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« Une bonne négociation est une négociation où tout le monde est satisfait du résultat final. Je pense que c'est le cas », se félicitait le 14 novembre dernier, le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire, lors d'une conférence de presse présentant l'accord entre EDF et l'exécutif sur la nouvelle régulation encadrant le prix de l'électricité nucléaire, visant à remplacer le mécanisme de l'Arenh (pour accès régulé à l'électricité nucléaire historique), qui tirera sa révérence fin 2025.
Force est de constater que le résultat final satisfait peu. Le jour-même les industriels grands consommateurs d'électricité fustigeaient déjà le mécanisme à venir. Six mois plus tard, alors que les paramètres autour de cet accord ne sont toujours pas arrêtés, ce sont les fournisseurs d'énergie alternatifs concurrents de l'électricien historique qui font part de leurs inquiétudes persistantes. Plusieurs d'entre eux redoutent qu'EDF puisse, dans ce nouveau contexte, gagner davantage de parts de marché du fait de sa position dominante en termes de production et d'une possible distorsion de la concurrence.
Disparition du projet de loi
Ce point de préoccupation avait déjà été soulevé par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et l'autorité de la concurrence (ADLC) dans une lettre commune adressée au gouvernement en janvier dernier. Dans ce courrier, les deux autorités considéraient notamment qu'il était « nécessaire de mettre en place des mesures permettant de garantir ex ante un marché de l'électricité équitable ». La plupart de ces recommandations avaient été retenues par l'exécutif dans son projet de loi relatif à la souveraineté énergétique. Texte qui, depuis, a complètement été abandonné par le gouvernement. De quoi raviver les craintes des concurrents de l'électricien national.
Pour rappel, le mécanisme actuel de l'Arenh contraint EDF à vendre aux fournisseurs alternatifs, entre autres, une partie de son électricité nucléaire au prix de 42 euros du mégawattheure, soit en-dessous de ses coûts de production. En 2026, ce mécanisme sera remplacé par un dispositif « tout marché ». En d'autres termes, la vente de l'électricité nucléaire sur le marché de gros (là où l'électricité est négociée et achetée par les fournisseurs aux producteurs avant d'être commercialisée sur le marché de détail puis distribuée à travers le réseau de distribution), ne sera pas encadrée par les pouvoirs publics par des prix plafond ou plancher. Cette approche sera seulement complétée par un système d'écrêtement, qui permettra de partager les rentes issues des ventes de l'électricité nucléaire au-dessus d'un certain seuil.
Les fournisseurs alternatifs inquiets d'un manque de liquidité
Dans ce contexte, plusieurs fournisseurs alternatifs, pourtant censés être les premiers promoteurs d'une logique tout marché, se montrent, au contraire, très frileux. Certains pointent, en effet, le risque d'un dysfonctionnement de ce marché et notamment d'un manque de liquidité dans un contexte où les règles du jeu ne seraient pas équitables.
« Notre point d'attention, c'est de s'assurer qu'EDF ne risque pas d'assécher le marché. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation avec un producteur très dominant [EDF, ndlr], où il n'y a pas de séparation entre EDF producteur et EDF fournisseur et où il n'y a pas non plus de préconisations sur quels volumes d'électricité doivent être mis sur le marché par EDF et quand », résume un fournisseur.
« L'optimum économique serait qu'EDF producteur mette toutes ses capacités nucléaires sur le marché de gros et qu'EDF fournisseur se fournisse sur ce marché au même titre que les autres fournisseurs », explique cette même entreprise. Reste que cette piste ne semble aujourd'hui pas avoir la faveur de l'exécutif. Et pour cause, elle ne paraît pas compatible avec « le fait qu'EDF soit encouragé par le gouvernement à allouer une partie de sa production nucléaire à des clients via des contrats de long terme, hors marché », pointe l'économiste spécialiste du marché de l'électricité Jacques Percebois. « On ne peut pas dire, d'un côté : 'il faut développer les PPA [contrats d'achat d'électricité de long terme, ndlr]'. Et de l'autre : 'il faut que toute l'électricité nucléaire soit vendue sur le marché de gros' », résume-t-il.
... et d'un accroissement mécanique des parts de marché d'EDF
Pour limiter le risque de distorsion de concurrence, le fournisseur en question réclame la mise en place de garde-fous ex ante « pour s'assurer que les volumes d'électricité nucléaire puissent être mis sur le marché de manière prévisible », explique-t-il. Dans le cas contraire, le manque de liquidité et de visibilité pourrait conduire les fournisseurs alternatifs à s'approvisionner sur les marchés voisins, assure-t-on. « Ce qui conduirait à renchérir nos coûts, car il faudrait notamment payer les spreads [la différence entre une valeur constatée et une valeur de référence, ndlr] et le coût de transport », développe ce concurrent d'EDF. De quoi conduire à un accroissement mécanique des parts de marché de l'électricien historique, proposant des prix plus compétitifs.
« Un mécanisme pur marché va, par nature, renforcer la position dominante d'EDF qui est intégré verticalement et qui détient une très grande partie de la production d'électricité. Or, les marchés sont insuffisants en termes de produits et de durée, contrairement à ce que prétend EDF, qui assure que les marchés fonctionnent parfaitement », fustige un autre compétiteur. « Sur le marché de gros à deux ans, les produits sont extrêmement rudimentaires », regrette-t-il.
« La liquidité du marché n'est pas au rendez-vous », abonde encore un autre concurrent d'EDF. « Ce qui peut nous faire perdre des clients car nous ne sommes pas en capacité de répondre à leurs besoins », explique ce même fournisseur, qui pointe « le manque de profondeur » sur les échéances 2028, 2029. « A partir du moment où le marché n'est pas liquide, vous n'êtes pas en capacité de vous couvrir [un fournisseur se couvre en achetant des produits à terme négociés bien avant leur date de livraison pour éviter de s'exposer à la volatilité des prix de l'électricité sur le marché spot, ndlr], dans des conditions optimales. Cela génère donc une prime de risque, qui contribue à majorer le prix de l'électricité. Par ricochet, vous vous dépositionnez par rapport à un acteur capable de se couvrir parfaitement », développe-t-il.
Le modèle des fournisseurs non producteurs remis en question
Un raisonnement qui fait tiquer Jacques Percebois :
« Vous ne pouvez pas dire 'je suis pour la concurrence et, en même temps, vouloir la garantie de conserver vos parts de marché », tranche l'économiste. « Il faut être meilleur qu'EDF sur certains segments. Les fournisseurs alternatifs le peuvent s'ils achètent de l'électricité renouvelable très bon marché à des producteurs français et frontaliers », estime le spécialiste.
Selon lui, cette inquiétude met surtout en lumière « la fragilité d'un système dans lequel le fournisseur alternatif n'est pas producteur». « C'est ce qu'on appelle le modèle du commercialisateur pur », précise l'économiste. Deux options s'ouvrent à ces acteurs, estime Jacques Percebois : nouer des contrats d'approvisionnement (PPA) auprès de producteurs d'énergies renouvelables ou développer eux-mêmes des capacités de production. Dans le cas contraire, « certains fournisseurs pourraient disparaître », prévient-il.
Vers un « système bancal »
Sans surprise, les fournisseurs alternatifs ne voient pas la situation du même œil :
« Est-ce qu'au motif qu'EDF a été en situation de monopole historique cela justifie qu'il conserve un avantage compétitif de manière éternelle alors même qu'il y a besoin d'innover ? Au-delà d'un sujet concurrentiel, il y a un vrai sujet d'intérêt général », affirme sans détour un de ses concurrents.
« Compte tenu des besoins de flexibilité grandissants, il faut des capacités d'innovation du côté de la demande, [et non plus uniquement du côté de l'offre, ndlr] donc des fournisseurs alternatifs agiles », assure ce dirigeant. Lequel ne manque pas de souligner que le cadre post-Arenh n'est pas non plus favorable à EDF compte tenu de l'absence de prix plancher dans un contexte de marché baissier. « Le système prévu est bancal et il faudra mettre des rustines en urgence », prédit-il.
Contacté par la rédaction, EDF se refuse à commenter les inquiétudes de ses concurrents. L'électricien historique assure néanmoins que ses offres « sont parfaitement réplicables par les fournisseurs alternatifs. » grâce à une diversité de sources d'approvisionnement disponibles. De son côté, Bercy promet que des « gardes fous » permettant d'assurer le pouvoir de contrôle de la CRE sur ces questions seront bien intégrés à un véhicule législatif. Reste à savoir lequel. Une chose est sûre : ces dispositions ne figureront pas dans le projet de loi de finance, comme certains pouvaient l'espérer.
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