La responsabilité sociale de l'entreprise : l'enfer est-il pavé de bonnes intentions ?

Il est à craindre qu'avec l'objet social de l'entreprise, l'on n'aboutisse à un résultat comparable à celui auquel a abouti le principe de précaution en 2003 : des intentions louables, qui débouchent sur une catastrophe économique et juridique. Par Les Arvernes(*).
Nicole Notat et Jean Dominique Sénart, auteurs du rapport « L'entreprise, objet d'intérêt collectif ».
Nicole Notat et Jean Dominique Sénart, auteurs du rapport « L'entreprise, objet d'intérêt collectif ». (Crédits : DR)

Le 9 mars 2018, Nicole Notat et Jean Dominique Sénart ont présenté leur rapport « L'entreprise, objet d'intérêt collectif ». La première des recommandations de ce rapport, sans doute sa mesure cardinale est la suivante : ajouter un second alinéa à l'article 1833 du Code civil : « [...] La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. » Il s'agit de donner ses lettres de noblesse à la « responsabilité sociale de l'entreprise » (RSE).

Disons-le tout net : cette initiative appelle de prime abord les plus grandes réserves. D'abord, parce que la multiplication des « grands lois » de modernisation de l'économie française, au cours des années récentes, s'est plus traduite par une complexification d'un cadre juridique et fiscal qui étouffe les entreprises que par des progrès substantiels.

Ensuite, parce que ce type d'initiative, avec la grandiloquence qu'il recèle, n'est pas sans rappeler le lyrisme qui a inspiré en leur temps la Charte pour l'environnement (sous le président Chirac) ou le discours de Toulon de 2008 de Nicolas Sarkozy (et ses anathèmes restés lettres mortes portant sur la « moralisation du capitalisme »).

Une réforme du Code civil envisagée clairement inopportune

Est-ce à dire que cette proposition doive-être rejetée sans prendre la peine de l'examiner ? Sans doute pas. Elle appelle quelques réflexions.

Au plan des principes, remarquons d'abord que la RSE n'est en rien contradictoire avec l'idée que l'on peut se faire d'une entreprise moderne, bien insérée dans son écosystème. A cet égard, il faut remarquer que cette notion rejoint pour partie la notion anglo-saxonne bien établie de « stakeholders ». Qu'il soit permis également de rappeler que quantité d'entreprises, sans nécessairement brandir en étendard leurs réalisations, donnent chaque jour par leur comportement corps à l'idée pas si nouvelle d' « entreprises citoyennes ».

Pour autant, la réforme du Code civil envisagée nous semble clairement inopportune.

D'abord, pourquoi faire semblant d'ignorer combien le choix de l'inscription dans le Code civil signifie, de fait, l'addition d'une contrainte nouvelle pour les entreprises ? Considère-t-on l'entreprise avec une méfiance telle qu'il faille par principe exclure que la RSE soit davantage choisie par l'entreprise qu'elle soit imposée par la norme juridique ? Montesquieu, dans sa sagesse, souligne combien « les mœurs font de meilleurs citoyens que les lois » ; il en est de même pour l'entreprise, qui satisfera d'autant mieux aux objectifs de la RSE qu'elle l'aura délibérément choisie.

OSE : la même catastrophe qu'avec le principe de précaution ?

A l'inverse, il est à craindre qu'avec l'objet social de l'entreprise, l'on n'aboutisse à un résultat comparable à celui auquel a abouti le principe de précaution en 2003 : des intentions louables, qui débouchent sur une catastrophe économique et juridique. Car, qu'on le veuille ou non, face à l'envergure des objectifs poursuivis, tout risque de se terminer, comme d'usage, devant un tribunal. En l'espère, alors qu'en matière d'environnement le législateur était intervenu comme médiateur, nous nous trouverions ici dans une situation d'effet direct à invoquer devant un juge, forcément démuni devant un objet social aussi mal défini.

Enfin, il faut s'attarder sur un risque réel de contradiction entre la considération d'objectifs à caractère social (par exemple le maintien dans l'emploi) et l'application des ordonnances qui organisent la réforme du marché du travail. Le risque existe que le juge se trouve en situation de mettre ne place une « théorie du bilan », par laquelle, de fait, il viendrait, en opportunité, s'opposer à certaines décisions, par exemple de restructuration ?

En définitive, la modification du Code civil envisagée a tout de la fausse bonne-idée. Elle part d'une intention louable, mais risque d'aboutir à un casse-tête juridique de plus pour des entreprises françaises déjà en prise avec un fardeau normatif parmi les plus élevés du monde.

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(*) Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, chefs d'entreprise, essayistes, professeurs d'Université. Ce groupe s'est constitué en mai 2012 avec un objectif : être le moteur de la refondation idéologique de la Droite et du Centre.

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Commentaires 3
à écrit le 06/04/2018 à 22:42
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La prise de position des Arvernes est typique du conservatisme français rétrograde et myope qui refuse de voir les avancées sociétales et défend la position ringarde et étroite de Milton Friedman pour lequel le seul but de l'entreprise est de faire l...

à écrit le 31/03/2018 à 13:40
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Il n’y a qu’à relire l’article 1832 du code civile et tout est dit : La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfi...

à écrit le 31/03/2018 à 11:54
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Disons que l'on va retomber dans les dérives classiques à savoir ceux qui auront un gros pôle de protection juridique comme els multinationales pourront faire ce qu'elels veulent, alors que les plus gros pollueurs et les petits eux seront encore plus...

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