Adrien Couret : «Quand l’exceptionnel devient la norme, l’assurance devient un sujet politique et social»

Retour de l’inflation, poids des catastrophes naturelles, hausse des dépenses de santé…2022 a marqué un vrai changement de cycle pour l’assurance. Une tendance qui n’est pas près de s’infléchir, avertit Adrien Couret, Directeur Général d’Aéma Groupe (Macif, Aésio, Abeille Assurances et Ofi Invest). La vraie question qui se posera sera celle du juste partage de sort.
(Crédits : Franck Beloncle)

Vous parlez de changement de cycle mais, pour l'instant, l'année 2023 n'a-t-elle pas été plus clémente en matière de catastrophes naturelles?

C'est un regard un peu trop rapide. 2023 se présente comme une année difficile. Pour l'instant, elle est l'une des pires années en sinistralité climatique (la 3e depuis 20 ans). Il y a eu des tempêtes, des grêles et la grande sécheresse de 2022 commence, seulement en 2023, à produire son plein effet. Au fond, 2023 confirme une tendance sur le long terme : la sinistralité climatique ne cesse d'augmenter. Le coût des catastrophes naturelles des 30 prochaines années sera 3 fois supérieur à celui des 30 dernières années. C'est une vraie rupture. Il est pourtant essentiel que l'assurance puisse continuer de jouer son rôle d'amortisseur ; repenser son modèle économique relève de la responsabilité de tous les acteurs - privés et publics - c'est un impératif de justice sociale.

Le secteur ne dispose-t-il pas des ressources nécessaires pour assumer ce rôle ?La hausse des taux lui est profitable.

Bien sûr, le niveau des taux d'intérêt a plutôt des effets positifs sur les revenus financiers des assureurs, mais cela ne compense pas, et de loin, la hausse structurelle de la sinistralité et de l'inflation. À des événements exceptionnels, comme le séisme en Charente-Maritime et les émeutes de juillet - pour lesquels la facture cumulée pourrait atteindre 1 milliard d'euros - s'ajoutent les hausses des prix de tout ce que nous réparons. Les pièces de rechange automobile, les tuiles pour réparer un toit: tout cela coûte 10 % de plus que l'an dernier, 2 fois plus que l'inflation générale !

Dans la santé, les dépenses de soins ont augmenté deux fois plus qu'en 2022, sans compter le transfert de charges de la sécurité sociale. Depuis l'année dernière, les charges des assureurs sont supérieures à leurs ressources, or nous avons besoin de ressources pour garantir une protection des Français dans le temps et sur tout le territoire.

Faut-il craindre un repli des garanties, un désengagement des assureurs?

Il faut comprendre que le secteur de l'assurance arrive à un tournant. Alors qu'il est essentiel, vital pour les Français. Chaque année, un groupe comme Aéma tient ses engagements auprès de ses sociétaires, adhérents et clients, notamment en assurant l'indemnisation et la réparation de plus de 2 millions de sinistres. Parce que nous sommes mutualistes, sans actionnaires financiers, nous le faisons avec des marges modestes. Or nous avons besoin de faire face à des demandes croissantes de protection. Je pense aux catastrophes naturelles, mais aussi au vieillissement de la population. L'assurance est partout. Pour éviter que les assureurs se retirent de certains risques, il sera nécessaire d'activer plusieurs leviers. À long terme, se protéger sur des aspects vitaux de sa vie va coûter plus cher.

Quels sont ces autres leviers que vous envisagez ?

Devant ce changement de cycle, il est primordial que l'assureur continue de jouer son rôle d'amortisseur. Mais il ne peut le faire seul. Il doit y avoir un partage de sort. Ce qui se joue autour de l'assurance, ce sont des choix politiques et de société, des choix collectifs. Chacun doit prendre sa part (réassureurs, pouvoirs publics, professionnels de santé, constructeurs automobiles...) pour ne pas aboutir à un désengagement des assureurs tel qu'on peut l'observer aux Etats-Unis, où ces derniers se retirent de certains risques, de certaines zones. Je pense que nous devons également, collectivement, être plus prospectifs et travailler à l'anticipation des risques futurs. Il est temps d'engager un dialogue transparent sur ces questions, afin de garantir la meilleure protection au plus grand nombre.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.