Vanessa Hudson (DG de Qantas) : « Nous avons réussi à redresser la barre »

ENTRETIEN. Qantas est de retour en France après 20 ans d'absence. La compagnie nationale australienne a ouvert un vol direct entre Perth et Paris, cette semaine, en Boeing 787. L'occasion de rencontrer Vanessa Hudson en exclusivité, la première femme à devenir directrice générale de Qantas, après le départ précipité d'Alan Joyce l'an dernier, dans un contexte compliqué.
Léo Barnier
Vanessa Hudson a pris la tête de Qantas en septembre 2023.
Vanessa Hudson a pris la tête de Qantas en septembre 2023. (Crédits : Qantas)

LA TRIBUNE - Vous avez succédé à Alan Joyce, dirigeant emblématique de Qantas pendant 20 ans, il y a bientôt un an dans un contexte compliqué. Comment s'est passée la transition ? Quelles ont été vos priorités ?

VANESSA HUDSON - J'ai effectivement pris mes fonctions de PDG en septembre 2023 après le départ prématuré d'Alan Joyce. Pendant cette transition, je me suis concentrée sur quelques priorités. Tout d'abord, il s'agissait de mettre clairement l'accent sur la satisfaction de nos clients qui n'était pas bonne au moment où j'ai pris mes fonctions. La compagnie sortait tout juste du Covid avec des opérations très perturbées. Au cours de cette période de redressement, la ponctualité et la livraison des bagages étaient médiocres, mais la demande était très forte et les tarifs aériens très élevés.

Nous sommes en train d'instaurer une culture centrée sur le client et basée sur l'amélioration continue. En 2023, nous avons investi 230 millions de dollars australiens (142 millions d'euros) rien que pour l'expérience client. Ce qui est substantiel au vu de notre bénéfice de 2,4 milliards de dollars australiens avant impôts.

Nous nous sommes concentrés sur quatre axes clefs, à commencer par l'amélioration de nos performances en matière de ponctualité. Nous avons réussi à redresser la barre en l'espace de 4 à 6 mois et à retrouver le niveau de ponctualité d'avant Covid. Nous avons ramené le temps d'attente dans les centres d'appels aux standards d'avant la crise. Et la livraison des bagages n'a jamais été aussi performante depuis cinq ans. Il était très important pour nos clients, mais aussi pour nos employés de veiller à ce que la compagnie aérienne retrouve ce niveau de performance.

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Avez-vous encore des domaines où les performances ne sont pas encore revenues au niveau pré-Covid ?

Nous savons qu'il y aura toujours des choses qui échapperont à notre contrôle, comme les problèmes de ressources du contrôle aérien en Australie, dont nous subissons régulièrement les conséquences, ou encore un impact beaucoup plus important des événements météorologiques depuis un an. Et cela m'amène au deuxième domaine dans lequel nous investissons beaucoup d'argent, à savoir nos canaux numériques et nos équipes de première ligne afin de mieux récupérer en cas de perturbation.

Cela passe par une communication claire sur les raisons des perturbations, par un rétablissement très rapide en mettant les clients sur un autre vol, ou en les informant de leur nouvelle heure de départ, mais aussi en donnant à notre personnel les outils nécessaires pour rétablir la situation sur place. Ils peuvent ainsi offrir des chèques-repas, des points de fidélité ou d'autres services. Cela fonctionne très bien.

Troisièmement, nous avons dépensé beaucoup d'argent dans le service fourni et l'expérience à bord. Nous sommes sur le point d'investir dans tous nos avions long-courriers pour qu'ils soient équipés du Wi-Fi à bord. Et tous nos Boeing 737 et Airbus A330 sur les lignes domestiques seront équipés d'ici la fin de l'année. De même, nous avons investi pour améliorer notre nourriture et nos produits.

Enfin, nous avons investi dans le programme de fidélisation de Qantas pour offrir à nos clients davantage de possibilités d'échanger leurs points, contre des services internationaux. Et nous avons lancé le programme de fidélisation Classic Plus en avril, qui fonctionne très bien.

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Vous êtes également engagé dans un renouvellement massif de votre flotte. Où en êtes-vous ?

C'est le plus grand renouvellement de flotte que nous ayons jamais entrepris dans notre histoire, tant pour Qantas que pour Jetstar, notre compagnie à bas prix. Cela va nous permettre d'atteindre un nouveau niveau de service en vol et de développement du réseau, mais aussi d'obtenir une réduction substantielle des émissions. Nous n'avons pas divulgué l'investissement total, mais il s'agit de plusieurs milliards de dollars sur la prochaine décennie.

La raison pour laquelle nous avons opté pour Airbus est que nous avons constaté que leurs avions sont les plus performants pour la géographie australienne et les distances que nous devons parcourir, au vu de l'isolement de l'Australie, mais aussi des itinéraires à travers le pays.

Il est très important de comprendre notre géographie pour comprendre notre stratégie de flotte, car l'Australie est un continent insulaire avec une petite population d'environ 26 millions d'habitants répartie entre quatre villes : Brisbane, Melbourne, Sydney et Perth. Il n'y a pas de train rapide, seulement dix heures de route entre ces villes ou 24 heures de traversée du désert jusqu'à Perth. Ensuite, il n'y a plus que de très petits centres régionaux. C'est pourquoi nous avons besoin des gros porteurs, des monocouloirs, ainsi que des turbopropulseurs régionaux.

Quelles sont les principales modifications ?

Nous allons renouveler l'ensemble de la flotte long-courrier (composée d'Airbus A380 et A330, Boeing 787) au fur et à mesure qu'elle arrive en fin de vie. Il s'agira d'une combinaison d'A350-1000 LR à long rayon d'action - capables de voler depuis Sydney ou Melbourne sur la côte Est de l'Australie, jusqu'à New York et Londres sans escale à partir de la mi-2026 - avec le projet Sunrise, d'A350-1000 avec une configuration à plus haute densité et de 787 supplémentaires

Le remplacement de la flotte domestique de Qantas (composée d'Airbus A330 et de Boeing 717 et 737) passera par une combinaison d'A321 XLR et d'A220. Et celle de Jetstar (composée d'A320 et d'A321 de première génération) par des A321 NEO (version de l'A321 NEO à long rayon d'action, ndlr).

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Pourquoi revenir en France 20 ans après votre dernier vol sur Paris ? Comment cela s'inscrit-il sur une stratégie plus globale vers l'Europe ?

Nous n'avons jamais voulu partir de France mais, en tant que pays très éloigné de tout, notre capacité à rivaliser d'un bout à l'autre de la chaîne a été mise à rude épreuve par la croissance des transporteurs à mi-parcours, au Moyen-Orient et en Asie. Il était très difficile pour nous d'être compétitifs sur les vols à destination de l'Europe et nous nous étions retirés de ces marchés.

Aujourd'hui, un certain nombre de choses ont changé. Tout d'abord, la technologie des avions a évolué et le Boeing 787 est désormais capable de parcourir la distance entre l'Australie et l'Europe. Deuxièmement, nous avons conclu un accord très stratégique avec l'aéroport de Perth à l'Ouest du pays, qui nous permet d'en faire un point de consolidation de notre trafic domestique et d'assurer des services européens sans escale à partir de là.

La dernière raison est que nous constatons au niveau mondial qu'il y a une clientèle de plus en plus nombreuse qui apprécie les voyages loisirs premium et qui est prête à payer un supplément pour cela. C'était déjà un peu présent avant le Covid et nous avons constaté cette résurgence après la crise avec une forte demande de voyages haut de gamme et le désir d'arriver à destination très rapidement.

Depuis le premier vol Perth-Londres (ouvert en 2018, et rouvert en 2022 après le Covid, ndlr), nous savons que nos clients apprécient vraiment cette offre point-à-point et nous avons fait la preuve de la rentabilité de ce projet. Cela nous a donné la confiance nécessaire pour développer la liaison saisonnière Perth-Rome, qui fonctionne incroyablement bien.

L'étape suivante logique pour nous était de revenir à Paris dès que nous aurions de la capacité avion, la France étant la deuxième destination la plus populaire pour nos clients. Nous aimerions passer en service quotidien, mais nous commençons par quatre jours par semaine car nous avons besoin de plus de capacité avion pour pouvoir le faire.

Quels sont vos prochains développements internationaux ? Est-ce que la reprise tardive en Asie influence cette stratégie ?

Tous les marchés internationaux n'ont pas rebondi après la crise. Pour nous, la Chine ne s'est pas encore rétablie et nous avons suspendu notre service. Le trafic venant du Japon n'est pas non plus à la hauteur de nos espérances. En revanche, le trafic australien sortant vers le Japon est en plein essor. Chaque marché est différent, mais nous continuons à voir une demande très forte.

Un élément très important de notre approche du réseau est que nous considérons nos avions comme des actifs mobiles. Ainsi, la capacité avion que nous avons libéré avec la suspension de la Chine, nous l'avons réinvestie en Indonésie et à Singapour, qui sont également des partenaires commerciaux très importants et des marchés touristiques.

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Nous volons de plus en plus en vol direct et avec des appareils dont la configuration est plus haut de gamme. Et avec les avions qui arrivent, nous allons pouvoir voler directement depuis Sydney et Melbourne vers New York et Londres avec les A350-1000 LR de Sunrise, mais aussi faire davantage de point-à-point avec les autres A350 et les nouveaux 787, notamment vers les Etats-Unis. Nous aimerions être présents à Chicago, peut-être à Seattle, ou avoir des services saisonniers à Las Vegas. Il y a aussi l'Asie et l'Amérique du Sud. C'est exactement la même stratégie au départ de Perth, en direction de l'Ouest avec l'Afrique et l'Europe. Et l'A321 XLR va nous permettre de voler au départ de Perth vers l'Inde, la Malaisie, le Japon.

Cela nous permet de diversifier notre réseau et de minimiser le risque que les compagnies aériennes courent généralement lorsqu'elles passent par un hub et qu'elles sont en concurrence avec de nombreuses autres compagnies aériennes disposant d'une grande capacité. Nous essayons donc de tirer parti de tous ces marchés, de nos clients, de la géographie de nos villes et des nouvelles technologies qui arrivent. Qui aurait pu penser que Perth, la ville la plus isolée du monde, deviendrait un avantage géographique pour nous.

Y a-t-il une volonté d'accélérer le développement de Jetstar par rapport à Qantas sur l'international ?

La manière dont nous déployons Jetstar en tant que marque duale relève d'une approche de réseau très sophistiquée que nous coordonnons à la fois au niveau national et au niveau international. Mon prédécesseur Alan Joyce a été l'un des principaux architectes de cette stratégie et c'est l'un des éléments les plus importants de notre portefeuille.

Jetstar se développe plus rapidement que Qantas parce que ce segment de marché low cost se développe plus rapidement, en particulier en Australie où il y a une crise du coût de la vie à cause de l'inflation après le Covid. Les deux compagnies sont très complémentaires avec des segments de clientèle très différents. La clientèle de Qantas est plus aisée, plus exigeante et prête à payer plus cher, tandis que celle de Jetstar recherche les prix les plus bas et le meilleur rapport qualité-prix. Selon les cycles économiques, nous avons deux marques que nous pouvons déployer et ajuster les capacités en fonction des besoins. Dans le cycle actuel, nous voyons Jetstar se développer sur les marchés à forte demande comme Bali ou le Japon avec le yen à son plus bas niveau depuis 30 ans.

Et là aussi nous tirons parti des nouvelles technologies. Les A321 NEO peuvent relier Melbourne et Sydney à Bali, ce que les autres avions monocouloirs ne pouvaient pas faire. Et cela libère des 787 qui volaient là pour desservir de nouvelles destinations et ouvrir de nouveaux marchés à Jetstar.

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Au premier semestre, vous avez augmenté votre activité mais perdu en rentabilité. Comment voyez-vous le reste de l'année ?

Je ne peux pas faire de commentaires sur les résultats de l'année entière, mais je vais parler du delta de rentabilité que nous avons eu au semestre. La réduction de la rentabilité est due à trois facteurs principaux. Le premier est l'investissement que nous avons fait pour satisfaire la clientèle, qui est clairement stratégique en vue d'un bénéfice durable à long terme. Ensuite, les revenus tirés du fret ont diminué plus rapidement que nous ne l'avions prévu. Enfin, nous n'avons pas vu le trafic affaires revenir aussi vite que nous l'avions prévu sur le marché intérieur australien. Il y a donc encore une phase de reprise sur ce marché. Et évidemment, le prix du carburant pour l'aviation est encore très élevé.

Êtes-vous néanmoins en ligne avec vos prévisions ?

Oui, nous sommes confiants à ce sujet. Nous sommes très satisfaits de nos résultats cette année, car il s'agit de trouver le bon équilibre entre les attentes des clients, celles des employés et celles des actionnaires.

Léo Barnier

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Commentaires 4
à écrit le 18/07/2024 à 7:13
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Dans la nature il n'y a pas de vacuum. SI l'Air France est impotent qqun autre va prendre sa place.

à écrit le 18/07/2024 à 0:05
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Air France devrait prendre de la graine.. tant c'est une catastrophe dans la reclamation client...!

à écrit le 17/07/2024 à 15:46
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Sympa si cela peut devenir une rotation habituelle et régulière. L’envie de voyage ne manque pas et l’Australie reste une destination appréciée… Il y aura de nombreux passagers qui seront prêts à faire 17 heures de vol. Il y a de nombreux avantag...

le 24/07/2024 à 7:27
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J'exècre l’aviation civile, vos gros camions, vos gros bateaux, vos gros avions... vous êtes immatures.

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