« Des aménagements comptables inopportuns et dangereux »

Propos recueillis par Thierry Serrouya Avec la crise de liquidités, la question de la valorisation en valeur de marché (« mark to market ») se pose. Que signifie cette notion??Dans des conditions de marchés illiquides, il est rapidement apparu que l'évaluation de nombreux instruments financiers et, en premier lieu, celle des dérivés de crédits, ne pouvait raisonnablement s'appuyer sur des prix de marchés qui apparaissaient plus comme des valeurs de liquidation que comme des prix reflétant un équilibre entre une offre et une demande. Cette difficulté a conduit tant les normalisateurs comptables que les régulateurs de marchés à rappeler que l'évaluation en juste valeur prônée tant par les normes comptables américaines qu'européennes ne s'assimilait pas toujours à une valeur « mark to market » mais pouvait reposer sur une valeur provenant d'un modèle d'évaluation interne utilisant ou non des paramètres de marchés. Cette approche dite « mark to model » permet de tenir compte soit de difficultés temporaires de valorisation par le marché soit de raisons plus structurelles comme dans le cas de nombreux produits structurés qui sont conçus comme des solutions uniques et propres à chaque client et ne sont donc ni fongibles ni réellement échangeables sur un marché.Pour quelles raisons les régulateurs comptables internationaux ont-ils, dans l'urgence, réformé les normes comptables IAS 39 et IFRS 7??L'IASB (International Accounting Standards Board) a agi sous la pression des gouvernements et surtout de la Commission européenne qui menaçait de suspendre l'application de tout ou partie de la norme IAS 39, qui constitue l'essentiel du dispositif de comptabilité en juste valeur pour les institutions financières qu'il s'agissait de sauver. En effet, ces dernières avaient mis dans leur portefeuille de trading la quasi-totalité des créances titrisées et des produits structurés de crédit afin de réduire le besoin en capital réglementaire en jouant sur le fait que la VaR (« value at risk ») de marché prescrite par le régulateur prudentiel ne tenait pas compte des risques de contrepartie et de liquidité qui constituaient l'essentiel des aléas de ces instruments. La contrepartie « négative » de cet arbitrage réglementaire est que le positionnement dans le portefeuille de trading d'instruments (qui auraient dû normalement être comptabilisés dans le portefeuille d'investissement ou en prêts et créances) conduit aujourd'hui les établissements de crédit à devoir comptabiliser à la juste valeur, dans le compte de résultats, les pertes latentes considérables liées à la forte dégradation du marché du crédit et de l'immobilier. Les amendements aux normes IAS 39 et IFRS 7 permettent aux banques de pouvoir reclasser a posteriori et sur des valeurs de juillet les instruments financiers dans leurs « banking books » et ainsi de réduire les pertes et la volatilité de leurs comptes de résultats.Ces changements vous semblent-ils opportuns??Ils nous paraissent non seulement inopportuns mais surtout dangereux. Inopportuns car au final, si la crise s'aggravait, ils ne pourraient empêcher les établissements financiers de devoir enregistrer des provisions pour dépréciation à caractère durable de ces actifs reclassés. Par ailleurs, le retour à une comptabilité en coût historique est de nature, comme ce fut le cas lors de la crise bancaire japonaise des années 90, à ralentir l'apurement des pertes, la recapitalisation des établissements et la reconnaissance rapide du redressement des marchés. Dangereux, car la modification des règles d'information financière est de nature à augmenter la défiance des investisseurs vis-à-vis des comptes publiés et de ce fait, aggravera la crise de confiance qui est à l'origine de la crise financière que nous subissons. Enfin, il n'est jamais bon que les régulateurs sauvent les acteurs qui ont contourné les règles prudentielles. La réforme des normes IAS 39 et IFRS 7 ressemble à un nouveau précepte de « too many to fail » encore plus dangereux pour la crédibilité de la régulation que le « too big to fail » et qui conduira les acteurs à prendre tous en même temps des risques exagérés.Quels sont les impacts sur l'industrie de la gestion d'actifs??Les gérants, tout comme les investisseurs institutionnels, sont assez circonspects vis-à-vis d'une réforme effectuée sans réelle concertation. Il est clair qu'en tant qu'utilisateurs des comptes publiés, ils souhaitent pouvoir disposer d'une information financière précise, claire et la moins manipulable possible. De leur point de vue, les amendements aux normes IAS 39 et IFRS 7 ne vont pas dans ce sens. Nous venons de réaliser une enquête auprès de plus de 800 professionnels sur la perception de ces changements. Ses résultats sont sans équivoque, une très grande majorité des acteurs sondés considère que l'initiative de l'IASB pose plus de problèmes qu'elle n'en résout. Surtout, elle ne leur apparaît pas de nature à redonner confiance aux marchés alors qu'il s'agit, aujourd'hui, du principal problème auquel est confrontée l'industrie de la gestion et de l'investissement. nNoël Amenc, directeur de l'edhec risk & asset management research centreNoël Amenc revient sur les dernières modifications des normes comptables prises en urgence et sans réelle concertation avec les professionnels.
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