EXCLUSIF : France 2 consacre une série à Dino Scala, violeur en série de 54 victimes

Durant trente ans, Dino Scala a opéré dans un rayon de 30 kilomètres dans le Nord, près de Maubeuge. Un fait divers qui continue de traumatiser toute une région et auquel France 2 consacre une série très réussie, diffusée à partir de demain soir.
Le prédateur a sévi de 1988 à 2018 dans le Val de Sambre, petit territoire situé près de Maubeuge (Nord).
Le prédateur a sévi de 1988 à 2018 dans le Val de Sambre, petit territoire situé près de Maubeuge (Nord). (Crédits : © SAMI BELLOUMI/LA VOIX DU NORD/Maxppp)

« Quand je retourne là-haut, dans le Val de Sambre, les gens me regardent. Ils savent ce que j'ai subi, ils me reconnaissent. Ce sont des regards compatissants mais personne n'ose venir me parler. Avec ma famille non plus on n'en parle pas, c'est resté un sujet tabou. » Mélanie a 40 ans, elle vit aujourd'hui près de Lyon, loin d'Aulnoye-Aymeries, là où elle a grandi. Là aussi où, un matin de janvier 1997, elle a croisé la route de Dino Scala, surnommé « le violeur de la Sambre ». Elle avait 14 ans, il l'a agressée sexuellement dans la rue, sur le chemin du collège. « J'ai laissé ma confiance en moi sur le trottoir ce matin-là, racontet-elle. Je ne l'ai jamais retrouvée depuis. » Vingt-six ans plus tard, Mélanie dort avec la lumière et la radio allumées, toujours, un couteau sous l'oreiller, parfois. En avril, cette mère de deux jeunes enfants a fait une tentative de suicide. Quelques mois plus tard, elle va mieux, elle se reconstruit.

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Les victimes suspectées

Mélanie est l'une des 54 victimes des viols, tentatives de viols et agressions sexuelles commis entre 1988 et 2018 par Dino Scala, condamné en 2022 à vingt ans de prison. Mais cinq ans après l'arrestation du violeur de la Sambre, son ombre plane toujours sur la région. À Aulnoye-Aymeries, le commissariat vétuste où, comme tant d'autres victimes avant elle et après elle, Mélanie avait déposé plainte ce matin de janvier 1997 n'a pas bougé. Seuls les barreaux aux fenêtres et le vieil écriteau « Police » indiquent qu'il ne s'agit pas d'une maison de ville en mauvais état. Pourtant, quelques mois après la capture de Scala, Christophe Castaner, alors ministre de l'Intérieur, était venu annoncer la construction d'un nouveau commissariat, comme un nouveau départ pour des effectifs qui n'avaient pas réussi à attraper le violeur trois décennies durant. Le bâtiment aurait dû être inauguré en septembre mais, comme un symbole, un champignon est venu attaquer la charpente du toit. La livraison est reportée sine die. Le déménagement du « commissariat le plus triste de France », dixit le maire dans La Voix du Nord, attendra.

Dans son livre Sambre - Radioscopie d'un fait divers (JC Lattès), paru en janvier, la journaliste Alice Géraud retrace méticuleusement l'histoire de ces femmes et de ce qu'elles ont subi. C'est grâce à cette enquête remarquable qu'il nous est permis de comprendre comment celui qui a probablement commis le plus grand nombre de viols et d'agressions sexuelles dans l'histoire criminelle française a pu échapper à la police et à la justice pendant trente ans. Durant trente ans, les femmes qui passent la porte du commissariat de Maubeuge ou d'Aulnoye-Aymeries ne sont pas prises au sérieux, les dépôts de plainte ressemblent à des interrogatoires, les victimes sont suspectées. Les tentatives de viol ou d'agression sexuelle sont considérées comme des attentats à la pudeur, parfois comme des vols de sac à main. En 1994, un policier écrit dans son procès-verbal qu'un homme a « proposé de faire l'amour » avec la victime, décrivant la scène comme une « mésaventure ». Pendant trente ans, personne ou presque ne parle de ces histoires-là, ni dans la presse locale ni ailleurs ; le violeur de la Sambre n'existe pas.

Le mode opératoire est pourtant le même, une « signature criminelle », selon l'avocat général lors du procès en 2022 : Scala opère armé d'un couteau de poche et d'une cordelette pour attraper ses victimes par-derrière ; entre 5 et 8 heures du matin, entre octobre et mars, faits d'hiver obligent. « L'été, c'est impossible, il fait trop clair le matin », expliquera devant la cour d'assises de Douai celui que l'expertise psychiatrique désignera comme un prédateur « excité par l'agression plus que par le plaisir sexuel ». « C'est un violeur qui bande mou », osera même le docteur Paul Bensussan, chargé de l'expertise. « Ce n'est pas seulement un échec de la police et de la justice mais de la société en général », explique Franck Martins, ancien commandant de la PJ de Lille chargé des cold cases, aujourd'hui retraité. En février 2018, c'est lui qui a arrêté Dino Scala après des années d'enquête. « On a eu trop de mal, pendant toutes ces années, à considérer ce qu'était un viol, une agression sexuelle, raconte celui qui n'imaginait pas partir à la retraite avant d'avoir mis les menottes au violeur de la Sambre. Le vrai échec, c'est le traitement des victimes au niveau global. Et puis les outils ont évolué, la vidéosurveillance, l'ADN, c'est ça qui nous a permis de l'attraper. » Alice Géraud l'affirme : « Le tournant dans l'enquête, c'est quand on a commencé à écouter les femmes. Aujourd'hui, ça va mieux, MeToo est passé par là, mais on part de loin. » « L'accueil des femmes dans les commissariats s'est amélioré mais pas partout ; on sait que dans tel commissariat, c'est encore le café du commerce », se désole Muriel Leroy, une habitante de Vieux-Reng. « Le commissariat de Jeumont, tout le monde sait que, quand t'es une femme, il ne faut pas y aller », raconte une victime de violences conjugales. Depuis quelques années pourtant, une intervenante sociale spécialiste de l'écoute des victimes partage son temps entre les trois commissariats du Val de Sambre. Des commissariats où il n'est pas si facile d'entrer. « À Maubeuge, l'accueil se fait dehors à l'interphone, raconte cette victime. On vous demande pourquoi vous êtes là avant de vous faire entrer. Une fois dans le hall, rebelote, devant tout le monde. À ce niveau-là, rien n'a été fait depuis l'affaire Scala. »

Il y en a bien une qui a écouté les victimes avant les autres. Annick Mattighello, maire communiste de Louvroil de 2001 à 2018, a quitté le Val de Sambre après avoir rendu son écharpe de maire mais elle habite toujours dans le Nord, à 40 kilomètres. Une écharpe qui trône en bonne place dans le salon de sa maison en brique, à côté de sa Légion d'honneur et de son ordre national du Mérite. « Pas mal pour une petite ouvrière, non ? » lance-t-elle, l'œil rieur.

Le tournant dans l'enquête, c'est quand on a commencé à écouter les femmes

Alice Géraud, journaliste

Si ses combats et ses victoires l'ont rendue fière, elle est toujours restée modeste. « J'ai toujours eu le désir d'être utile à la société. » En 2002, plusieurs cas de viol sont recensés dans sa commune ; elle décide de sonner l'alerte en organisant une conférence de presse. « L'objectif était de faire parler les victimes pour libérer la parole des autres et alerter la population », se souvient-elle. Les autorités locales tentent de la faire taire, mais elle tient. « Le sous-préfet m'avait dit : "Ça va, il n'y a pas mort d'homme." » Les autres élus lui en avaient aussi voulu, prétextant que cela donnerait une mauvaise image de la région. Alice Géraud consacre dans son livre un chapitre bouleversant à « la petite femme puissante du Parti communiste » mais, après la parution, cette dernière n'a reçu aucun message de ses anciens collègues de la région. « Une omerta continue de régner sur cette histoire parce que Dino Scala était aimé de tous dans le Val de Sambre, et notamment des élus. » Très proche du maire de Pont-sur-Sambre, la ville où il résidait, président du club de foot local, il était « M. Tout-le-Monde », connu de chacun, copain avec tous. « M. le maire ne répond plus aux journalistes concernant cette histoire », nous fait-on savoir à la mairie de Pont-sur-Sambre. Silence radio également à Maubeuge et Aulnoye-Aymeries, où le maire communiste en place depuis 1995, Bernard Baudoux, n'a jamais publiquement parlé de cette affaire. « Ça ne m'étonne pas, reprend Annick Mattighello. À l'époque, il demandait aux victimes de ne pas faire trop de vagues. Lui et les autres ont fait preuve de lâcheté. » Dans un village voisin, une autre édile « sait bien qu'une femme a été violée par Scala dans la commune », mais cette dernière lui a interdit d'en parler. Preuve que cette affaire gêne, aucun élu, policier ou gendarme local n'est venu assister au procès qui a duré trois semaines, laissant le commandant Martins seul à la barre pendant sept heures. En janvier, lors de la présentation du livre d'Alice Géraud dans une salle communale de Maubeuge, seules des victimes et leurs familles sont venues écouter le récit de quatre ans d'enquête. « Le problème, c'est que Dino Scala apparaît encore comme un brave type aux yeux de certains, on a du mal à accepter que ce soit lui qui ait commis ces crimes », indique Emmanuel Riglaire, avocat de deux victimes et lui-même originaire de Maubeuge. Muriel Leroy enrage : « Cette affaire n'a jamais été mise dans le débat public local, c'est tabou. Aucun élu n'a présenté ses excuses, jamais. Comment voulez-vous qu'on avance ? »

À Boussières-sur-Sambre, impossible de taire le sujet. « Toute la famille Scala est née ici, dans le village, raconte Claude Dupont, le maire du village depuis 1995. on a tous vu Dino grandir et il venait voir sa mère tous les jours. » Celle-ci et deux frères de Dino Scala habitent toujours là. « Elle ne sort plus, tous les volets sont fermés en permanence, elle est effondrée. Les deux frères sont retraités aussi ; eux ont une vie presque normale, ils vont à la chasse, voient du monde. » Mais tous ont été anéantis lorsqu'ils ont appris ses crimes. Ils ne sont jamais allés le voir en prison, ils ont coupé les ponts, tous ne l'ont pas fait.

Pour rejoindre Jeumont, à la frontière belge, il faut prendre la D959 qui longe la Sambre avant de la traverser. Peu avant 7 heures, de jeunes ombres sortent des maisons en brique dans les villages endormis. Dans l'obscurité que l'éclairage public peine à faire oublier, des lycéennes, des collégiens, des travailleuses et des ouvriers marchent le long de la route pour rejoindre le prochain arrêt de bus. C'est au bord de cette D959 que Dino Scala a commis une partie de ses crimes. Une route qu'il a empruntée pendant des dizaines d'années pour aller travailler à l'usine Jeumont Electric en tant que mécanicien. Là-bas, tout le monde se souvient de lui. « À part ce qu'il a fait, c'était vraiment une bonne personne, raconte un de ses anciens collègues. On déjeunait tous les jours ensemble avant de faire une partie de belote, c'était quelqu'un de serviable. » Il avoue avoir reçu des lettres de Scala envoyées depuis sa cellule, il dit n'avoir pas répondu. « D'autres l'ont fait, il y a même un collègue qui lui rend visite en détention, par amitié, mais moi je pense aux femmes qui ont subi ça. » Quand on lui demande s'il regardera la série Sambre, inspirée de cette affaire et que France 2 diffuse à partir de demain, il coupe : « Pour moi, il faut arrêter d'en parler, ça fait plus de mal qu'autre chose, et puis ça pourrait donner des idées à d'autres cinglés. » Aujourd'hui, l'usine de Jeumont, qui emploie 500 salariés, est quasiment à l'arrêt. Elle devait être vendue début novembre à Framatome et Naval Group mais, comme un autre symbole, la Commission européenne a retoqué la vente. La cession, elle aussi, est reportée sine die.

Ce n'est pas seulement un échec de la police et de la justice mais de la société en général

Franck Martins, ancien commandant de la PJ de Lille

Combien continuent à se taire ?

« Combien ? » demande le commandant Martins à Scala après l'avoir arrêté, le 26 février 2018. « Beaucoup. Au moins dix, je ne sais pas. » Quatre ans plus tard, il sera condamné pour des faits sur 54 victimes, mais ce nombre est « sûrement sous-évalué », avance l'ancien de la PJ de Lille, qui détaille : « Si on observe son parcours, il y a de longues périodes d'inactivité où aucune victime n'est recensée. Et puis il y a les faits prescrits. Cinquante-quatre... je pense qu'on peut facilement doubler ce chiffre. » Combien sont-elles à continuer à se taire ? « C'est sûr qu'il y en a qui n'ont rien dit, pour ne pas briser leur vie de famille, explique Josiane Suleck, la maire de Rousies. Oui, on écoute plus les femmes, mais c'est toujours très difficile à porter, comme histoire. » Il y a quelques mois, le parquet de Valenciennes a rouvert une enquête pour 15 autres faits qui pourraient être imputés à Scala, parmi lesquels 13 figuraient déjà dans l'enquête initiale. Après avoir renoncé à faire appel de sa condamnation, Dino Scala « se prépare à un nouveau procès, même s'il n'a pas encore eu de convocation », rapporte Margaux Mathieu, son avocate. « Il n'est pas seul, il est entouré de ses proches et suit un parcours de soins », précise-t-elle. Sa femme et certains de ses enfants lui rendent régulièrement visite en prison.

« Pour moi, son incarcération c'est une parenthèse, je sais qu'il sortira un jour, redoute Mélanie. Dès lors, la peur de ne pas savoir où il est, d'imaginer qu'il est peut-être encore à roder derrière moi reviendra. » Condamné à vingt ans de prison après cinq ans de détention provisoire, Dino Scala, 62 ans, pourrait sortir « dans une dizaine d'années », prédit le commandant Martins. « La seule solution que j'aurai quand il sera dehors, ce serait de retourner dans le Nord, parce que, là-haut, il ne pourra pas y revenir », se désole Mélanie. À ce moment-là, le regard qu'élus, voisins et familles portent sur elle et sur les autres victimes du violeur de la Sambre aura peut-être changé.

Les défis d'une série

Dans cet océan d'émissions, de films, de séries tirés de faits divers, Sambre surnage et surprend par son originalité, sa justesse et sa retenue. En six portraits, la fiction parvient à traiter un fait divers s'étalant sur trente ans. Certains sont tirés directement de la réalité (comme le personnage de la maire finement interprété par Noémie Lvovsky, ou celui inspiré du commandant Martins, renommé Winckler, joué tout aussi justement par Olivier Gourmet). En revanche, la victime jouée par Alix Poisson - magistrale tout au long de la série - est un mélange de différentes personnes réelles pour qu'aucune ne se reconnaisse. Partant d'un fait divers, la série nous ouvre les yeux sur l'écoute des femmes ayant subi des violences sexuelles. « Dans ce genre d'affaires, la fascination s'exerce plus à l'endroit du criminel, nous voulions éviter cela, précise Jean-Xavier de Lestrade, le réalisateur. Il s'agissait de donner une voix aux victimes qui n'avaient pas été entendues. » Une série qui relève donc deux immenses défis avec brio : faire passer le criminel au second plan et parler du viol avec pudeur. N.G.

Sambre, à partir de demain soir sur France 2.

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Commentaires 2
à écrit le 12/11/2023 à 9:45
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Quand on sait que la majorité des délinquants recherchent la notoriété, quel "bel exemple" vous donner...! Les médias ne savent plus quoi inventer pour attirer les publicitaires !

à écrit le 12/11/2023 à 9:03
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Nous n'avons plus de scénariste en France donc ? Il fallait s'en douter du coup obligés de copier cnews la chaine des faits divers. Il vaudrait mieux intéresser les français à se pencher sur toutes les affaires de ce genre et les information le conce...

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