Le devoir moral de la France

Par Michel Santi  |   |  628  mots
(Crédits : Lisi Niesner)
OPINION. Le keynésianisme est assimilé à une tare intellectuelle, ses adeptes considérés comme membre d'une secte en quête de confiscation des biens par un Etat nécessairement tentaculaire. Regrettable posture car il fut un temps où la société admettait l'intervention de l'Etat pour réguler les fondamentaux - et souvent les excès - des acteurs économiques. Par Michel Santi, économiste (*).

Préférons-nous livrer nos vies et celles des plus vulnérables en pâture à la brutalité froide des marchés financiers qui, au bord du précipice comme lors des multiples crises précédentes, se convertissent au keynésianisme, font appel aux pouvoirs, aux fonds publics pour les sauver, puis les considérant avec effroi et dédain dès qu'ils n'en ont plus besoin ?

Nos sociétés ont atteint aujourd'hui un tel degré de décadence qu'elles en viennent à déléguer au secteur financier leurs devoirs les plus élémentaires vis-à-vis de citoyens dans la détresse. Voilà par exemple Goldman Sachs qui a investi plusieurs millions de dollars dans les prisons dans l'État de New York, avec les perspectives suivantes : récupérer sa mise si la récidive baisse de 10 %, la doubler si ce taux s'améliore, perdre la moitié de sa mise si la criminalité ne s'améliorait pas à New York !

Et pourtant, la quasi-totalité des économistes, de la presse et des dirigeants européens restent persuadés que le keynésianisme est une sorte de collectivisme.

Vos politiciens vous ont-ils expliqué que la politique monétaire (c'est-à-dire la Banque Centrale) et la politique fiscale/ budgétaire sont toutes deux des facteurs de stabilisation de l'économie ? Le savent-ils seulement... ?

En toute circonstance, l'objectif des néo-keynésiens est de réduire les risques et de préserver la confiance :

  • sans remettre en question la structure de l'édifice économique et social,
  • sans redistribuer de manière confiscatoire,
  • sans réguler plus que de raison.

Mais en faisant usage du levier des taux d'intérêt de la Banque Centrale, en les remontant afin de ralentir l'économie pour lui éviter la surchauffe et vice-versa. La banque centrale autorise en effet, avec sa politique monétaire, de juguler les récessions et d'éviter - précisément - que l'État ne s'implique outre mesure.

Le néo-keynésianisme est une alternative à un État qui se verrait contraint d'exercer sur l'économie une emprise envahissante. Il permet à un État endetté de souffler, en attendant que sa Banque Centrale puisse relancer l'économie grâce à sa politique monétaire qui peut faire des miracles. Ceux qui en douteraient n'ont qu'à s'intéresser à l'activisme de la Réserve fédérale américaine à laquelle l'économie de ce pays doit une part substantielle de son dynamisme.

La France ne devrait pas céder à l'obsession, souvent au chantage, du chiffre. La France doit apprivoiser ses déficits publics, car nos gouvernants ont une obligation morale de relancer - et pour de bon - croissance, pouvoir d'achat, emploi.

Notre système a besoin d'une refondation en profondeur, car nous devons collectivement repenser l'action et la dépense publiques, le rôle des impôts, des taxes, la finalité de l'argent. La France dispose de tous les atouts pour convaincre ses partenaires européens de suivre une autre voie.

Le soulagement d'une population meurtrie, la précarité et le rétablissement de l'emploi ne valent-ils pas un déficit ?

Dès les années 1930, Keynes suggérait aux États d'enrayer la crise, de mettre de l'huile dans les rouages, en employant les chômeurs à creuser des trous pour y enterrer des billets de banque... Il ne fut pas écouté et la Grande Dépression ne fut vaincue que grâce à la Seconde Guerre mondiale.

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
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