Taux d'intérêt français  : « même pas mal  ! »

OPINION. Les taux d'intérêt à 10 ans français se retrouvent presque aux mêmes niveaux qu'à la veille des élections européennes, proches de 3,1%. Comme si de rien n'était. Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov & Bartleby
(Crédits : Sarah Meyssonnier)

La dette ne fait plus recette. Jadis ce film à gros budget surfait savamment sur les thèmes de l'effroi ou de la catastrophe, tisonnant les sens d'un investisseur en quête de sensations fortes. Ainsi, quand la dette menaçait de s'envoler, le taux d'intérêt suivait. Mais tout cela est terminé. La dette hésite désormais entre la série B ou le Blockbuster raté, et l'investisseur bâille. Désormais quand la dette menace de s'envoler, le taux d'intérêt menace de ne rien faire.

La preuve en direct. Le taux d'intérêt à 10 ans français se retrouve à près de 3,1 %, presque au même niveau qu'au moment où les hostilités politiques ont commencé. C'était au soir du 9 juin, résultats des élections européennes, suivis de l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale française, puis les résultats du 1er tour, et enfin du 2e tour, jusqu'à aujourd'hui où l'on cherche encore « où est Charlie » parmi les 1ers ministres possibles. Tous ces moments étaient chacun susceptible de provoquer quelques tensions sur les  taux français. Des remous il en eut, mais sur d'autres actifs que celui de la dette souveraine française, comme le taux d'intérêt allemand ou les actions européennes par exemple. Le taux français lui restait relativement passif, silencieux.

Pourtant l'investisseur n'est pas un muet du sérail. Quand il a quelque chose à dire, il l'achète ou le vend. A priori, s'il juge qu'un politique dans l'exercice du pouvoir est pris en flagrant délit de prévarication dans l'évaluation de son déficit budgétaire, il lui fait savoir en exigeant un rendement plus élevé pour accepter de financer sa dette « à l'erreur de calcul près ». De même, s'il juge qu'un roi thaumaturge ou Mario le magicien sont aux portes du pouvoir, et s'apprêtent à faire bombance en puisant les caisses vides de l'État, alors il exigera aussi un rendement plus élevé pour accepter de financer les promesses qui ne seront pas tenues. Or, puisque l'investisseur n'a pas révisé à la hausse ses exigences en termes de rendement, on en déduit fort logiquement (contraposée) qu'il n'a pas jugé crédibles ou nuisibles les scénarios à risque relevés.

Pourtant, les scénaristes y avaient mis les moyens. Ainsi on ne résiste pas à rappeler ces râles de douleur d'experts, de cris d'orfraie en gorge serrée, nous montrant du doigt l'envolée de la prime de risque française sur la dette. Mais omettant curieusement d'expliquer que si la prime s'est envolée, on le doit bien davantage à la baisse du taux allemand qu'à la hausse du taux français. Pourquoi, comment ? On s'en moque. Il ne s'agit pas de raisonner les faits, juste de les reconnaitre. Il est indéniable que la prime de risque française sur la dette, c'est-à-dire le différentiel entre le taux français et le taux allemand, est un peu plus haute aujourd'hui qu'avant la crise. Mais il est surtout indiscutable que le coût de la dette française n'a pas changé depuis, puisque le taux français se retrouve pratiquement au même niveau qu'avant la crise, 3,1 %. Manifestement, l'investisseur n'a pas cru aux scénarios extrêmes, ou plutôt aux conséquences financières des scénarios extrêmes en termes de dette, à tort ou à raison.

Taux mytho ou taux tautologique ?

Certains pourraient penser que le taux se trompe, qu'il n'a pas compris les enjeux, voire qu'il nous ment. Le vrai taux devrait être bien plus haut, plus haut que le faux taux que nous renvoie le marché... Pourquoi pas, mais ce n'est pas l'hypothèse la plus vraisemblable. Car le plus souvent, le taux n'est qu'un écho, pas toujours très précis, mais suffisamment bête et discipliné pour répéter le réel. Si le taux ne renvoie aucun écho, c'est qu'il ne s'est rien produit. En fait, le taux ne sert à rien, n'apprend rien. Le taux est tautologique, un genre de pléonasme. Le taux ne fait que dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Le taux montre du doigt ce que tout le monde voit déjà.

Et c'est cela qui devient très troublant pour notre affaire. Car tout le monde voit bien que la dette est trop élevée et risque de le devenir plus encore. Alors pourquoi le taux ne dit-il pas cela ?

Peut-être parce que le taux n'a plus rien à nous dire. Il est devenu un taux « sans intérêt », qui ne raconte même plus le réel, mais celui fantasmé par les marchés, ou défiguré par les Banques centrales. Peut-être ne faut-il plus écouter le taux nous dire ce que l'on sait déjà. D'ailleurs, le taux n'est qu'une expression parmi tant d'autres de la dette. Une autre expression est par exemple la quantité de Prozac du débiteur, ou le degré de cécité du créancier. En vérité, le ratio de dette sur PIB agite un chiffon qui doit seul suffire à l'effroi, nul besoin d'y ajouter le prix du chiffon.

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