Pete Docter (Pixar) : « Les souvenirs ? Des cordes qui résonnent en nous »

ENTRETIEN - Pete Docter, réalisateur de « Vice-Versa » devenu directeur de création du studio d'animation, revient sur la genèse du deuxième volet, en salles mercredi 19 juin.
Pete Docter, directeur de création du studio Pixar.
Pete Docter, directeur de création du studio Pixar. (Crédits : © LTD / CHELSEA LAUREN/SHUTTERSTOCK/SIPA)

Pete Docter a tronqué son costume de réalisateur triplement oscarisé (Vice-Versa en 2016, Là-haut en 2010 et Soul en 2021) pour celui de directeur de la création de Pixar, depuis le départ précipité de John Lasseter en 2018. S'il ne dit rien sur la vague de licenciements imposée par la maison mère Disney (14 % des effectifs), c'est parce que le studio d'animation entend se désengager de la production de séries et se concentrer sur les longs-métrages. Rencontré dans un hôtel chic de Piccadilly Circus à Londres, le (très) grand échalas - 1,94 mètre - souriant et avenant ressemble fort à Buzz l'Éclair, et revient en exclusivité sur la genèse de Vice-Versa 2.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Vous êtes maintenant directeur de Pixar. Ne regrettez-vous pas votre rôle de réalisateur ?

PETE DOCTER - Je dois avouer que sur ce film c'était un peu bizarre, puisque j'ai écrit et réalisé le premier Vice-Versa en 2015. Maintenant, j'ai davantage un rôle de supervision, je suis amené à suivre les projets et j'interviens quand c'est nécessaire. Mais Kelsey Mann, le réalisateur de ce nouveau film, a fait un travail fantastique.

Les films de Pixar comme Toy Story (1995), Là-haut (2009), ou Soul (2020) sont considérés comme des contes ayant une portée mythologique...

Ce sont juste des histoires, mais selon moi ce qui est important c'est qu'elles fassent réfléchir. Je souhaite que les spectateurs repensent au film après l'avoir vu. Qu'ils puissent se demander ce qui se passe après la mort comme dans Soul, par exemple. Ce sont des questions philosophiques dont on doit se saisir en tant que créateurs. Notre but est surtout d'entamer une discussion.

Des souvenirs qui s'accumulent au fur et à mesure de l'existence...

Savez-vous que Vice-Versa est utilisé en thérapie pour expliquer aux enfants les émotions et le fonctionnement du cerveau ?

J'en ai entendu parler, et c'était vraiment une surprise. On ne pensait pas réaliser un support thérapeutique, évidemment. L'idée du film m'est venue quand je me suis dit qu'utiliser les émotions comme personnages avait un sens en tant que réalisateur de dessins animés. Je voulais dessiner la colère en petit personnage énervé, ou la peur, un personnage inquiet, avec chacun un tempérament différent. Une émotion fait un truc et l'autre veut l'arrêter, c'est vraiment plus facile à expliquer avec des petits bonshommes qu'avec des mots. Tant mieux si ça aide les thérapeutes.

Sur quels travaux scientifiques vous êtes-vous appuyés ?

Dès le premier film, nous nous sommes inspirés des livres de Paul Ekman sur l'apposition de couleurs propres à chaque émotion (rouge pour la colère, bleu pour la tristesse, vert pour le dégoût...). Et pour Vice-Versa 2, nous avons pioché dans les couleurs qui restaient : orange, violet, turquoise... toujours sous le contrôle d'un spécialiste, en l'occurrence le Dr Dacher Keltner de l'université de Berkeley, qui est un disciple de Paul Ekman.

Et pour la cartographie du cerveau, comment avez-vous procédé ?

Nous voulions ajouter une dimension supplémentaire par rapport au premier film, d'abord pour l'intérêt de l'histoire et parce que Riley grandit. Ce que nous avons appelé le « système de croyances », une zone constituée des expériences vécues, c'est-à-dire des souvenirs qui s'accumulent au fur et à mesure de l'existence. Si vous êtes mordu par un chien, par exemple, le corps le garde en mémoire et vous fait reculer chaque fois qu'un chien s'approche. Nous avons représenté ces souvenirs par des cordes qui résonnent en nous. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur les travaux du Dr Richard Schwartz. Il décrit très bien comment l'expérience familiale dans l'enfance influe sur les croyances et l'estime de soi.

Quand le film a été fini, elle a dit « mouais, pas mal »

Le personnage de Riley était inspiré de votre propre fille, Elie, dans le premier Vice-Versa. Qu'en avait-elle pensé, et a-t-elle vu le nouveau film ?

Ma fille a maintenant 24 ans. Donc en 2015, quand Vice-Versa est sorti, elle était en plein dans sa phase ado, tantôt très heureuse et surexcitée puis subitement très triste et mutique. Quand le film a été fini, elle a dit « mouais, pas mal », de manière un peu blasée comme le personnage d'Ennui. Elle a été beaucoup plus enthousiaste pour le deuxième film, c'est comme ça quand on grandit.

Pourquoi ne pas montrer plus ce qui se passe dans la tête des autres personnages autour de Riley ?

Parce que ça embrouille l'histoire. Or nous avons seulement à peu près quatre-vingt-dix minutes par film. On ne peut pas se disperser.

Dernière question : Avez-vous déjà consulté un psy ?

Oui, car mon adolescence a été difficile ; mais cela va beaucoup mieux maintenant, d'autant que mon travail consiste à entretenir cette âme d'ado en moi pour rester en phase avec nos personnages et les spectateurs.

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Commentaires 3
à écrit le 16/06/2024 à 9:06
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Enfin au dela du decorum pseudo culturel le but c'est de faire du pognon hein, le plus possible.

le 16/06/2024 à 10:31
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C'est bien de se réveiller 113 ans après la création de Hollywood! Mieux vaut tard que jamais, même si bon... ^^

à écrit le 16/06/2024 à 8:32
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Vice versa je pense est un dessin animé qui aura fait du bien à tout une génération de filles d'abord et avant tout. Ça fait un peu penser aux Merlo Ponti dans les BD pour enfants, distraire tout en les rendant plus forts mentalement.

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