Droits voisins : le sursaut de la presse française face à Google

Par Anaïs Cherif  |   |  869  mots
(Crédits : Arnd Wiegmann)
Plusieurs organismes de représentation de la presse française ont annoncé, ce jeudi, vouloir porter plainte contre Google auprès de l'Autorité de la concurrence. En cause : le refus du géant américain de payer aux éditeurs de presse des droits voisins, semblables aux droits d'auteurs, pour l'utilisation de leurs contenus. Ces nouveaux droits ont été créés par une directive européenne entrée en vigueur en juin et transposée par une loi française, applicable à compter de ce jeudi.

La presse française passe à l'offensive face à Google. Les éditeurs de l'Alliance de la presse d'information générale (Apig), ainsi que le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (Sepm) et la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée (Fnps) ont donné, ce jeudi, une conférence de presse à Paris. Chaque organisme va individuellement porter plainte contre le géant américain auprès de l'Autorité de la concurrence la semaine prochaine. L'Agence France-Presse (AFP) a également annoncé son intention de porter plainte.

Au cœur de la discorde : les droits voisins. Ils ont été créés par la directive européenne relative aux droits d'auteurs, adoptée après des mois d'intenses campagnes de lobbying et entrée en vigueur début juin. Semblables aux droits d'auteurs, ces droits permettent aux éditeurs de presse d'octroyer des licences - contre rémunération - aux géants d'Internet, comme Google et Facebook, pour la reproduction et utilisation de leurs contenus sur leur service. Le but : permettre un partage plus juste des revenus publicitaires, à l'heure où l'essentiel de la valeur est captée par le duopole Google - Facebook.

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Google refuse de payer les nouveaux droits voisins

La France est le premier État-membre de l'Union européenne à l'appliquer, ayant transposé la directive dès cet été avec la loi du 24 juillet, entrée en vigueur ce jeudi. Et pourtant, Google a annoncé dès le 25 septembre ne pas vouloir rémunérer ces nouveaux droits voisins dus aux éditeurs de presse.

"L'attitude de Google est perçue soit comme une agression, soit comme un contournement de la loi", affirmait ce matin Pierre Louette, Pdg du groupe Les Echos-Le Parisien en guise de préambule. "Sa décision impacte la façon dont nous pourrons informer demain les citoyens à l'heure des plateformes. Notre attitude à l'égard de Google n'a pas changé : ni hostilité de principe, ni soumission."

Concrètement, Google a déployé en France à partir de ce jeudi une nouvelle version de son service d'actualité, baptisé "Google News". Dans cet onglet, le géant américain n'affiche plus par défaut les images en vignettes, ni d'extraits de l'article. Seuls les titres et les liens hypertextes sont encore visibles. Or, ces images et extraits favorisent les clics des internautes, et donc, augmentent le trafic vers les sites des médias.

"Google demande de choisir entre la peste et le choléra"

Pour maintenir ces aperçus et tenter de rester visible sur le moteur de recherche, les éditeurs doivent désormais en faire la demande expresse à Google, et ainsi renoncer à la rémunération des fameux droits voisins. Une "alternative mortifère", comme l'explique Jean-Michel Baylet, président de l'Apig et Pdg du groupe La Dépêche du Midi :

"Google nous demande de choisir entre la peste ou le choléra ! Soit nous restons visibles dans les résultats de recherches et nous renions nos droits voisins, soit nous acceptons un affichage réduit dans les résultats de recherches, qui représentent 90% des usages en France."

Une deuxième option qui mène manifestement à une baisse substantive du trafic pour les sites. Une étude réalisée par le groupe de communication Heroiks et publiée ce jeudi établit la forte dépendance des sites Internet aux moteurs de recherche - dont Google, qui détient plus de 90% de parts de marché en France.

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Étendre le débat à l'échelle européenne

À travers leurs plaintes, les représentants de la presse espèrent que l'Autorité de la concurrence reconnaîtra une position dominante de Google, un abus de cette position, la dépendance économique des médias envers le géant américain et enfin, le contournement de la loi par ce dernier.

"Il est temps pour les responsables politiques du monde entier, et pour le législateur en France, de s'interroger sur les contre-pouvoirs à opposer rapidement aux Gafa [Ndlr : acronyme désignant Google, Apple, Facebook et Amazon] - sauf à admettre qu'ils deviennent les maîtres du jeu économique et démocratique de notre société", a estimé François Claverie, vice-président du Sepm et Directeur général du Point.

Le ministre français de la Culture, Franck Riester, a réitéré ce jeudi son "soutien [aux] démarches engagées par les éditeurs et agences de presse auprès de l'autorité de la concurrence". Ce dernier entend mobiliser sur le sujet ses homologues lors du Conseil des ministres européens de la Culture le 21 novembre.

"Nous sommes révoltés [...] Nous nous mobilisons car il s'agit de l'avenir de la presse française et même, de la presse européenne", martèle Jean-Michel Baylet, qui craint de voir le cas français être généralisé à l'échelle européenne.

Lors d'un sommet franco-allemand organisé à Toulouse mercredi dernier, Emmanuel Macron a insisté : "Nous ne laisserons pas faire", avant d'enjoindre les autorités des États-membres et européennes à "engager au plus vite toutes les procédures possibles".