CVC, fonds de tension dans le football et le rugby

La stratégie du mastodonte financier luxembourgeois, actionnaire de la Ligue professionnelle de football mais aussi du Tournoi des Six Nations, interroge parlementaires et acteurs du sport.
CVC Capital Partners.
CVC Capital Partners. (Crédits : © LTD / Pavlo Gonchar / SOPA Images/Sipa USA)

Dans leur univers, la discrétion est toujours une vertu, souvent une nécessité. Jean-Christophe Germani et Édouard Conques n'aspiraient pas à recevoir la lumière projetée ces jours-ci par la commission d'enquête du Sénat chargée de mesurer les conséquences de leur entrée en fanfare dans le business du football hexagonal. En avril 2022, CVC Capital, dont ils dirigent le bureau français, est devenu actionnaire de la filiale commerciale de la Ligue de football professionnelle (LFP). Le fonds d'investissement luxembourgeois détient 13 % de ses parts et empochera des bénéfices au prorata. Le tout contre un chèque de 1,5 milliard d'euros. Cette manne a tiré la Ligue 1 d'un mauvais pas, après que le Covid-19 a interrompu ses compétitions et que son diffuseur, Mediapro, a fait défection.

Lire aussiFootball : tout le monde se lève pour Kanté

Mais lors de l'audience, des surprises sont apparues. D'abord, le géant mondial aux 100 milliards d'actifs déroge à ses habitudes de rentabilité avec cet investissement. « C'est le plus étonnant, confie le président de la commission, le sénateur du Val-de-Marne Laurent Lafon. CVC a calculé son investissement à partir de perspectives de recettes irréalistes [1,1 milliard en 2024, puis 1,4 milliard en 2027]. Leur retour sur investissement sera plus long que prévu, probablement dix ou douze ans. » Aux sénateurs, Christophe Germani et Édouard Conques ont expliqué que leurs clients, des assureurs, des compagnies d'épargne ou les fonds souverains de Singapour et du Koweït, étaient attirés par des mises multipliées par « deux ou deux et demi au bout de six à sept ans ».

Au cœur de ces estimations surévaluées, les droits télévisés de la L1, notamment domestiques, principale source de revenus de la LFP. N'était-il pas hasardeux de tabler sur 863 millions en 2024, alors que les experts s'accordent autour d'une valeur de 600 millions ? Pour la période 2024-2027, toujours en cours de négociation, « on va même finir autour de 400 à 450 millions, probablement via Canal+ », assure un connaisseur, convaincu que le projet de chaîne de la LFP n'est pas viable. La chaîne qatarienne beIN, en passe de perdre les droits de la NBA et de la Serie A, qui devraient respectivement filer sur Amazon Prime et DAZN, pourrait être le premier acheteur. Puis sous-licencier une grande partie du championnat de France, dont les grosses affiches, à sa concurrente cryptée.

Ce n'est pas un partenaire, seulement un investisseur soucieux de rentabilité

« Vous vous êtes fait avoir par la LFP ? » a demandé le sénateur Laurent Lafon aux patrons de CVC. Tout investissement comporte une part de risque, ont-ils éludé. Le fonds s'est fait une place dans le sport depuis 1998. À côté de participations dans la santé ou la technologie, son site Internet mentionne son implication dans le volley, le rugby ou le tennis. Son rachat de la formule 1, entre 2006 et 2016, a été remarqué. Mais pourquoi avoir valorisé le foot français à un tel montant (11,5 milliards d'euros) ? Certains témoins pointent le rôle de l'Élysée... Autre sujet d'étonnement, le peu d'implication de CVC pour valoriser sa participation. « Contrairement à ce que certains disent, et notamment Vincent Labrune, CVC n'est pas un partenaire, seulement un investisseur soucieux de rentabilité, juge Laurent Lafon.

Depuis qu'il est présent, ce fonds n'a pas montré de savoir-faire sur la commercialisation des droits et la valorisation du produit Ligue 1. » Il s'est mieux concentré sur son contrat, bétonné de toutes parts. Une clause prévoit, par exemple, un ajustement à son bénéfice au cas où un club français quittait la L1 pour rejoindre une ligue fermée.

«  On partage en sept ! »

Président de la Fédération française de rugby (FFR), Florian Grill est en mesure de confirmer certaines craintes. En 2021, CVC a acquis 14,3 % de Six Nations Rugby, l'organisateur du Tournoi et des test-matchs internationaux de l'automne, pour 400 millions d'euros. « Ce n'est plus le Tournoi des Six Nations, c'est celui des sept nations, dénonce Florian Grill. On partage en sept ! Quand l'ancienne équipe dirigeante de la FFR a signé l'accord, elle nous a dit que le savoir-faire de CVC allait permettre d'augmenter considérablement les recettes. Ce n'est pas ce qui s'est passé. » Les chiffres que nous avons consultés sont éloquents : depuis 2021, les revenus du Tournoi stagnent pendant que la part de CVC passe de 8,5 à 14,3 %. Celle dévolue à la FFR baisse de 30 à 25 millions d'euros. Autre motif de mécontentement : « L'intérêt de CVC est de maximiser les profits, et donc de jouer plus, par exemple avec la Nations Cup [nouvelle compétition internationale à partir de 2026], sans tenir compte de la santé des joueurs. »

Au Sénat, des propriétaires de clubs de Ligue 1 ont indiqué espérer que CVC augmenterait sa participation pour compenser la baisse des droits TV. « Je ne pense pas que le fonds soit dans cette optique », prévient le sénateur de l'Isère Michel Savin, étonné par le manque de vigilance de ces entrepreneurs aguerris : « Ils nous ont dit ne pas avoir lu le contrat, avoir fait confiance. C'est assez incroyable ! »

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.