Marché de l’électricité post-2025 : les fournisseurs alternatifs s'inquiètent d’une concurrence déloyale avec EDF

Dès 2026, la vente d'électricité nucléaire ne sera plus encadrée par un prix fixé à l'avance par les pouvoirs publics. Dans ce contexte, plusieurs concurrents d'EDF s'inquiètent d'un manque de visibilité et de liquidité sur le marché de gros. Ce qui pourrait, selon eux, conduire à renforcer la position dominante de l'électricien national.
Juliette Raynal
(Crédits : ERIC GAILLARD)

« Une bonne négociation est une négociation où tout le monde est satisfait du résultat final. Je pense que c'est le cas », se félicitait le 14 novembre dernier, le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire, lors d'une conférence de presse présentant l'accord entre EDF et l'exécutif sur la nouvelle régulation encadrant le prix de l'électricité nucléaire, visant à remplacer le mécanisme de l'Arenh (pour accès régulé à l'électricité nucléaire historique), qui tirera sa révérence fin 2025.

Force est de constater que le résultat final satisfait peu. Le jour-même les industriels grands consommateurs d'électricité fustigeaient déjà le mécanisme à venir. Six mois plus tard, alors que les paramètres autour de cet accord ne sont toujours pas arrêtés, ce sont les fournisseurs d'énergie alternatifs concurrents de l'électricien historique qui font part de leurs inquiétudes persistantes. Plusieurs d'entre eux redoutent qu'EDF puisse, dans ce nouveau contexte, gagner davantage de parts de marché du fait de sa position dominante en termes de production et d'une possible distorsion de la concurrence.

Disparition du projet de loi

Ce point de préoccupation avait déjà été soulevé par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et l'autorité de la concurrence (ADLC) dans une lettre commune adressée au gouvernement en janvier dernier. Dans ce courrier, les deux autorités considéraient notamment qu'il était « nécessaire de mettre en place des mesures permettant de garantir ex ante un marché de l'électricité équitable ». La plupart de ces recommandations avaient été retenues par l'exécutif dans son projet de loi relatif à la souveraineté énergétique. Texte qui, depuis, a complètement été abandonné par le gouvernement. De quoi raviver les craintes des concurrents de l'électricien national.

Pour rappel, le mécanisme actuel de l'Arenh contraint EDF à vendre aux fournisseurs alternatifs, entre autres, une partie de son électricité nucléaire au prix de 42 euros du mégawattheure, soit en-dessous de ses coûts de production. En 2026, ce mécanisme sera remplacé par un dispositif « tout marché ». En d'autres termes, la vente de l'électricité nucléaire sur le marché de gros (là où l'électricité est négociée et achetée par les fournisseurs aux producteurs avant d'être commercialisée sur le marché de détail puis distribuée à travers le réseau de distribution), ne sera pas encadrée par les pouvoirs publics par des prix plafond ou plancher. Cette approche sera seulement complétée par un système d'écrêtement, qui permettra de partager les rentes issues des ventes de l'électricité nucléaire au-dessus d'un certain seuil.

Les fournisseurs alternatifs inquiets d'un manque de liquidité

Dans ce contexte, plusieurs fournisseurs alternatifs, pourtant censés être les premiers promoteurs d'une logique tout marché, se montrent, au contraire, très frileux. Certains pointent, en effet, le risque d'un dysfonctionnement de ce marché et notamment d'un manque de liquidité dans un contexte où les règles du jeu ne seraient pas équitables.

« Notre point d'attention, c'est de s'assurer qu'EDF ne risque pas d'assécher le marché. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation avec un producteur très dominant [EDF, ndlr], où il n'y a pas de séparation entre EDF producteur et EDF fournisseur et où il n'y a pas non plus de préconisations sur quels volumes d'électricité doivent être mis sur le marché par EDF et quand », résume un fournisseur.

« L'optimum économique serait qu'EDF producteur mette toutes ses capacités nucléaires sur le marché de gros et qu'EDF fournisseur se fournisse sur ce marché au même titre que les autres fournisseurs », explique cette même entreprise. Reste que cette piste ne semble aujourd'hui pas avoir la faveur de l'exécutif. Et pour cause, elle ne paraît pas compatible avec « le fait qu'EDF soit encouragé par le gouvernement à allouer une partie de sa production nucléaire à des clients via des contrats de long terme, hors marché », pointe l'économiste spécialiste du marché de l'électricité Jacques Percebois. « On ne peut pas dire, d'un côté : 'il  faut développer les PPA [contrats d'achat d'électricité de long terme, ndlr]'. Et de l'autre : 'il faut que toute l'électricité nucléaire soit vendue sur le marché de gros' », résume-t-il.

... et d'un accroissement mécanique des parts de marché d'EDF

Pour limiter le risque de distorsion de concurrence, le fournisseur en question réclame la mise en place de garde-fous ex ante « pour s'assurer que les volumes d'électricité nucléaire puissent être mis sur le marché de manière prévisible », explique-t-il. Dans le cas contraire, le manque de liquidité et de visibilité pourrait conduire les fournisseurs alternatifs à s'approvisionner sur les marchés voisins, assure-t-on. « Ce qui conduirait à renchérir nos coûts, car il faudrait notamment payer les spreads [la différence entre une valeur constatée et une valeur de référence, ndlr] et le coût de transport », développe ce concurrent d'EDF. De quoi conduire à un accroissement mécanique des parts de marché de l'électricien historique, proposant des prix plus compétitifs.

« Un mécanisme pur marché va, par nature, renforcer la position dominante d'EDF qui est intégré verticalement et qui détient une très grande partie de la production d'électricité. Or, les marchés sont insuffisants en termes de produits et de durée, contrairement à ce que prétend EDF, qui assure que les marchés fonctionnent parfaitement », fustige un autre compétiteur. « Sur le marché de gros à deux ans, les produits sont extrêmement rudimentaires », regrette-t-il.

« La liquidité du marché n'est pas au rendez-vous », abonde encore un autre concurrent d'EDF. « Ce qui peut nous faire perdre des clients car nous ne sommes pas en capacité de répondre à leurs besoins », explique ce même fournisseur, qui pointe « le manque de profondeur » sur les échéances 2028, 2029. « A partir du moment où le marché n'est pas liquide, vous n'êtes pas en capacité de vous couvrir [un fournisseur se couvre en achetant des produits à terme négociés bien avant leur date de livraison pour éviter de s'exposer à la volatilité des prix de l'électricité sur le marché spot, ndlr], dans des conditions optimales. Cela génère donc une prime de risque, qui contribue à majorer le prix de l'électricité. Par ricochet, vous vous dépositionnez par rapport à un acteur capable de se couvrir parfaitement », développe-t-il.

Le modèle des fournisseurs non producteurs remis en question

Un raisonnement qui fait tiquer Jacques Percebois  :

« Vous ne pouvez pas dire 'je suis pour la concurrence et, en même temps, vouloir la garantie de conserver vos parts de marché », tranche l'économiste. « Il faut être meilleur qu'EDF sur certains segments. Les fournisseurs alternatifs le peuvent s'ils achètent de l'électricité renouvelable très bon marché à des producteurs français et frontaliers », estime le spécialiste.

Selon lui, cette inquiétude met surtout en lumière « la fragilité d'un système dans lequel le fournisseur alternatif n'est pas producteur». « C'est ce qu'on appelle le modèle du commercialisateur pur », précise l'économiste. Deux options s'ouvrent à ces acteurs, estime Jacques Percebois : nouer des contrats d'approvisionnement (PPA) auprès de producteurs d'énergies renouvelables ou développer eux-mêmes des capacités de production. Dans le cas contraire, « certains fournisseurs pourraient disparaître », prévient-il.

Vers un « système bancal  »

Sans surprise, les fournisseurs alternatifs ne voient pas la situation du même œil :

« Est-ce qu'au motif qu'EDF a été en situation de monopole historique cela justifie qu'il conserve un avantage compétitif de manière éternelle alors même qu'il y a besoin d'innover ? Au-delà d'un sujet concurrentiel, il y a un vrai sujet d'intérêt général », affirme sans détour un de ses concurrents.

« Compte tenu des besoins de flexibilité grandissants, il faut des capacités d'innovation du côté de la demande, [et non plus uniquement du côté de l'offre, ndlr] donc des fournisseurs alternatifs agiles », assure ce dirigeant. Lequel ne manque pas de souligner que le cadre post-Arenh n'est pas non plus favorable à EDF compte tenu de l'absence de prix plancher dans un contexte de marché baissier. « Le système prévu est bancal et il faudra mettre des rustines en urgence », prédit-il.

Contacté par la rédaction, EDF se refuse à commenter les inquiétudes de ses concurrents. L'électricien historique assure néanmoins que ses offres « sont parfaitement réplicables par les fournisseurs alternatifs. » grâce à une diversité de sources d'approvisionnement disponibles. De son côté, Bercy promet que des « gardes fous » permettant d'assurer le pouvoir de contrôle de la CRE sur ces questions seront bien intégrés à un véhicule législatif. Reste à savoir lequel. Une chose est sûre : ces dispositions ne figureront pas dans le projet de loi de finance, comme certains pouvaient l'espérer.

Juliette Raynal

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Commentaires 32
à écrit le 04/06/2024 à 14:35
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Ils n'ont jamais investi un centime dans l'appareil Production d'électricité

à écrit le 04/06/2024 à 14:25
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"Marché de l'électricité post-2025 : les fournisseurs alternatifs s'inquiètent d'une concurrence déloyale avec EDF" Non content d'entretenir un monopole sur la production et distribution d'électricité sur le territoire national via la corruption...

à écrit le 04/06/2024 à 13:53
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C est scandaleux ses fournisseurs nous ont poussé à résilier les abonnements quand ils perdaient de l argent en nous renvoyant vers EDF et aujourd'hui ils nous parlent de concurrence déloyale.

à écrit le 04/06/2024 à 13:29
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Tant pis pour eux. Ils avaient une occasion historique pour démontrer l'utilité d'un marché de la production électrique concurrentiel. Ils se plaignent de l'omniprésence d'un producteur très dominant. Quels efforts ont-ils faits pour qu'il en soit au...

à écrit le 04/06/2024 à 10:33
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Le titre de cet article montre bien à quel point les journalistes sont naïfs, et/ou les médias vendus aux lobbys de parasites. Les revendeurs d'électricité ne produisent rien et n'ont fait que profiter de la doxa néolibérale qui, appliquée à ce march...

à écrit le 04/06/2024 à 8:39
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Souvenir de gavage : Est-ce le début d'une troisième vie pour Charles Beigbeder ? Ce «serial» entrepreneur, après avoir fait ses armes comme banquier d'affaires, s'était taillé un joli succès avec le lancement puis la vente de la société de courta...

à écrit le 04/06/2024 à 8:20
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Ces fournisseurs b ont aucun intérêt economique oubproductifs juste des distributeurs sur supplémentaires en clair des intermédiaires de trop … cette Europe souffre de trop d intermédiaires .. il est temps de faire le ménage ..3et au lieu de reverser...

à écrit le 04/06/2024 à 7:33
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Le comble . ces prétendus fournisseurs alternatifs sont en reéalité des courtiers en énergie parasites qui produisent peu ou pas mais s'engraissent avec le dogme de la concurrence de l,Ue

le 04/06/2024 à 9:17
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Oui ces courtiers n apportent rien ils n ont pas investit dans la production. Engie condamné pour concurrence illégale, ces courtiers je demande vérification de leurs comptes paradis fiscaux ? Etc les financiers s incruste t partout, énergie, santé...

à écrit le 04/06/2024 à 0:58
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Quel honte de publier un article tel quel , soit vous êtes mal informé... (Pour des "journalistes", un comble )Soit intéressé.....

à écrit le 04/06/2024 à 0:48
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Plus de 10 ans maintenant que les fournisseurs alternatifs font du beurre avec du vent (et sans éolienne), avec ce qu'ils ont amassé (surtout en 2022) il y avait de quoi investir sur des moyens de production (exemple en solaire). Qu'ils reposent en p...

le 04/06/2024 à 4:48
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Allez voir les comptes de résultats de 2023 pour 2022 des alternatifs. Vous risqueriez d'être déçu... Ceux qui ce sont gavés sont ceux qui justement produisent de l'électricité qu'ils ont revendus cher. Et ça n'a été possible que grâce à EDF lié au m...

le 04/06/2024 à 10:43
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@Maxx - C'est triste, mais la spéculation sur les marchés présente aussi quelques risques, on ne peut pas s'en mettre plein les poches chaque année.

à écrit le 03/06/2024 à 21:31
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Pendant dix ans EDF leur à vendu à prix coutant le quart de sa production nucléaire. Qu'est ce qu'ils ont fait avec cet argent ? En plus depuis des années ils disent que l’énergie issus des ENR est moins chères que le nucléaire donc ils n'ont aucun...

le 03/06/2024 à 22:35
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Exactement, ils se sont gavés sur le dos des français et des entreprises françaises la fête est finie. Au lieu de redistribuer à leurs actionnaires ils n’avaient qu’à investir dans des réacteurs à neutrons rapides.

le 04/06/2024 à 4:38
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Ce n'est pas EDF qui vend le quart de la prod aux alternatifs, mais les alternatifs qui achètent à EDF pour le compte des consommateurs. La nuance est importante 🙂. Donc qu'est ce qu'ils ont fait avec cet argent ? Et bien ce sont les clients qui en o...

le 04/06/2024 à 13:37
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"Et bien ce sont les clients qui en ont bénéficié.". Vous croyez ce que vous dites? Parlez-en à Duralex et autres cristalleries.

à écrit le 03/06/2024 à 19:35
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Ou sont les unités de production des fournisseurs alternatifs? Y a pas! L'électricité, l'eau sont des produits essentiels pour les Français (dont les infrastructures ont été payées par les Français). Un monopole n'est pas une aberration dans la m...

à écrit le 03/06/2024 à 19:07
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Position dominante : il est le plus gros producteur ! Les autres ne sont souvent que des revendeurs d'une électricité qu'ils ne produisent pas !

à écrit le 03/06/2024 à 18:37
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L'ouverture a la concurrence des energies gaz et electricite ne sert a rien

à écrit le 03/06/2024 à 18:11
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Il y a du monde sur la ligne à ... haute tension ! ... Disons pour faire simple qu' en bon actionnaire gérant Emmanuel Macron a favorisé les ... parasites ( de la distribution ) au détriment du producteur ... En France, " fait pas bon d' être ...

à écrit le 03/06/2024 à 18:08
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Pour moi, je plaide pour que le Nucléaire que cela soit des sous-marins ou des réacteurs de production d'électricité reste sous contrôle stricte de l’État.

à écrit le 03/06/2024 à 18:04
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Ils n'avaient qu'a investir dans les infrastructures de productions énergétiques, comme il en été convenu...

à écrit le 03/06/2024 à 17:20
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On résume : les "parasites" créés artificiellement par l'UE/les allemands/les USA qui ont survécu à la hausse du gaz, viennent pleurer pour incertitude du lendemain. Mais attendez 2s. Le dogme ultralibéral de l'UE, a été de nous imposer ces firmes, p...

le 04/06/2024 à 0:52
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C'est pas l'UE qui est responsable de la chute de production nucléaire en France (notamment depuis 5 ans). Ce sont nos politiques à nous. Par ailleurs l'UE n'impose rien, nous avons un droit de véto. Pas besoin d'aller chercher des coupables de l'aut...

le 04/06/2024 à 4:26
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Lorsque les centrales tournent, EDF n'a pas de problème voir les derniers résultats de celui-ci. Lorsque les centrales ne sont qu'à 50/60% de leurs capacités de prod, EDF perd et les Français casque ! Problème d'EDF? Non! Surtout un problème politiqu...

le 04/06/2024 à 4:34
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Pour un marteau, tout est un clou. Pour un Français, tout est de la faute des méchants Anglo-Saxons/Américains/Britanniques, Allemands, ou de l'Union européenne. Aussi sûr que le soleil se lève à l'est et se couche à l'ouest, la France continuera à d...

à écrit le 03/06/2024 à 16:40
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Il me semble que ces fournisseurs alternatifs se sont surtout gavés, sur le dos de leurs clients, sans investir grand chose ?

le 03/06/2024 à 16:54
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Tout à fait👍

à écrit le 03/06/2024 à 16:29
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Qu'ont fait ces fournisseurs alternatifs en matière d'investissement ? Ils ont eu 15 ans pour se gaver et investir. Ils n'ont rien fait. Tant pis pour eux.

à écrit le 03/06/2024 à 16:29
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Les fournissuers alterantifs voient la poule aux oeufs d'or disparaitre. Tant mieux, si le coût de l'électricité pouvait enfin baisser.

le 03/06/2024 à 16:50
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"si le coût de l'électricité pouvait enfin baisser" non, il va augmenter, EDF a eu et aura de très gros frais. Électricité chère = sobriété peut-être imposée mais "salutaire". La meilleure énergie est celle pas consommée [c'est sûr que c'est facile à...

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