Présidence française de l'UE : réaffirmer la souveraineté européenne

OPINION. Il faut repenser les conditions d'une nécessaire souveraineté européenne. Il ne s'agit pas d'un retour au protectionnisme mais de faire valoir les atouts de l'Union des pays européens dans la compétition internationale. Par Pierre Goguet, Président de CCI France et et Vice-Président d’Eurochambres .
Pierre Goguet, Président de CCI France et et Vice-Président d’Eurochambres.
Pierre Goguet, Président de CCI France et et Vice-Président d’Eurochambres. (Crédits : DR)

Le Président de la République vient de donner les priorités pour la Présidence française de l'Union européenne (UE) autour des trois piliers : relance économique, puissance face aux enjeux géopolitiques actuels et une « appartenance » à raviver, tant pour les Français eux-mêmes que pour certains de nos partenaires tentés par le repli. Le « fil rouge » entre ces trois notions ? Le besoin d'affirmer une forme de souveraineté pour l'Union. La question est clairement posée : comment, dans le cadre d'une concurrence internationale exacerbée et dans un monde où le risque est une donnée permanente, affirmer le poids de la France et de l'UE, de nos modèles démocratiques économiques et sociaux, comment faire respecter nos normes les plus élevées tout en affirmant l'Union européenne comme un partenaire ouvert mais solide ?

Nouvelle solidarité européenne

Il faut coopérer étroitement et faire front commun, c'est cela la souveraineté européenne. Nos amis allemands ne s'y sont pas trompés en affirmant très clairement dans leur accord de coalition le besoin d'une « souveraineté stratégique de l'Europe »... et ce 18 mois à peine après avoir accepté de recourir au grand emprunt pour financer la relance. De fait, une nouvelle solidarité européenne s'est créée. L'Europe doit prendre le virage de l'investissement massif, au moins pour se hisser au niveau de ses grands concurrents, et surtout éviter le risque de décrochage au niveau mondial.

Les recommandations qui remontent de la semaine européenne des CCI, que nous avons organisée en mai dernier pour préparer la Présidence française, se retrouvent pour une bonne partie dans les priorités économiques annoncées par l'Elysée. Les entreprises sont en demande d'une Europe forte et visible, avec une souveraineté réaffirmée dans de nombreux domaines qui les touchent au quotidien.

Souveraineté industrielle : les CCI partagent la nécessité de développer les alliances industrielles (dans le cloud, les données industrielles, les lanceurs spatiaux...) à l'instar de ce qui existe pour les batteries ou l'hydrogène pour mettre les énergies en commun. Pour rendre les choses plus concrètes, il faudra montrer les avancées et dépasser certaines règles de concurrence pour continuer à avancer. En accompagnement, il sera essentiel d'accélérer la production de normes et standards européens pour l'ensemble des technologies de rupture et des nouvelles filières européennes, en tant que référentiels communs au sein du marché unique, mais également en tant qu'enjeux stratégiques dans la concurrence mondiale (par ex. : unité de mesure pour l'hydrogène).

Souveraineté à l'international : rétablir les équilibres nécessite d'affirmer une Europe forte et engagée dans le domaine international, en imposant nos normes d'un point de vue environnemental et concurrentiel. On sait par exemple que l'UE est plutôt « pionnière » au niveau mondial sur les questions relatives aux déclarations non financières ou au devoir de vigilance, avec des standards très élevés. L'un des enjeux sera d'arriver à imposer un référentiel européen dans ces domaines plutôt que de devoir utiliser des standards de pays tiers, américains ou chinois.

Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières

En matière de lutte contre le changement climatique, l'UE devra trouver le bon niveau de compensation à l'international, avec le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Emmanuel Macron en fait une priorité. Les négociations seront certainement difficiles, mais l'enjeu est vraiment de maintenir en Europe une industrie de haut niveau et compétitive à l'échelle internationale.

Souveraineté à nos frontières : au-delà des équilibres de concurrence, un autre sujet de préoccupation est celui des disparités encore trop grandes dans l'équivalence des contrôles en douane effectués aux frontières externes de l'Union. Faute de compétence véritablement communautaire en matière douanière, les distorsions de concurrence peuvent être importantes : il est primordial de reprendre cette question entre les Etats membres.

Souveraineté sur les sources d'approvisionnement : les prix des matières premières ont fortement augmenté, ce qui représente des pertes sèches importantes pour les entreprises européennes. Dans ces conditions, l'UE doit impérativement reprendre la main sur ses sources d'approvisionnement (dépendances/vulnérabilités des réseaux) et sur ses chaînes de valeur hors UE. C'est une priorité aussi bien économique que géopolitique.

Souveraineté financière :  si l'on veut parler d'autonomie industrielle et stratégique, les entreprises européennes de croissance devront rapidement pouvoir trouver leurs ressources sur les marchés financiers européens, et non pas à l'extérieur. Drainer l'épargne européenne vers les entreprises de croissance ou augmenter le capital de la Banque européenne d'Investissement (BEI) sont des demandes portées par les CCI. L'UE doit par ailleurs accentuer ses efforts sur la mise en marché des résultats de la R&D. Des ingénieries financières nouvelles devront être mises en place, notamment pour les technologies disruptives (santé, numérique, énergie...), pour lesquelles les temps de retour sur investissements sont beaucoup plus longs que pour les technologies classiques, ce que les capital-risqueurs européens ont actuellement du mal à accepter. Or il faut absolument trouver des solutions face à la puissance de mécanismes comme l'equity américaine.

Finaliser le « Digital Services Act » et le « Digital Market Act »

Souveraineté numérique : en matière de transition numérique, l'objectif est de finaliser le « Digital Services Act » et le « Digital Market Act » sous Présidence française. Ce sont effectivement des projets importants, qui pourront aider à lever certaines ambiguïtés et à réguler la concurrence dans le domaine du e-commerce, en rétablissant les équilibres face aux positions monopolistiques des GAFAM. La cybersécurité, qui est devenue un théâtre de conflit majeur au niveau international, et la sécurité de nos réseaux de distribution d'énergie informatisés sont d'autres enjeux essentiels à traiter en priorité.

Développer une Europe des compétences communes : l'investissement dans le capital humain pour adapter les compétences aux mutations est l'un des principaux piliers de la relance. Pour réussir, il faudra effectivement rapidement traduire les nouveaux enjeux en termes de croissance économique et de compétitivité, certes à construire sur des modèles différents, mais porteurs de développement et de créations d'emplois : rénovation énergétique des bâtiments, numérique, sciences des données, nouvelles filières : hydrogène, économie circulaire, méthanisation, services... Des référentiels européens communs sont à construire pour assurer la mobilité européenne pour tous ces nouveaux métiers. Ce sont là d'autres sujets majeurs pour la Présidence française, comme pour la Convention sur l'avenir de l'Europe, si l'on veut faire partager le projet européen à l'ensemble de nos concitoyens.

On le comprend bien, l'actuel succès du thème de souveraineté européenne n'est pas un retour au protectionnisme. C'est tout à la fois une question de « level playing field » et d'affirmation d'une Europe ouverte sur le monde mais déterminée. Il reste bien sûr des obstacles à franchir, mais l'Union européenne a montré qu'elle savait réagir et dépasser les dogmes quand il y a nécessité d'avancer.

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Commentaires 7
à écrit le 14/12/2021 à 7:11
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L'europe ne compte en rien. A la remorque des USA. Sa monnaie se deprecie de jour en jour. Son influence est celle d'un renard dans un poulailler. Incapable de parler au nom des 27. Ce machin va disparaitre ce qui est dans l'ordre des choses.

à écrit le 13/12/2021 à 12:40
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Le premier devoir d’un état est de se défendre. L’UE n’en est pas capable. Seul les états sont souverains. L’UE n’a pas la volonté de se défendre.

à écrit le 12/12/2021 à 19:17
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Cet article enfonce beaucoup de portes ouvertes. Si ces plans peuvent se réaliser, surtout ce qui concerne la souveraineté industrielle, tant mieux. l'UE en a la possibilité. La volonté, moins sûr. Mais un tel article serait surtout beaucoup plus cré...

à écrit le 12/12/2021 à 19:02
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Croire qu'une passoire a tout et pour tout est un souverainisme, parce que l'on le décrète, n'est qu'une pure fiction!

à écrit le 12/12/2021 à 15:15
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"Il ne s'agit pas d'un retour au protectionnisme" Ben c'est mort alors. La vache j'espère qu'on vous donne des sous pour diffuser cela, l'UE en a beaucoup pour faire du vent de la sorte, sa spécialité.

le 12/12/2021 à 15:40
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a la botte des usa et de la chine

le 13/12/2021 à 8:06
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Parce que ce sont eux qui ont le pognon.

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