Câbles sous-marins : l’Etat rachète Alcatel Submarine Networks à Nokia

Le gouvernement a signé une promesse d’achat pour acquérir 80% du capital d’Alcatel Submarine Networks (ASN) auprès de l'équipementier télécoms finlandais Nokia. L’Etat souhaitait, depuis des années, conserver cette activité éminemment sensible et stratégique dans son giron.
Pierre Manière
Les câbles sous-marins assurent aujourd'hui l'essentiel des communications intercontinentales.
Les câbles sous-marins assurent aujourd'hui l'essentiel des communications intercontinentales. (Crédits : DR)

L'affaire était devenue un serpent de mer. Cela faisait des années que l'Etat français cherchait à conserver Alcatel Submarine Networks (ASN) dans son giron. C'est désormais chose faite. Mercredi soir, Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie et des Finances, a signé une promesse d'achat pour acquérir 80% du capital du champion des câbles sous-marins auprès de Nokia. Le géant finlandais des équipements télécoms souhaitait s'en séparer, lui qui avait récupéré cette activité lors de son rachat d'Alcatel en 2015.

Le deal devrait, d'après Bercy, être définitivement bouclé d'ici à la fin de l'année. ASN passera alors sous la coupe de l'Agence des participations de l'Etat (APE). L'accord a été signé sur la base d'une valeur d'entreprise de 350 millions d'euros. Nokia restera, au terme de l'opération, actionnaire minoritaire d'ASN à hauteur de 20%. Mais le deal prévoit que l'Etat aura, plus tard, la possibilité de grimper à 100% du capital. Bercy n'était pas en mesure, ce jeudi matin, de préciser le montant exact qui sera déboursé pour cette acquisition.

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Des câbles vitaux pour l'Internet mondial

Ce rachat vient mettre un point final à un très, très long feuilleton. Depuis le rachat d'Alcatel par Nokia, le gouvernement bénéficiait d'un droit de regard sur toute vente d'ASN. Et pour cause, cette activité est aussi stratégique que sensible. ASN est l'un des trois leaders mondiaux des câbles sous-marins dédiés aux télécommunications. Ces infrastructures, où transitent 99% du trafic numérique intercontinentale, constituent le véritable socle de l'Internet mondial. Ces autoroutes de fibre optique sont depuis toujours dans le viseur des militaires et des espions. Pour la France, il était impensable, pour des questions de souveraineté, de perdre la main sur cette activité.

Nokia a multiplié, ces dernières années, les tentatives pour vendre ASN. Maints scénarios ont successivement été envisagés. Il y a eu celui d'un rachat par le français Ekinops, ou encore celui d'un adossement à l'opérateur historique Orange... Mais les négociations ont à chaque fois échoué. En 2019, Nokia a finalement décidé de conserver cette pépite. Mais d'après Bercy, le groupe finlandais, qui est aujourd'hui en pleine restructuration liée à une situation économique difficile, a choisi, il y a environ un an, de s'en séparer. Son état-major a présenté plusieurs repreneurs potentiels au gouvernement. Mais ceux-ci ont été jugés « indésirables » par l'exécutif, qui a donc décidé de mettre directement la main au portefeuille.

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Bercy justifie cette emplette par le caractère « éminemment stratégique » d'ASN. Aujourd'hui, les projets de câbles sous-marins se multiplient à travers le monde. Outre les opérateurs télécoms qui en ont besoin pour acheminer leur trafic, les Gafam investissent des milliards d'euros dans ces infrastructures essentielles pour relier leurs data centers, et vendre leurs services numériques. Surtout, « ces câbles sous-marins peuvent faire l'objet d'attaques », rappelle Bercy, qui souligne le gros avantage à disposer d'une capacité de fabrication de câbles, de pose comme de maintenance avec des navires spécialisés.

Avec ce rachat, le gouvernement souhaite aussi s'assurer qu'ASN préserve son leadership et son savoir-faire mondialement reconnu. « Il y avait un risque qu'avec le temps, l'entreprise ne fasse plus l'objet de l'attention managériale dont elle a besoin, et qu'elle souffre d'un manque d'investissement » de la part de Nokia, explique-t-on à Bercy. Ce qui aurait pu, dans un tel scénario, déboucher sur un déclassement à petit feu. Cela dit, l'activité d'ASN, qui compte environ 2.000 employés et une importante usine à Calais, est aujourd'hui en forte croissance. Depuis 2019, son chiffre d'affaires a été multiplié par deux, à plus de 1 milliard d'euros. Pour justifier cette cession, Nokia argue qu'ASN constituait une activité « autonome et non essentielle » au regard de son cœur de métier, qui repose sur le développement de technologies mobiles comme la 5G.

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Ce deal et le timing de son annonce interviennent à un moment opportun pour le gouvernement. Cette opération est, de fait, l'occasion pour l'exécutif de communiquer, à quelques jours des élections législatives, sur sa volonté de tout faire pour préserver la souveraineté industrielle et technologique de la France. Cela fait plus de 20 ans qu'Emmanuel Macron et ses prédécesseurs essuient, à cet égard, de sévères critiques. Du rachat d'Alcan par Rio Tinto, à celui d'Arcelor par Mittal, en passant par celui d'Alcatel par Nokia, mais aussi et surtout la vente d'Alstom Power à General Electric, on ne compte plus les fleurons industriels français qui sont passés, ces dernières années, sous pavillon étranger. Le rachat d'ASN ou la reprise, le mois dernier, des activités nucléaires de General Electric par EDF, matérialisent, aux yeux du gouvernement, sa nouvelle politique visant à protéger les intérêts les plus stratégiques du pays.

Pierre Manière

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Commentaires 3
à écrit le 28/06/2024 à 14:56
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Dans quels buts ?

à écrit le 27/06/2024 à 19:03
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Tout ça pour ça ! Il ne fallait pas détruire alcatel " l'entreprise de haute technologie sans usines" mdr ! C'était le slogan à l'époque de tchuruk l'homme aux robinets en or qui nous a magouillé avec les américains une fusion ou le gagnant était en ...

à écrit le 27/06/2024 à 18:27
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"Câbles sous-marins : l'Etat rachète Alcatel Submarine Networks à Nokia" Vive le détournement de fonds publics à l'insu des français et de leurs représentants au parlement...

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