Blocage de TikTok en Nouvelle-Calédonie : la décision du gouvernement attaquée en justice

Par Marine Protais  |   |  740  mots
TikTok a été interdit en Nouvelle Calédonie. La Quadrature du Net demande la suspension de cette décision (Crédits : DADO RUVIC)
La Quadrature du Net a déposé un recours vendredi 17 mai auprès du Conseil d'État pour demander la suspension du blocage de TikTok. L'organisation défenseuse des droits numériques estime que le gouvernement porte « une atteinte grave et manifestement disproportionnée à la liberté d'expression et de communication ». La Ligue des Droits de l'Homme attaque également la décision.

On pouvait s'y attendre. La Quadrature du Net attaque en justice la décision du gouvernement suite au blocage de TikTok en Nouvelle-Calédonie. L'association qui milite pour les droits et les libertés des internautes a déposé un recours en référé liberté au Conseil d'Etat vendredi 17 mai pour demander la suspension immédiate de la décision prise par Gabriel Attal. La Ligue des Droits de l'Homme a également déposé un recours en référé liberté, mais précise moins sa démarche pour le moment.

En réponse aux émeutes qui ont fait cinq morts, le Premier ministre avait annoncé mardi 15 mai le blocage du réseau social dans l'archipel. Matignon précise à Numerama que la plateforme sert de « support de désinformation » où circule des campagnes venues de puissances étrangères et relayées par les émeutiers.

Aucune preuve de ces campagnes de désinformation circulant sur la plateforme n'a été apportée par le gouvernement. En revanche, Viginum vient de publier un communiqué précisant que plusieurs manœuvres informationnelles d'origine azerbaïdjanaise ciblent la France dans le contexte des émeutes en Nouvelle-Calédonie. Mais ce n'est pas sur TikTok qu'ont été repérées ces campagnes. C'est sur X et Facebook.

De quoi remettre en question la légitimité du blocage. « Le gouvernement porte un coup inédit et particulièrement grave à la liberté d'expression en ligne, que ni le contexte local ni la toxicité de la plateforme ne peuvent justifier dans un État de droit », explique de son côté la Quadrature du Net dans un communiqué. Avec son recours, elle dit vouloir tenter  « de stopper une machine autoritaire lancée à pleine vitesse ». Elle qualifie également la mesure de Gabriel Attal d'« occulte ». Sa décision n'a pas été formalisée officiellement, mais le blocage de la plateforme est bel et bien effectif.

Une légalité remise en cause sur plusieurs points

Comme précisé par le juriste Nicolas Hervieu, spécialiste en droit public et droit européen des droits de l'Homme, à La Tribune, la mesure s'appuie sur la loi de 1955 (révisée en 2017) autorisant dans le cadre d'un état d'urgence la coupure d'un service de communication. Mais celle-ci n'est possible que si le service en question fait l'apologie d'actes terroristes et/ou provoque leur commission. Or, il n'est pas évident que les émeutes en cours soient qualifiées légalement de terrorisme. Le gouvernement ne les a d'ailleurs pas nommé ainsi pour le moment. Interrogé à ce sujet Matignon, n'a pas souhaité répondre.

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C'est sur cet aspect que la Quadrature du Net remet en cause la légalité de la décision. L'association estime qu'il s'agit d'un détournement de pouvoir et de procédure. L'organisme relève d'ailleurs d'autres infractions à l'article de la loi de 1955 sur l'état d'urgence : c'est le Premier ministre et non le ministre de l'Intérieur qui a pris la décision, contrairement à ce que stipule la loi. Ensuite, le service lui-même ne diffuse a priori pas de contenus faisant l'apologie du terrorisme. Or, toujours selon cet article de loi sur l'état d'urgence, il est exigé que le service soit directement à l'origine des contenus, pas seulement les utilisateurs.

La Quadrature du Net précise par ailleurs qu'elle ne tient pas à défendre TikTok par ce recours. Une application qu'elle juge « nocive ». Mais c'est la censure et l'atteinte à la liberté d'expression qu'elle dénonce.

TikTok s'est de son côté exprimé au sujet de ce blocage auprès de BFMTV. Elle précise n'avoir reçu « aucune demande ou question, ni sollicitation de retrait de contenu, de la part des autorités locales ou du gouvernement français ». Ce qui signifie que les autorités n'ont pas cherché à limiter la diffusion des messages haineux sans recourir à un blocage pur et simple de l'application.