexte.
L'impossible point d'équilibre ?
Quant aux grands industriels ayant les capacités de réaliser ces apports de trésorerie, ils réclament, eux, des contreparties. « Il faut des engagements d'EDF sur l'atteinte d'un certain niveau de productible. Pour nous, il est important que le taux d'utilisation de ses centrales nucléaires soit suffisant car, moins elles produisent, plus le prix de l'électron est élevé, étant donné que les coûts restent fixes », explique un porte-parole représentant les industriels concernés.
« Il faut trouver un bon point d'équilibre pour partager les risques quant aux futures performances du parc nucléaire (...). Or, sur le sujet, EDF demande un partage des risques qui pèse trop sur les entreprises », faisait ainsi valoir Nicolas de Warren, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (Uniden), en février dernier. Force est de constater que, quatre mois plus tard, le bon point d'équilibre n'a toujours pas été trouvé.
Tandis que ces négociations patinent, l'électricien se félicite d'avoir signé, en parallèle, plus de 1.600 contrats d'approvisionnement de moyen terme, sur des durées de cinq à six ans, auprès, cette fois, d'entreprises de petite et moyenne taille.
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