Pourquoi EDF peine tant à exporter ses centrales nucléaires

Après avoir décroché sans difficulté des appels d'offres pendant des années, EDF peine à s'imposer de nouveau sur la scène internationale. L'électricien entend surfer sur le retour en grâce de l'atome civil pour se relancer à l'export, mais il doit désormais composer avec de redoutables concurrents que sont la Russie et la Chine, qui, à elle seule, construit dix réacteurs par an !
Juliette Raynal
En 20 ans, entre 2000 et 2020, EDF n'a construit que cinq réacteurs sur la planète. L'entreprise est aujourd'hui concurrencée, notamment, par la Russie et la Chine.
En 20 ans, entre 2000 et 2020, EDF n'a construit que cinq réacteurs sur la planète. L'entreprise est aujourd'hui concurrencée, notamment, par la Russie et la Chine. (Crédits : Stephane Mahe)

L'époque où EDF remportait « tous les appels d'offres », selon les termes d'Hervé Machenaud, directeur exécutif de la société de 2010 à 2015, et où le groupe « était ultra dominant à l'échelle de la planète », selon ceux de Pierre Gadonneix, PDG de l'entreprise entre 2004 et 2009, paraît bien lointaine. En effet, le dernier véritable appel d'offres décroché par l'entreprise remonte à 1986, en Chine. Et, alors que le groupe français misait énormément sur celui lancé par Prague, en 2022, il lui faut désormais encaisser un sérieux revers : le gouvernement tchèque vient de choisir le coréen KHNP (Korea Hydro & Nuclear Power) pour engager la construction de nouvelles centrales nucléaires dans le pays, écartant ainsi l'offre d'EDF dans la toute dernière ligne droite.

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Si le groupe tricolore entend maintenir les discussions avec Prague pour rester dans la course, dans le cas où un événement particulier devait survenir et mettre KHNP hors-jeu, la déception demeure immense après les efforts colossaux déployés depuis des mois. D'autant qu'EDF avait déjà essuyé une défaite face à son concurrent KHNP en 2009 pour la construction de deux réacteurs aux Emirats arabes unis. Plus récemment, il n'avait pas été retenu face à l'américain Westinghouse pour la construction de trois réacteurs en Pologne. En parallèle, ses discussions en Inde pour construire la plus grande centrale du monde s'éternisent depuis des années.

Les années fastes : une soixantaine de réacteurs en moins de 30 ans

A une époque, pourtant, l'électricien tricolore tirait facilement son épingle du jeu face à ses concurrents. « Deux réacteurs en Afrique du Sud, deux autres en Corée du Sud, une signature en Iran, quatre réacteurs Chine..., énumère Hervé Machenaud, en listant les différents contrats gagnés par EDF. C'était à l'époque où la France construisait en moyenne quatre à six tranches nucléaires par an et même jusqu'à huit une année [dans le cadre de son programme nucléaire domestique, ndlr] », se remémore-t-il. En moins de 30 ans, sur une période allant de 1970 à 1995 environ, EDF a construit une soixantaine de réacteurs en France et dans le monde, estime un porte-parole du groupe.

L'ancien directeur exécutif évoque alors une « organisation industrielle quasi parfaite ». Selon lui, le programme nucléaire en France aurait coûté deux fois moins cher que le programme allemand et même trois fois moins cher que les programmes britannique et japonais. La recette magique ? Les effets de série, mais aussi le modèle français intégré, relativement unique dans le paysage nucléaire mondial. Au sein de l'Hexagone, EDF cumule une triple casquette : concepteur, constructeur et exploitant.

« Or, les retours liés à l'exploitation des centrales permettent d'améliorer le design et d'optimiser la construction des réacteurs suivants », explique Hervé Machenaud.

Ce modèle est toujours d'actualité à une différence (majeure) près : l'électricien tricolore a connu, entre-temps, une véritable traversée du désert. En 20 ans, entre 2000 et 2020, l'entreprise ne construit que cinq réacteurs sur la planète où on observe partout un arrêt des constructions de centrales en raison de la finalisation de plusieurs programmes nucléaires nationaux. La période est aussi marquée par l'accident de Fukushima, au Japon, en mars 2011, qui conduit de nombreux pays à reconsidérer la part de l'atome civil dans leur mix de production électrique. Dans ce contexte international beaucoup plus frileux à l'égard du nucléaire, EDF décide de financer lui-même de nouveaux projets à l'étranger, à défaut de pouvoir vendre sa technologie. C'est le cas pour la construction, toujours en cours, des deux EPR d'Hinkley Point C, en Angleterre. Et, dans une moindre mesure, à Sizewell, où l'électricien est co-investisseur aux côtés de l'Etat britannique, à parts égales pour le moment.

Graph centrales nucléaires

Un nouveau pari : déployer une flotte d'EPR sur le Vieux Continent

Aujourd'hui, malgré la déconvenue tchèque, EDF ne jette pas l'éponge et entend bien surfer sur le retour en grâce du nucléaire, dopé par l'invasion russe de l'Ukraine et les enjeux climatiques, pour développer une véritable « flotte de réacteurs » sur le Vieux Continent. Mais, cette fois-ci, plus question d'investir en direct. L'électricien vise uniquement à mettre un système nucléaire à disposition des exploitants des pays hôtes, dans le cadre de contrats de prestation de plusieurs milliards d'euros.

Parviendra-t-il à renouer avec la période faste des années 70 et 80 grâce à sa technologie EPR, dont trois modèles sont en service (deux en Chine et un en Finlande) aujourd'hui tandis que celui de Flamanville s'apprête à démarrer ? Hervé Machenaud, qui ne s'est jamais montré très favorable à ce modèle de réacteur, émet des réserves. « Ce ne sont pas des références très vendables. On ne peut pas dire qu'EDF ait fait la preuve de sa capacité à construire un EPR de façon rapide et économique », lâche-t-il.

D'autant qu'EDF se propose également de construire une « petite » version de l'EPR. Pour Prague, l'électricien tricolore avait ainsi basé son offre sur un EPR de 1.200 mégawatts, contre 1.600 mégawatts pour les EPR déjà construits. « Je ne connais pas d'exemple de réacteur vendu à l'étranger sans avoir d'abord été construit à domicile et qui ait été un succès. Il est très difficile pour un pays de prendre le risque de servir de cobaye », poursuit Hervé Machenaud. Ljubljana et Bratislava se seraient aussi montrées intéressées par ce modèle réduit, plus adapté à leur réseau électrique.

« La Chine est devenue LE pays industriel du nucléaire »

Selon le décompte de l'électricien, les Etats qu'il considère comme « prospects », envisagent de construire entre 27 et 49 réacteurs. Toutefois, au-delà du marché européen, le groupe devra faire face à des concurrents redoutables que sont la Chine et la Russie, qui est devenue le premier exportateur mondial avec pas moins de 23 réacteurs en construction en dehors de ses frontières, ou qui devraient l'être prochainement, selon le décompte de la Société française de l'énergie nucléaire (Sfen). Un succès qui repose notamment sur sa capacité à financer, elle-même, les projets.

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« La Chine, elle, construit dix réacteurs par an », rapporte Hervé Machenaud, qui fut directeur de la région Asie-Pacifique pendant 15 années. « Chaque réacteur a un coût cinq fois inférieur à celui de l'EPR et se construit en trois fois moins de temps », assure-t-il.

« La France était LE pays industriel du nucléaire. Aujourd'hui c'est clairement la Chine. Le jour où les conditions géopolitiques leur seront plus favorables, la plupart des réacteurs construits dans le monde seront chinois, alerte-t-il... Sauf si la France se réveille. »

  • Afrique du Sud : EDF remporte la construction de deux réacteurs, mis en service en 1984 et 1985
  • Corée du Sud : EDF remporte la construction de deux réacteurs, mis en service en 1988 et 1989
  • Chine : EDF signe pour quatre réacteurs, mis en service en 1994 et dans les années 2000.
  • Chine : Deux réacteurs EPR construits en partenariat avec EDF sont mis en service en 2018 et 2019
  • Finlande : Un troisième EPR est mis en service dans le monde, après un contrat remporté par Siemens et Areva.
  • Royaume-Uni, à Hinkley Point : EDF construit deux tranches d'EPR et finance lui-même ce projet
  • Royaume-Uni, à Sizewell : EDF porte le projet de construction de deux réacteurs EPR, dont il est co-investisseur à part égale avec le gouvernement britannique. La décision finale d'investissement n'est pas encore prise.

Juliette Raynal

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Commentaires 31
à écrit le 24/07/2024 à 7:21
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Vous savez quand j'ai entendu, de la part d'un jeune employé du nucléaire, il y a une quinzaine d'années me dire que tous les papiers qu'ils produisaient les salariés étaient directement détruits juste après consultations rapides afin qu'il ne reste ...

le 26/07/2024 à 13:19
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Pourquoi vous écrivez des choses fausses sur des sujets que vous ne connaissez pas ?? L'envie de briller en société en disant n importe quoi ?

le 28/07/2024 à 10:26
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Ah mais je peux le prouver tu veux qu'on se voit devant un journaliste de la Tribune mec histoire de, ça devrait l'intéresser... ? J'adore quand on en arrive là... :-)

le 28/07/2024 à 10:27
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Allez je vais te rendre service: LOL ! ^^

à écrit le 23/07/2024 à 15:22
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Logique au vu des déclarations des précédents PR et PM qui ont dénigré cette énergie. Pourquoi se tourner vers un pays qui ferme des centrales en état de marche et a arrêté des programmes de recherche ? En plus ça n'a pas dû favoriser beaucoup les re...

à écrit le 23/07/2024 à 8:00
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On est plombé par notre manque de souveraineté quand on est dilué dans une coalition qui impose ses directives !

à écrit le 22/07/2024 à 20:12
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Tant mieux pour le portefeuille des contribuables

à écrit le 22/07/2024 à 20:01
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Bonjour. Bon dire que l'EPR a 12 ans de retard. Qu'ils a coûter beaucoup plus chere que prévus. Qu'il n'est toujours pas en service. Ne me semble pas des gages de résultats exemplaire... Donc forcément, nous avons la de gros handicap... Bien su...

à écrit le 22/07/2024 à 17:00
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Le jour où les concurents respecterons la même reglementation, 0les mêmes contraintes que EDF, et subirons les mêmes entraves ils seront autan en difficulté.

à écrit le 22/07/2024 à 15:16
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c est trop cher et trop long a installer.....

à écrit le 22/07/2024 à 14:23
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Comment veut on relancer les nucléaire français à l'export alors que pendant 20 ans voir plus nos de dirigeants ont tout fait pour détruire la filière Por les Coréens ils font comme les chinois et avant les japonais, ils copient et adaptent. Ils n...

à écrit le 22/07/2024 à 14:05
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Edf adu mal à vendre ses recteurs epr car ils sont trop cher que le temps,de mise en route est faramineux et que ils doivent durer 60 ans. Donc tant que l epr de flamanville n est pas en service quasi invendable. 17 ans plus tard il faut que ce foutu...

à écrit le 22/07/2024 à 12:43
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Il y a plus d'acteurs que dans les années 80 et les derniers projets réalisés par EdF en Finlande et à Flamanville, plus de 10 ans retard et un prix multiplié par trois par rapport au budget initial prévu née sont pas de nature à faire des confiance ...

à écrit le 22/07/2024 à 12:28
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Un fournisseur potentiel qui a largement démontré sur ses trois chantiers EPR qu'il était incapable de tenir les délais et les prix avec une technologie qui ne semble pas vraiment dominée ne peut pas espérer grand chose à court terme de clients qui o...

à écrit le 22/07/2024 à 12:06
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"Pourquoi EDF peine tant à exporter ses centrales nucléaires" Tant mieux pour nos finances publiques! Nos pseudo-élites de polytechnique à science potes sont incompétents (cf. explosion des délais et coûts de construction).

le 22/07/2024 à 16:13
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Dans le cas d'EdF ce ne sont les "élites" en tout cas pas "science po" - bien loin de produire des élites- mais c'est une gestion politique calamiteuse des gouvernements successifs qui est la cause de la ruine d'EdF

le 22/07/2024 à 18:36
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Faux! Suite à la catastrophe de Fukushima l'industrie nucléaire a été mise à la diète. Aujourd'hui on découvre que si on veut faire fabriquer une cuve et bien il n'y a plus grand monde en France pour la construire. Je caricature mais le tissu industr...

à écrit le 22/07/2024 à 11:51
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Edf mais surtout l état français est responsable de ce fiasco : chaque contrat en Asie est accompagné de transfert de technologie … on a la même chose pour Airbus et eurocopter résultat: en 20 ans les centrales nucléaires Chinoise et sud coréenne nou...

à écrit le 22/07/2024 à 11:51
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Edf mais surtout l état français est responsable de ce fiasco : chaque contrat en Asie est accompagné de transfert de technologie … on a la même chose pour Airbus et eurocopter résultat: en 20 ans les centrales nucléaires Chinoise et sud coréenne nou...

le 22/07/2024 à 16:41
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Oui l'état français est responsable de ce désastre. Une preuve parmi tant d'autres : - https://www.association-iceo.fr/ecologie/n-415-comment-dominique-voynet-a-saborde-le-nucleaire-francais-a-bruxelles-en-2000/ À savoir qu'ils peuvent toujours fa...

le 22/07/2024 à 16:44
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Oui l'état français est responsable de ce désastre. Une preuve parmi tant d'autres : - https://www.association-iceo.fr/ecologie/n-415-comment-dominique-voynet-a-saborde-le-nucleaire-francais-a-bruxelles-en-2000/ À savoir qu'ils peuvent toujours fa...

à écrit le 22/07/2024 à 10:52
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15 ans de retard sur ses deux derniers programmes, ça doit calmer les acheteurs potentiels?

à écrit le 22/07/2024 à 10:21
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L'erreur de la filière EPR qui possède trop de redondances de sécurité et ne peut fonctionner qu'en Chine où les mesures sont moins drastiques.

le 22/07/2024 à 15:21
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@calamard - Prions alors que les vents nous soient favorables en cas d'accident nucléaire "Tchernobylesque" en Chine quand on voit qu'à la moindre crue un peu violente les ponts sont emportés, des tas de choses s'effondrent. Amen.😇

le 23/07/2024 à 9:06
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Ces multiples redondances de soit-disant sécurité étaient une exigence allemande, dans le but exclusif (caché) de détruire la filière nucléaire française. Quand l'objectif a été atteint, Siemens s'est retiré du projet...en se faisant rembourser ses ...

à écrit le 22/07/2024 à 9:53
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Les redoutables concurrents que sont la Russie et la Chine? Oui, mais EDF perd aussi face à la Corée et à Westinghouse...Quand l'EPR2 sera au point ça sera trop tard pour l'exporter. La lenteur des procedures de l'hyper-administration hyper-régulée p...

à écrit le 22/07/2024 à 9:17
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Pourquoi ? L'EPR a été un fiasco monumental en Finlande, et risque de ruiner définitivement EDF au Royaume Uni. A part ça, tout va très bien, Madame la Marquise.

à écrit le 22/07/2024 à 8:39
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comment faire confiance a un pays dont le dirigeants ne sait pas lui meme sa vision du lendemain combien de contrat signe par la france ce sont retrouve annule pour l'idéologie partisane chose qui ce produit aussi a l'interieur du pays

à écrit le 22/07/2024 à 7:56
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Vous savez quand j'ai entendu, de la part d'un jeune employé du nucléaire, il y a une quinzaine d'années me dire que tous les papiers qu'ils produisaient les salariés étaient directement détruits juste après consultations rapides afin qu'il ne reste ...

le 22/07/2024 à 15:26
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@dossier 51 - Vous devriez relire la définition du Stalinisme et plus exactement celle du Stalino-Communisme.

le 23/07/2024 à 18:39
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Je te garantie que là dedans ce sont, du moins il y a 20 ans, c'étaient des staliniens oui, dans le sens d'accord avec les idées de Staline oui. Mais bon est-ce que tu ne le sais déjà pas ? :-)

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