Une ambition collective pour les médias européens (Jean-Paul Philippot, RTBF)

OPINION. En amont des Rencontres internationales des médias qui se tiennent à Marseille le 4 juillet à l'initiative de CMA Média, le patron de la RTBF analyse pour la Tribune les défis que les les médias publics et privés doivent relever pour faire face au pouvoir des plateformes. Par Jean-Paul Philippot, administrateur général de la RTBF
Jean-Paul Philippot
Jean-Paul Philippot (Crédits : DR)

Le débat public, la fracture sociétale, les stéréotypes culturels nous rappellent combien les médias sont et doivent rester des piliers de la démocratie et du modèle européen. Un modèle qui promeut l'information indépendante, pluraliste et rigoureuse, qui soutient la diversité culturelle et qui garantit le rayonnement de la création et des talents locaux.

En France, les Industries Culturelles & Créatives (ICC) représentent plus de 90 milliards d'euros de chiffre d'affaires et plus de 640.000 emplois, une véritable chaine de valeur économique et sociétale. Mais ce constat n'est pas sans paradoxe, car si l'offre de contenus audiovisuels est devenue illimitée, elle n'a jamais été si fragmentée. Si le secteur n'a jamais généré autant de richesse, il accélère la précarité des créateurs et des journalistes.

Médias locaux et l'économie de l'attention

Dans un monde où l'offre de contenu est surabondante, l'attention des consommateurs est devenue une ressource rare et précieuse. Les entreprises de médias, qu'elles soient publiques ou privées, doivent désormais rivaliser pour capter l'attention des publics. Les acteurs médiatiques opèrent dans un nouveau modèle, fondé sur la qualité du contact avec le citoyen. Dans la chaine de distribution du contenu, le dernier maillon devient essentiel car c'est lui qui endosse le rôle de prescripteur.

Aujourd'hui, il s'agit de créer des expériences distinctes et engageantes ; mais surtout d'établir un lien de confiance et de proximité. Cela implique une compréhension approfondie des besoins et des préférences des citoyennes et citoyens, ainsi qu'une capacité à informer et raconter des histoires qui résonnent avec leur vécu quotidien. Les médias publics, en particulier, ont un rôle crucial à jouer. Ils doivent garantir un accès, pour toutes et tous, à une information indépendante et pluraliste, et rassembler autour de moments d'émotion collective, tout en veillant à préserver de l'espace pour la création et des contenus à plus faible audience. Leur mission de service public leur confère une responsabilité particulière dans l'animation du débat démocratique, le soutien des créateurs et des cultures locales.

Médias locaux et l'économie de la donnée

L'arrivée d'internet a bouleversé les codes et sa non-régulation a permis l'émergence des plateformes internationales qui n'obéissent pas au cadre régulatoire des médias locaux. Ces plateformes ont mis en place des modèles économiques extrêmement efficaces pour monétiser l'attention. Elles captent ainsi une part considérable des revenus publicitaires, laissant les médias traditionnels avec des ressources limitées pour produire du contenu de qualité. Pour contrer cette tendance, les médias doivent explorer de nouveaux modèles de revenus. En valorisant leur proximité avec le public et leur connaissance des spécificités locales, les médias peuvent proposer des offres uniques que les grandes plateformes ne peuvent pas égaler. Ils peuvent ainsi contribuer à l'émergence d'une économie nationale des données.

L'Intelligence Artificielle va, elle aussi, venir renverser l'échiquier sur lequel se joue la bataille de l'attention. Les moteurs de recherche ne vont plus recommander mais apporter des réponses. Avec l'IA, le rapport au réel se modifie, l'auteur et le créateur risquent de devenir invisibles.

La collaboration pour construire une nécessaire souveraineté numérique

Face à l'accélération des transformations, le média doit affirmer son rôle de vecteur de reconnaissance et de sens, de curateur, d'ambassadeur des cultures et de la création et affirmer son rôle d'acteur économique dans l'écosystème local. Au niveau national, il est puissant car il touche tous les publics par le biais de ses offres linéaires et non-linéaires, et il est le premier investisseur dans la production et la création locale. Mais si on dézoome, il est tout petit au niveau global, en termes de gestion de données, de développement technologique, et de moyens financiers.

Pour réussir, nous n'avons pas d'autre choix que de construire notre souveraineté numérique. La collaboration est la seule option possible et viable. Les budgets dont nous disposons chacun séparément et même tous ensemble ne seront jamais à la hauteur des sommes investies par les plateformes. Il est impératif de créer des synergies autour de projets technologiques, dans la gestion éthique et responsables des données pour continuer d'être des ambassadeurs de confiance, connectés aux réalités locales. Il est impératif de garder le pouvoir d'émerveillement collectif par le partage de contenus rassembleurs, qu'ils soient patrimoniaux, culturels ou sportifs, ancrés dans des valeurs de liberté, d'émancipation, de pluralisme et en faveur du vivre ensemble.

En défendant notre souveraineté numérique et en favorisant la collaboration entre acteurs locaux, nous donnons un futur à l'information de qualité et à la diversité culturelle, au cœur du modèle européen et de la prospérité économique.

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Commentaires 2
à écrit le 29/06/2024 à 17:20
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Bonjour, bon dire que depuis bien longtemps les médias ne sont que la voix de leur maître... Donc ils est peut probable que au niveau européen que les choses ne changent... Manipulation, désinformation sont aussi l'œuvre des médias nationaux... Bie...

à écrit le 29/06/2024 à 10:26
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C'est vrai qu'un fil à couper le beurre permettrait de couper du beurre ! Inventons le fil à couper le beurre ! LOL ! ^^

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