Débarquement : veillée d’armes chez les « reconstitueurs » du jour J

Des bataillons de passionnés se préparent à (re)mettre en scène les grandes heures du Débarquement à la faveur du 80e anniversaire. Reportage.
Reconstitution à Pontivy (Morbihan), pour les célébrations des 80 ans de la libération de la ville, le 25 mai.
Reconstitution à Pontivy (Morbihan), pour les célébrations des 80 ans de la libération de la ville, le 25 mai. (Crédits : © LTD / JEAN MARC DAVID/SIPA)

Ce matin d'avril, une séquence briefing un peu particulière se tient dans un massif forestier près d'Évreux. Costumés pour certains en résistants, pour d'autres en GI, une vingtaine de femmes et d'hommes se serrent dans une tente. Dehors, une jeep de la Seconde Guerre mondiale stationne à côté d'un énorme camion Dodge. Un générateur ronronne derrière un arbre. Sous la toile kaki, les membres de l'Allied Reconstitution Group (ARG) s'affairent devant un écran pour préparer la Carentan Liberty March du 8 juin : une parade en hommage aux paras américains qui furent jetés sur les côtes normandes à l'été 1944. L'atmosphère est studieuse : il faut planifier les départs, repérer la ferme où sera planté le campement... « Les organisateurs attendent 250 reconstitueurs venus de toute l'Europe, dont nous », indique avec gourmandise Michel Ménager, le président de l'ARG.

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Dans le groupe, l'esprit est bon enfant et le rire n'est jamais très loin. Les rares individus belliqueux qui frappaient à la porte ont été priés d'aller voir ailleurs, nous assurent les participants. « On n'est pas là pour jouer à la guerre mais pour s'amuser et transmettre une histoire », déclarent-ils. Et l'agenda est chargé : pas un week-end sans un « camp » jusqu'en octobre, 80e anniversaire oblige. « Ça va être plus compliqué que les autres années à cause de l'affluence », s'inquiète Michel. Comme pour se mettre en jambes, ce robuste chauffeur routier de 59 ans a revêtu une tenue complète de parachutiste la 101e Airborne, l'un des deux régiments américains dont son association porte les couleurs. « Une copie, précise-t-il dans un sourire. Une vraie peut coûter plus de 30 000 euros. De toute façon, si j'en avais une, elle resterait sur un cintre. »

Jeux de rôle

L'homme ne fait pas qu'arborer les insignes du régiment US. Comme ses compagnons de jeu, il est intarissable sur son histoire. La grande mais surtout la petite, celle dont les livres scolaires ne parlent pas. « C'est ce que les Américains aiment dans nos displays [les shows, dans le jargon], parce qu'ils connaissent moins bien cette période que celle de Pearl Harbour. » Pour eux, l'ARG ouvre volontiers sa malle d'accessoires... bien garnie : couteaux ou fusils factices, sacs de couchage de l'US Army, bulletins de solde, boussoles, gamelles, téléphones de campagne... « Le plus souvent, des reproductions fabriquées dans les pays de l'Est et en Chine qu'on trouve par centaines sur le Net », précise Louis, un prof d'histoire membre du groupe. Comptez tout de même autour de 300 euros pour des « bottes de saut » flambant neuves. Quand on aime, on ne compte pas.

D'autant que, comme la plupart de leurs coreligionnaires, nos reconstitueurs aiment se couler dans plusieurs rôles. « Suivant les situations, je peux être un soldat, une civile, une infirmière ou une résistante », relate Lucile, une étudiante de 19 ans tombée toute jeune dans la marmite.

Habillée d'une veste ceinturée très années 1940 et de talons hauts, elle cultive l'art du détail. « Je m'enduis souvent les jambes de thé [pour donner l'impression de porter des bas] et je trace un trait au charbon sous les yeux comme le faisaient les femmes pendant la guerre. » « Il nous arrive aussi de cuisiner des soupes d'ortie ou des ratas [ragoûts] pour être au plus proche de la réalité de l'époque », abonde Valérie, fringante quinquagénaire, à ses côtés.

Reconstitution à Pontivy

Reproduction d'un panneau municipal avec impacts de balles, sur la N13 à Sainte Mère-Église (Manche), symbole du jour J. © LTD / JEAN MARC DAVID/SIPA

Si d'aucuns goûtent peu ces mises en scène plus ou moins bellicistes, celles-ci rencontrent néanmoins un large public, comme le constate la directrice de l'office du tourisme de la baie du Cotentin. « Il y a toujours foule aux reconstitutions ; sans elles, les célébrations du Débarquement n'auraient pas tout à fait la même saveur », fait valoir Aurélie Renou, pour qui « c'est une immersion idéale pour les enfants ou les ados que les musées rebutent ». Les bataillons de reconstitueurs s'étant étoffés ces dernières années sous l'effet du succès de jeux vidéo comme Call of Duty ou de séries comme Band of Brothers (produite par Tom Hanks et Steven Spielberg), plusieurs musées se sont d'ailleurs pris au jeu. Ainsi, l'Airborne Museum de Sainte-Mère-Église pilote au cordeau l'une des plus grandes reconstitutions d'Europe : le camp Geronimo. Son conservateur va jusqu'à sélectionner personnellement les groupes invités.

« Des émotions fortes »

Cette année, il a mis les petits plats dans les grands en conviant 250 participants et 120 véhicules. Outre les scènes de bataille, les visiteurs pourront se plonger dans l'atmosphère d'une salle de cinéma, d'une infirmerie, d'un poste de transmission radio ou d'une cuisine de campagne US. Ils pourront même assister à une démonstration de messe donnée par des (faux) aumôniers comme il s'en tenait avant chaque opération militaire américaine. De l'histoire gadget ? Pas si sûr, à écouter Franck Feuardent, propriétaire du musée mémorial privé de la ravine sanglante (Bloody Gulch) à Méautis dans la Manche, lui aussi organisateur d'un camp. « Pour peu que l'on tempère la testostérone, les reconstitutions suscitent souvent des émotions fortes qui, en fait, secrètent un message de paix. » Un aide-mémoire, en somme.

Carnet d'adresses

Location de vélos

Deux solutions : location pure chez LocvelO à partir de 15 euros par jour ; journée à vélo électrique à partir de 85 euros avec Échappée normande, 45 kilomètres sur la Scenic Route 1944 -Gold et Omaha Beach, batterie allemande de Longues-sur-Mer (photo), cimetière américain, pointe du Hoc...-, retour en navette.

Rue d'Audrieu / chemin de la Croix-Thoy
Tél.: 0646343721 / 0970669351.
↑Reproduction d'un panneau municipal avec impacts de balles,
sur la N13 à Sainte Mère-Église (Manche), symbole du jour J.

Le Lion d'Or
Au lendemain du Débarquement, on y croisait Robert Capa et Ernest Hemingway. Son bar, grand ouvert aux non-clients de l'hôtel, est désormais le QG des participants du prix des correspondants de guerre, créé en 1994 à Bayeux. On s'y pose dans les fauteuils club en cuir dans une ambiance très D-Day, au milieu des photos des personnalités passées là : Eisenhower, l'équipe du film Le Jour le plus long, Steven Spielberg... Double à partir de 177 euros, déjeuner du marché à partir de 19,90euros.

71, rue Saint-Jean, Bayeux (Calvados). Tél.: 0231920690.
liondor-bayeux.fr

La Table du Terroir

Ce restaurant traditionnel compte parmi ses habitués David Hockney, installé depuis 2019 dans le pays d'Auge voisin. L'artiste, qui a déployé sa fresque A Year in Normandie face à la tapisserie l'an dernier - exposition qui a entraîné une hausse de fréquentation de 13% en 2023 -, s'y régale de rognons de veau et de frites (18,80 euros).

42, rue Saint-Jean. Tél.: 0231922733.

L'Angle Saint-Laurent

L'une des nombreuses bonnes tables de la ville, où le célèbre cochon de Bayeux est revisité avec créativité. Menu à 39euros.

4, rue des Bouchers. langlesaintlaurent.com

L'Alchimie

Les saveurs du terroir y sont pimentées d'une touche d'exotisme dans une bonne alchimie. Menu entre 23 et 45 euros.

49, rue Saint-Jean. Tél.: 0214080397.

La Pâtisserie de Guillaume (l'une des fameuses pâtisseries de Bayeux...)

Ce salon de thé abrite une agréable terrasse à l'écart de la foule, entre les toits de Bayeux. Délicieux gâteaux et petites vaches en chocolat en clin d'œil à la Normandie
(10,80 euros l'étui de sept).

20, rue Saint-Martin. Tél. 0950885616.
patisserie-guillaume.fr

Brocante de Jolies Choses

Anglaise, Patricia Cowling expose de la porcelaine Wedgwood chinée outre-Manche et des munitions exhumées par les détecteurs de métaux sur les plages
du Débarquement (5 euros). Fermé le dimanche.

7bis, rue Larcher. Tél. 0231222363.

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