Le tournant s'est produit il y a trois ans, quasiment jour pour jour, et la suite s'écrit aujourd'hui à Bercy. Le 27 juillet 2021, Simone Biles bloquait sa rotation sur son habituel saut Yourchenko, escamotait sa réception, puis mettait ses JO entre parenthèses : un problème de perte de repères dans l'espace. Que la mégastar des Jeux olympiques, quatre fois titrée lors de la précédente édition à Rio, étale ainsi la difficulté à assumer son statut et la problématique de la santé mentale dans le sport de haut niveau a marqué un tournant. Quelques mois après Naomi Osaka, qui avait zappé les conférences de presse à Roland-Garros pour des raisons similaires, le mythe biaisé de l'athlète invulnérable et égal à lui-même dans le tumulte de sa vie hors norme volait en éclats.
Depuis, le sujet n'est plus tabou. La parole se libère. Les exemples se multiplient. En France notamment. Quelques mois après Tokyo, la judokate Madeleine Malonga s'est rendu compte qu'elle avait besoin d'aide. « J'ai osé en demander et j'en suis fière, raconte t-elle. Ce n'est pas facile, car dans les sports de combat nous sommes conditionnés à ne pas montrer nos faiblesses. » Le nécessaire avait été fait au sein de la structure nationale. La Fédération française de volley avait aussi intégré un spécialiste après que Jean Patry a tiré la sonnette d'alarme sur le burn-out qui le guettait. Étudiante en psychologie, la lutteuse Koumba Larroque a « mis volontiers en avant la question de la santé mentale » dans ses interviews avant Paris 2024, confessant avoir eu elle-même des difficultés.
Un tiers des athlètes concernés
Des exemples qui se déclinent au niveau planétaire depuis Simone Biles. « Il y a eu un avant et un après, admet la boxeuse Estelle Mossely, titrée à Rio. Mais ce n'est pas encore ça. » Selon des études internationales, un tiers des athlètes souffrent de troubles anxiodépressifs et près de la moitié de problèmes de sommeil. Tous ne le disent pas, mais, désormais, on le sait. Au village olympique, durant la quinzaine, quatre personnes seront ainsi chargées du bien-être psychologique des athlètes français. Certains, comme Léon Marchand, Amandine Buchard, Pauline Ranvier ou Ysaora Thibus, ont même leur propre psychologue ou préparateur mental non loin d'eux.
Cette semaine, Estelle Mossely a regardé le documentaire Marie-JO, revenant notamment sur le départ précipité de Marie-José Pérec des JO de Sydney en 2000. « On se rend compte que ça a toujours existé », note-t-elle. Début mai, Marie-José Pérec nous confiait d'ailleurs avoir refusé de voir un psy malgré les injonctions de sa grand-mère et avoir été mal dans sa peau pendant très longtemps. « En discutant avec d'anciens sportifs, prolongeait-elle, je me suis rendu compte que très peu n'ont pas été déprimés pendant leur carrière, puis une fois qu'ils ont arrêté. » Alors, quand elle compare avec son époque, l'ex-reine du 400 mètres voit une révolution. Parce que Thierry Henry vient du football, ses confidences sur sa dépression dans un podcast en Angleterre en début d'année ont marqué. « Est-ce que je le savais ? s'interrogeait le champion du monde 1998. Non. Est-ce que j'ai fait quelque chose à ce sujet ? Pas du tout. Mais je me suis adapté. »
Deux ans pour revenir
Le nageur multimédaillé Michael Phelps avait raconté ses épisodes dépressifs deux ans après sa retraite des bassins, ; il mène depuis un combat pour le bien-être mental des athlètes. Mais Simone Biles, elle, l'a fait en activité. Au vrai, en 2018, un an après avoir évoqué à la télé américaine un pan sordide de sa vie (sa mère junkie), elle avait déjà confessé souffrir d'anxiété et suivre une thérapie : elle venait de révéler être une des victimes du pédocriminel Larry Nassar, ancien médecin de l'équipe de gymnastique condamné à la prison à vie. Mais cela avait eu moins d'écho qu'à Tokyo. « Vu son influence sur la jeunesse et le sport, ça a ouvert la voie », souligne Mélanie de Jesus dos Santos, qui s'entraîne depuis deux ans avec la Texane et a été invitée à son mariage.
Deux ans, c'est aussi le temps qu'il a fallu à Simone Biles avant de revenir à la compétition. En grande pompe aux Mondiaux 2023, et avec l'étiquette d'icône à Paris 2024. Mais, désormais, elle s'en fiche, jure-t-elle. Les images de ses spectaculaires entraînements de la semaine semblent l'attester.
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