Dans quelques mois, le couvercle défectueux de l’EPR de Flamanville deviendra le plus gros et lourd déchet nucléaire

L'EPR de Flamanville s'apprête à démarrer alors que le couvercle de la cuve du réacteur présente une anomalie. Celui-ci devra donc être changé à la fin d'un seul et unique cycle de fonctionnement, soit 18 mois tout au plus. A l'issue de cette très courte période, il deviendra le plus gros déchet radioactif de type FMA-VC. Elaborer la stratégie précise de son stockage et construire les outils ad hoc prendra plusieurs années.
Juliette Raynal
Manutention à distance d'un colis enveloppant un couvercle de cuve d'un réacteur au Centre de stockage de l'Aube (CSA).
Manutention à distance d'un colis enveloppant un couvercle de cuve d'un réacteur au Centre de stockage de l'Aube (CSA). (Crédits : Andra)

Dans quelques jours, ou semaines tout au plus, l'EPR de Flamanville franchira une nouvelle étape cruciale dans sa phase de démarrage, celle de l'initiation du processus de réaction nucléaire en chaîne : « la divergence » dans le jargon atomique. Très concrètement, il s'agira de projeter un neutron sur un atome d'uranium très lourd, lequel éclatera et libérera alors de l'énergie, mais aussi d'autres neutrons qui casseront à leur tour d'autres noyaux, et ainsi de suite, de sorte que la réaction s'auto-entretiendra.

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En se cassant, ces noyaux d'uranium deviennent radioactifs et contaminent alors les matériaux alentour et notamment les parois de la cuve du réacteur, une sorte de grosse cocotte-minute où se déroule cette réaction. Son couvercle, qui prend la forme d'une coupole métallique hémisphérique, n'échappe pas à ce phénomène, même s'il reste éloigné du cœur du réacteur où se trouvent les fameux crayons combustibles. Du fait de cette distance, il deviendra, à la fin de sa vie, ce qu'on appelle un déchet de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VA). Cela signifie que la très grande majorité de sa radioactivité aura disparu dans un délai d'environ 300 ans. Il devra donc être stocké dans le centre de stockage de l'Aube (CSA) de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) avec tous les autres déchets FMA-VA.

Une durée de vie extrêmement courte

Jusque là, rien d'inhabituel... À un détail près : sa durée de vie sera extrêmement courte. En effet, le couvercle de l'EPR de Flamanville ne sera utilisé que pour un seul et unique cycle de fonctionnement, soit 15 à 18 mois environ, contre plusieurs dizaines d'années pour la plupart des autres couvercles de cuve de réacteur atomique. Et ce, en raison d'une anomalie de fabrication de l'acier du couvercle, détectée par Areva NP il y a près de dix ans maintenant. Initialement, le couvercle devait être changé avant le 31 décembre 2024. Cependant, en mai 2023, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a accepté qu'EDF reporte à 2025 ce changement, le gendarme du nucléaire précisant qu'un remplacement du couvercle « avant la mise en service du réacteur conduirait à reporter celle-ci d'environ un an ». Un scénario non envisageable pour l'électricien, dont le chantier a cumulé douze années de retard...

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Ce n'est pas le premier couvercle de cuve de réacteur qui sera stocké. « Nous en avons déjà reçu 56 entre 2005 et 2019 », explique Éric Lanes, chef du département spécifications et contrôles colis, au sein de la direction industrielle de l'Andra. Les couvercles des réacteurs de 900 mégawatts (MW) et de 1.300 MW ont, en effet, déjà été remplacés, sur décision d'EDF et par mesure préventive, suite à l'identification, en 1994, de défauts sur certaines traversées (sorte de manchettes connectées au couvercle, qui permettent de piloter le réacteur).

Revoir la quasi-totalité des équipements

Selon la puissance du réacteur, le poids des colis des couvercles déjà stockés oscille entre 100 et 120 tonnes ! Des pièces hors normes, qui contraignent l'Andra à réaliser des demandes d'autorisation spécifiques à l'ASN pour procéder à leur stockage. Dans cette optique, l'agence en charge des déchets radioactifs a entamé, il y a déjà deux ans, des discussions avec EDF afin de concevoir et construire un colis et un ouvrage de stockage ad hoc pour accueillir le couvercle de l'EPR de Flamanville. Le 57ème donc.  Avec ses six mètres de diamètre et ses 130 tonnes, celui-ci « sera le plus gros et le plus lourd déchet à stocker au sein du CSA », indique Éric Lanes. « Nous allons devoir redessiner la quasi-totalité des équipements dont nous nous étions servis pour les autres couvercles. Il n'y a que le pont roulant que nous pourrons réutiliser », poursuit-il en évoquant « des milliers d'heures d'ingénierie » et des investissements se chiffrant en plusieurs « millions d'euros ».

Pour l'heure, l'Andra ne s'avance pas sur une date de dépôt de demande d'autorisation auprès de l'ASN. « Cela peut prendre plusieurs années », commente toutefois Éric Lanes. Une fois remplacé, le couvercle défectueux sera donc « conditionné et entreposé, dans un bâtiment prévu à cet effet sur le site de Flamanville », détaille EDF dans un e-mail adressé à La Tribune. Dans un second temps seulement, il sera transféré vers le centre de stockage de l'Aube, situé à l'est de Troyes. Après un long périple de quelque 600 kilomètres par convoi exceptionnel escorté par la gendarmerie, les équipes de l'Andra se chargeront de le descendre dans un ouvrage réalisé sur mesure, puis injecteront un béton spécifique à l'intérieur et à l'extérieur du colis. « À la fin, vous avez un couvercle de cuve qui est entièrement pris dans le béton », précise Éric Lanes.

Pas d'alerte sur la capacité d'accueil

Pas d'alerte concernant la capacité d'accueil du CSA en termes d'espace. « Le site dispose d'un million de mètres cubes de capacité autorisée et nous sommes aujourd'hui à environ un tiers », rassure Éric Lanes. Quant aux couvercles de cuve déjà stockés, même si chacun d'entre eux est très volumineux, ensemble ils ne représentent que 0,7% du volume total des déchets stockés sur le site, soit 2.643 mètres cubes, sur un volume total de 378.500 mètres cubes à fin 2023. Le nouveau couvercle de Flamanville 3, lui, sera livré prochainement sur le site, indique EDF, sans toutefois donner plus de précisions sur le calendrier. En mai dernier, l'ASN évoquait une livraison prévue pour la fin de l'été. Framatome, en charge de sa fabrication, n'a pas répondu à nos sollicitations.

Juliette Raynal

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Commentaires 22
à écrit le 07/07/2024 à 7:45
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Cette décision reflète les excès d'autorité des Autorités de Sûreté car rien techniquement ne justifie un remplacement si précoce. Cet engagement d'EDF remonte à 2012. A cet époque, le couvercle devait être utilisé sur plusieurs cycles mais de nou...

à écrit le 07/07/2024 à 7:07
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Est il possible d'avoir un titre positif? les pleureuses sont contentes de ne pas acheter du gaz russe ou américain congelé et payer une facture d'électricité plus faible. Ne pas oublier l'impact du gouvernement Hollande et ses changements de normes ...

à écrit le 06/07/2024 à 13:50
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On rappellera que Bolloré frère a fait fortune en rachetant Creusot forge (qui a construit la cuve) pour rien (moins d'un million d'euros) et en la revendant pour un peu plus (170 millions d'euros, et oui). On ne sait pas qui a été volé, Arcelor, le ...

à écrit le 06/07/2024 à 11:07
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Pourquoi n'est il pas remplacé avant la première divergence, parfois l'urgence n'est pas bonne pratique ?

à écrit le 06/07/2024 à 11:04
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Combien cette danseuse nous coûte-t-elle?

le 06/07/2024 à 20:42
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☝️ BEAUCOUP trop cher !!!

à écrit le 06/07/2024 à 10:13
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Le problème, c'est "le plus gros" : toujours la mégalomanie. L'EPR est jusqu'à présent le plus gros gâchis. Fabriqué consciencieusement par une élite méritocratique X-mines + énarques ? Pendant que le reste du monde achète Rosatom ?

à écrit le 06/07/2024 à 7:59
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Bien vu l'info et le titre, j'aime beaucoup, bravo ! ^^

à écrit le 06/07/2024 à 1:14
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Désolé de contredire l'article, mais vu que sur Flamanville, il y a eu un RGV. Il y a 4 déchets de 550 tonnes ( les 4 générateurs de vapeur de FA1). Pour les couvercles de cuves, on maîtrise vu qu'il y a eu une compagne de RCC (remplacement de couver...

le 06/07/2024 à 14:18
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Certes. Mais les déchets après RGV vont au CIRES (centre de regroupement, d'entreposage et de stockage) et pas au CSA (Centre de stockage de l'Aube), si je ne me trompe. Bon, c'est vrai qu'il n'y a que 15 km et ...quelques heures entre les deux sites...

le 07/07/2024 à 0:36
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Oui bien sûr, le CIRES pour des gros composants… Les générateurs de vapeur sont stocker sur le site Flamanville dans des "bâtiments" dédies pour refroidissement (radiologique). On parle de bidon d'environ 5m de diamètre sur 25 de long pour plus de 50...

à écrit le 05/07/2024 à 18:35
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Le bon sens aurait été de ne pas le démarrer ? À moins que ce problème a été diagnostiqué après le chargement du combustible et là, cela soulève beaucoup de questions sur les organismes de contrôles, la pression politique, financière, ect.

le 05/07/2024 à 18:57
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"À moins que ce problème ait été diagnostiqué après" non, vous ne contrôlez pas des pièces métalliques après chargement, vous y accédez comment au couvercle clos ? Même si la neutronographie pourrait servir vu que la cocotte minute sous le couvercle ...

le 05/07/2024 à 23:03
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La problématique c'est que sous le bombardement neutronique, l'acier initialement ductile devient progressivement cassant. Et si le dosage en carbone n'est pas bon dès le départ, l'espérance de vie de la pièce est plus courte. Grosso-modo, c'est comm...

le 06/07/2024 à 12:54
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@Yakari Sauf que le problème du couvercle n'est pas le taux de carbone, mais le soudage des adaptateurs qui présents des "défauts" (encore une blague de l'ASN).

le 06/07/2024 à 14:40
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Bernard Doroszczuk, tous les problèmes de malfaçon sont des problèmes de soudure; déformation professionnelle. Mais je n'imagine pas qu'on puisse de toute façon obtenir avec les soudures la même qualité que l'on obtient sur un matériau "intègre" (non...

à écrit le 05/07/2024 à 17:32
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L'EPR est un prototype qui n'a jamais fonctionné correctement à l'étranger et qui ne sera jamais généralisé en France parce que beaucoup trop cher : c'est le prix du kwh le plus cher du monde ! Suite à l'accident de Fukushima, Anne Lauvergeon a vendu...

le 05/07/2024 à 18:45
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On était en collaboration avec les allemands qui voulaient un réacteur très sécurisé, ultra-blindé, mais quand Fukushima a eu lieu, ils ont quitté la galère : "Débouillez-vous avec ce truc infabricable, on sort du projet !". Y a en a 1 ou 2 en Chine ...

le 06/07/2024 à 14:44
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Le kWh de l'éolien marin au large de la Bretagne est, tous comptes faits et coûts compris (facteur de charge, coûts de raccordement, durée de vie), du même ordre de grandeur, peut-être même supérieur. Ça ne veut pas dire qu'il faut arrêter.

le 06/07/2024 à 14:46
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Le kWh de l'éolien marin au large de la Bretagne est, tous comptes faits et coûts compris (facteur de charge, coûts de raccordement, durée de vie), du même ordre de grandeur, peut-être même supérieur. Ça ne veut pas dire qu'il faut arrêter.

à écrit le 05/07/2024 à 16:56
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L'EPR est trop puissant, il a été mal dimensionné. Du coup, ses pièces sont trop difficiles a fabriquer. Mais la France s'entête

le 05/07/2024 à 18:48
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La faute aux allemands, sans doute, ils étaient là pour définir les structures et cahiers de charges = sécurité maximale. C'était un projet commun, mais zéro EPR en Allemagne, que du charbon et des éoliennes + qq panneaux. Angela, effrayée, a tout ar...

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