Cannes 2024 : calomniez, calomniez...

Par Bruno Jeudy  |   |  547  mots
Bruno Jeudy. (Crédits : DR)
ÉDITO - Retrouvez l'éditorial de Bruno Jeudy, directeur délégué de La Tribune Dimanche.

Comme toujours maintenant, tout est parti des réseaux sociaux. Souvent des mêmes comptes. De la même plateforme. Depuis une semaine, des tweets alimentent la rumeur de Cannes, ciblant sans preuve de célèbres stars du cinéma tricolore. Cette folle rumeur est devenue, par l'intermédiaire d'un article paru dans la presse et d'un talk-show sur une chaîne de télévision, le poison de cette 77e édition qui déploiera son tapis rouge à partir de mardi. Un poison qui s'apparente à de la calomnie.

Ce n'est pas la première fois que Cannes traverse une zone de turbulences. En 2018, le Festival se remet difficilement du scandale Weinstein, nom du puissant producteur de Hollywood mis en cause quelques mois plus tôt par l'actrice Alyssa Milano, qui popularise le hashtag MeToo. Plusieurs stars seront ensuite rattrapées par leur passé de harceleur et/ou d'agresseur. Mais entre affaires avérées, accusations infondées et rumeurs, les frontières se croisent et obscurcissent la vérité. Avec la diffusion en ligne d'une liste de dix acteurs prétendument accusés de violences sexuelles, cela tourne à un insupportable maccarthysme numérique. C'est le ball-trap sur X (ex-Twitter). La réputation de vedettes masculines est gravement mise en cause sans qu'elles puissent se défendre. Un préjudice énorme pour eux mais aussi - et c'est tout le paradoxe - le risque de desservir la juste cause des féministes, le combat des victimes pour obtenir réparation et le travail des authentiques journalistes d'investigation.

Face à un tel délire, les autorités politiques semblent sans solution. Les actuels ministres de la Culture et de la Justice - eux-mêmes souvent cibles des réseaux sociaux - s'en remettent à la justice. Rachida Dati réclame la « sanctuarisation » de la parole des femmes et que la présomption d'innocence ne se transforme pas en présomption de culpabilité. Sages paroles, mais pour quelle efficacité face à la puissance d'un réseau social planétaire qui broie des réputations en un tweet vu par 12 millions de personnes!

Rien n'entraîne de plus grands malheurs que de se confronter à la rumeur publique - « La rumeur approche, l'écho la redit », écrivait Victor Hugo. D'aucuns diront que pour les acteurs et les réalisateurs, ce sont les risques du métier. Si certains acteurs se sont mal comportés, doit-on pour autant jeter l'opprobre sur tous ? On ne répare pas une injustice par une injustice, une faute par une faute. Profiter du Festival de Cannes pour répandre le scandale et s'ériger en censeur ne peut que désoler. Cannes doit rester une tribune sur le monde où l'on exalte la passion et le rêve et non devenir le tribunal de l'immonde qui ne se fonde que sur des racontars. Puissent le fameux tapis rouge et les célèbres marches rester une élévation vers la réflexion et l'imaginaire plutôt que le prétexte à la contemplation des déchéances et de nos illusions perdues de spectateurs.

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