L'analyse d'Erik Izraelewicz : l'euro, notre monnaie, leur problème

L'incendie déclenché, il y a dix-huit mois, par la liquidation d'une grande banque américaine, Lehman Brothers, avait failli embraser la planète entière. Il avait fallu, alors, une mobilisation générale impliquant Américains, Asiatiques et Européens - ce furent les G20 en série - pour l'éteindre. On avait là l'illustration que, désormais, nos économies sont hyperdépendantes, qu'une crise dans l'un des quartiers de la planète risquait d'entraîner la planète tout entière. Avec la crise de l'euro, nous sommes en train d'en vivre une nouvelle preuve. L'allumette, cette fois-ci, c'est la dette grecque. Le feu menace : l'Europe réagit, au risque de la récession ; l'euro est attaqué. On a vu, la semaine écoulée, que la perspective combinée d'une dépression de l'Europe et de l'euro n'inquiète pas que les Européens. Les plus inquiets sont peut-être, paradoxalement, les voisins du village, ceux des quartiers plus modernes, les Américains et les Asiatiques - les Chinois tout autant que les Japonais ! Les uns et les autres sont intervenus, chacun à leur manière, pour tenter de calmer le jeu. C'est qu'une dégringolade de l'Europe serait une catastrophe... pour eux aussi. Un risque de blocage des circuits financiersSi Tim Geithner, le secrétaire au Trésor américain, est ainsi passé à Londres, Francfort et Berlin cette semaine, c'est que la cacophonie qui règne en ce moment en Europe inquiète Barack Obama, directement. Le président américain sait que les élections de mi-mandat, en novembre, pour le renouvellement d'une partie du Congrès, seront difficiles pour son parti. Il est d'ores et déjà en baisse sensible dans les sondages. Il a, certes, à son actif un bilan non négligeable : depuis deux ans qu'il est à la Maison-Blanche, il a fait passer sa réforme de la santé - un peu amendée, certes, par rapport à son projet initial. Il a réussi à enclencher un processus de régulation des industries financières. Il s'attaque désormais avec force, face à la marée noire du golfe du Mexique, au lobby pétrolier. Il peut enfin se prévaloir d'un début de sortie de crise, avec une croissance revenue au premier trimestre, mais un taux de chômage toujours très élevé. Dans ces conditions, un krach de l'euro pourrait avoir des conséquences pour lui ; économiques, d'abord, politiques, ensuite. Les circuits financiers internationaux pourraient s'en trouver à nouveau paralysés, comme après la faillite de Lehman Brothers. Les difficultés occasionnées par un effondrement de l'euro sur la zone (une envolée des taux d'intérêt, une montée de l'inflation, un risque accru de défaut de l'un ou l'autre des États de la zone, etc.) pourraient ensuite avoir des effets directs sur l'économie américaine. Avec une monnaie très fortement dévaluée, le pouvoir d'achat de l'Europe s'en trouverait affecté. Les Américains sont donc incontestablement très mobilisés pour éviter que le vieux quartier du village mondial, l'Europe, ne prenne feu.Diversifier et protéger leur patrimoineC'est plus frappant encore du côté des nouvelles puissances asiatiques. Tokyo, Pékin et, dans une moindre mesure, New Delhi n'ont pas manqué, la semaine dernière, de faire connaître leurs préoccupations face au risque d'une dégradation de la situation en Europe. On s'est beaucoup interrogé, à la suite d'un article du « Financial Times », jeudi, sur le jeu chinois à l'égard de l'euro. Il n'est pourtant pas compliqué de comprendre. Les Chinois ne veulent pas d'une dégringolade brutale de la devise européenne, pour trois raisons au moins. 1) La dévaluation de l'euro, c'est une réévaluation du yuan ; elle risque de frapper la compétitivité des produits chinois sur le marché européen. Or celui-ci reste important. Il est même de plus en plus important pour l'industrie chinoise. 2) Les réserves de change de l'empire du Milieu, massives (près de 2.500 milliards de dollars), sont certes libellées, pour l'essentiel, en dollars. Il y en a aussi une part non négligeable en euros (630 milliards, d'après les chiffres qui circulaient la semaine dernière). Une chute de l'euro, ce serait pour la Chine une perte de valeur d'une partie de son patrimoine. 3) Pékin souhaite pouvoir continuer à diversifier les réserves de change du pays, à ne pas dépendre trop exclusivement en la matière des États-Unis, dont la dette pourrait aussi un jour poser problème. Tout cela a-t-il conduit la banque centrale chinoise à intervenir, la semaine dernière, sur le marché des changes pour éviter l'effondrement de l'euro ? Si l'on ne peut jurer d'une intervention directe, on peut penser légitimement que la Chine dispose de moyens indirects pour peser. Le monde est un village. Il y a désormais entre ses différents quartiers de telles interdépendances qu'aucun ne peut se permettre de laisser à l'abandon une communauté en feu. C'est peut-être, aujourd'hui, la chance de l'Europe. Si, dans le quartier où le feu a pris, rien n'est fait pour l'éteindre, le secours des autres restera néanmoins toujours d'une efficacité limitée. C'est bien ce dont on peut s'inquiéter aujourd'hui en constatant l'absence de toute dynamique proeuropéenne dans le plus vieux quartier du monde.
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