Déchets : le principe du « pollueur-payeur » encore loin d'atteindre ses objectifs

L'inspection générale des finances (IGF) pointe dans un rapport les graves défaillances de pilotage des filières à responsabilité des producteurs dans la gestion et le recyclage des déchets. Pire, ces fabricants, tenus responsables des produits qu'ils mettent sur le marché, seraient insuffisamment sanctionnés.
Coline Vazquez
Selon un rapport de l'IGF, « 40 % du gisement de déchets soumis à une REP échappe encore à la collecte, et 50 % n'est pas recyclé ».
Selon un rapport de l'IGF, « 40 % du gisement de déchets soumis à une REP échappe encore à la collecte, et 50 % n'est pas recyclé ». (Crédits : Adrien Nowak / Hans Lucas via Reuters Connect)

Le constat est sans appel : en matière de gestion des déchets, la France peut... et doit mieux faire. C'est le constat dressé par l'inspection générale des finances qui, dans un rapport, dresse le bilan tant de la gestion que du recyclage des 310 millions de tonnes de déchets produits par les Français chaque année. Plus précisément, l'IGF s'est penché sur l'efficacité des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP). Derrière ce terme, un principe : celui du « pollueur-payeur ». Créées en 1975, le but de ces filières (médicaments, emballages, BTP, ameublement, produits chimiques...) est de veiller à ce que les producteurs prennent en charge le financement et/ou l'organisation de la collecte et du traitement des déchets, issus des produits qu'ils mettent sur le marché.

Pour cela, ces fabricants ou distributeurs adhèrent à des éco-organismes auxquels ils versent une éco-participation pour chaque produit vendu. Cette dernière permet ainsi à l'éco-organisme de répondre à des objectifs de traitements des déchets fixés par la filière REP. Ainsi, chaque filière dispose d'un cahier des charges différents pour les 4 voire 5 années à venir. Mais encore faut-il qu'il soit respecté.

Des objectifs partiellement atteints

Et c'est là que le bât blesse. « Les objectifs de collecte fixés par les cahiers des charges des filières ne sont pas atteints dans deux tiers des filières pour lesquelles les données sont disponibles, et deux filières sont particulièrement loin de leur cible (équipements électriques et électroniques et textiles) », indique ainsi le rapport de l'IGF paru en juin dernier. Quant aux objectifs de recyclage, « ils sont atteints dans la majorité des filières en 2022 », à l'exception près de la filière des emballages ménagers, qui représente 32 % du gisement, mais qui affiche « un retard important sur le recyclage des emballages en plastique et en aluminium ». « Enfin, le réemploi et la réutilisation sont encore faiblement développés (2,3% du gisement couvert par la REP est réemployé ou réutilisé) », ajoute encore le rapport qui résume : « 40 % du gisement de déchets soumis à une REP échappe encore à la collecte, et 50 % n'est pas recyclé ».

Et si les objectifs actuels ne sont pas atteints, difficile d'imaginer parvenir à réaliser « la trajectoire très ambitieuse », selon l'IGF fixée à horizon 2025 et qui prévoit que les filières REP couvrent « 22 % du gisement total de déchets en France (68 millions de tonnes sur un total de 310 millions de tonnes) contre 5 % en 2022 ». Cette progression impliquerait, entre 2022 et 2030, une multiplication par cinq des tonnages collectés, par trois des tonnages recyclés, et par neuf des tonnages réemployés, précise encore l'IGF.

Mais surtout, pour atteindre cet objectif, une « forte hausse » de la participation financière des entreprises. Autrement dit, de l'éco-contribution qu'elles doivent verser aux éco-organismes : celle-ci a déjà augmenté de 6 milliards d'euros entre 2022 et 2029.

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Absence de sanctions

Et des sanctions si elles ne le font pas. Or, elles ne sont, pour l'heure, « quasiment jamais mobilisées » note le rapport de l'IGF qui pointe des « défaillances » dans le pilotage des filières REP. Ces dernières sont sous le contrôle du ministère de l'Ecologie qui s'appuie sur les données communiquées par l'Agence de la transition écologique (Ademe) afin de contrôler et de sanctionner si nécessaire les éco-organismes qui n'atteignent pas les objectifs du cahier des charges. Un système qui ne semble toutefois pas produire les résultats escomptés comme le souligne le rapport de l'IGF.

« Le suivi n'est pas assez complet », pointe également Bertrand Bohain, délégué général du Cercle national du recyclage, une association qui représente les collectivités locales dans la mise en œuvre du service public des déchets. « Nous sommes face à un véritable constat d'échec », insiste-t-il.

« Les fabricants ou producteurs qui ne payent pas leur éco-contribution ne sont pas sanctionnés ». De même, « les éco-organismes qui n'atteignent pas leurs objectifs ne sont pas sanctionnés donc ça ne sert pas à grand chose d'en fixer », ajoute-t-il.

« Actuellement, on fait face à une responsabilité des producteurs ou des fabricants de plus en plus diluée. Ils assurent faire le maximum et ne pas réussir à atteindre les objectifs de leurs cahiers des charges, mais il faudra m'expliquer pourquoi dans d'autres pays on fait mieux », dénonce-t-il, pointant une forme « d'antinomie » entre le fait de demander au producteur ou fabricant d'augmenter ses objectifs et son propre intérêt : « son but est de payer le moins possible, or plus il récolte de déchets et les recycle en grande quantité plus cela va lui coûter cher », estime-t-il.

D'autant que, selon lui, les éco-organismes n'ont pas non plus intérêt à tirer à la hausse ces objectifs - et donc l'éco-contribution - au risque d'effrayer les entreprises qui pourraient les rejoindre. « Comme il existe plusieurs éco-organismes par filières REP, les entreprises vont choisir celui qui leur coûte le moins cher. La concurrence qui s'exerce contribue donc à baisser les ambitions », déplore encore Bertrand Bohain. Un constat partagé par l'IGF qui résume : « la gouvernance des éco-organismes par les metteurs en marché leur permet de privilégier le niveau des éco-contributions plutôt que l'atteinte des objectifs », pointant ainsi un « conflit d'intérêt entre la gouvernance des éco-organismes et les objectifs croissants de réemploi et de réparation ».

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Création d'une instance indépendante

Pour y remédier, l'Inspection générale des Finances plaide pour la création d'une instance indépendante de pilotage et de régulation des REP. « La crédibilité d'une telle instance lui permettrait d'exercer plus facilement certaines fonctions essentielles, comme la collecte dans les délais de données fiables et complètes ou l'expertise spécifique pour les différentes filières », explique le rapport. En outre, elle se verrait confier « la responsabilité d'appliquer les sanctions ».

Enfin, l'IGF, dans ses recommandations, ne cible pas que les éco-organisme mais aussi les collectivités qu'il faut « mieux inciter à la performance en différenciant, dans les contrats-types des filières concernées, les niveaux de soutien et en publiant les niveaux de performance de chaque collectivité sur les principaux flux matière ». A ce sujet, Bertrand Bohain déplore, lui, de voir le budget accordé à certaines collectivités en la matière, notamment pour la communication, diminuer.

Coline Vazquez

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Commentaire 1
à écrit le 24/07/2024 à 6:51
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Impossible de passer par les politiciens larbins de ceux qui polluent pour mettre cette règle vertueuse en place, donc le mieux serait de consulter directement la magistrature française, européenne et mondiale. Les politiciens osnt un frein à la vie ...

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