Métiers d’art : en Bretagne, le tourisme dédié à la découverte du patrimoine vivant peine à se structurer

LE TOURISME DE DEMAIN (2/4). De Rochefort-en-Terre à Dinan en passant par Pont-Scorff, la découverte des petites cités de caractère et des villages d’artisans, de cette Bretagne du savoir-faire, connaît une progression notable en termes de tourisme. Pour autant, malgré sa fragilité économique, la filière des métiers d’art ne bénéficie pas d’une stratégie de promotion d’ensemble (regroupements d’ateliers, itinéraires de visites…) à l’échelle régionale. C’est tout le travail que la cellule métiers d’art de la Chambre des métiers et de l’artisanat est en train de mener, avec à la clé la création d’une marque dédiée.
En Morbihan, à Pont-Scorff, La Cour des métiers d’art, établie dans une bâtisse du XVIIe siècle mise à disposition par la mairie, accueille 52 créateurs. Cette boutique-galerie est associée à une vingtaine d’ateliers d’artisans indépendants.
En Morbihan, à Pont-Scorff, La Cour des métiers d’art, établie dans une bâtisse du XVIIe siècle mise à disposition par la mairie, accueille 52 créateurs. Cette boutique-galerie est associée à une vingtaine d’ateliers d’artisans indépendants. (Crédits : ©E.LEMEE-LBST)

À la Cour des métiers d'art de Pont-Scorff, deux jeunes artisans, un horloger et une vannière, ont ouvert en juin leurs ateliers dans un même espace. À l'initiative de la mairie de cette commune du Morbihan, labellisée depuis 30 ans Ville et Métiers d'art, est née une boutique-galerie qui présente, sur 300 mètres carrés, les réalisations de 52 créateurs d'art issus de toute la Bretagne. Sculpture, luminaire, bijoux, maroquinerie : cette vitrine des métiers d'art et de la création contemporaine est associée à plus de 20 ateliers indépendants (bijoux, céramistes, coutelier...) qui bénéficient d'un tarif de location à 6 euros du mètre carré.

Ouverte toute l'année, La Cour accueille une clientèle d'habitués, de connaisseurs et de touristes (plus de 2.000 personnes de février à juin 2024), permettant à ces professionnels du patrimoine vivant de vivre plus dignement d'une activité très dépendante de la saisonnalité.

« Les artisans créateurs bénéficient de ce regroupement, de la présence d'ateliers et des événements qui animent ce lieu d'artisanat toute l'année, avec deux périodes fortes, l'été et le moment des fêtes de fin d'annéeEn termes de visite, c'est une source d'attractivité » reconnaît Florence Mathey, plasticienne, exposante et responsable du lieu.

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Circuit-court, durabilité, transmission : regain d'intérêt du public

Alors qu'une nouvelle édition du circuit touristique « Métiers d'art dans l'Ouest », initié par la plateforme collaborative CrealOuest, met en lumière plus d'une cinquantaine de sites et villes métiers d'art à visiter en Bretagne, le tourisme durable (slow tourisme) et de savoir-faire, lié au patrimoine culturel vivant, suscite un regain d'intérêt.

En 2023, l'étude Reflet, réalisée tous les cinq ans par Tourisme en Bretagne (115 millions de nuitées en 2023, + 5%), confirmait bien la progression des séjours de découvertes dans les Petites Cités de caractère (26 communes dont La Gacilly, Belle-Île-en-Mer, Rochefort-en-Terre...) et les villages, souvent associés aux métiers d'art.

« Le tourisme favorise les activités des professionnels des métiers d'art, notamment à une époque où les consommateurs sont de plus en plus soucieux de durabilité et de circuits courts. La transmission et la démonstration de ces savoir-faire traditionnels et innovants contribuent à la préservation et à la valorisation de la richesse de nos territoires » expliquent les responsables du livret CrealOuest pour éclairer leur démarche.

Double opportunité pour développer l'attractivité touristique et l'économie d'un territoire, ce filon des métiers d'art souffre toutefois d'un manque de structuration.

Actions isolées, tourisme « expérientiel »

Fragile et très atomisé, le secteur qui se caractérise par une forte présence de petits ateliers d'art à l'activité traditionnelle, mais aussi très innovante, ne bénéficie, en effet, pas d'une stratégie d'ensemble, ni de la même visibilité que celle accordée aux entreprises liées au tourisme industriel ou à l'artisanat au sens large.

Localisées, les initiatives proviennent soit d'associations telles que La Route des métiers d'art à Lannion (96 adhérents, 77 artistes et artisans d'art) qui organise chaque année un salon où se pressent 4.000 visiteurs soit des villes comme Pont-Scorff ou d'une communauté de communes. Dinan-Cap Fréhel édite, par exemple, Art'Dinan, un guide des ateliers et galeries à visiter sur son territoire.

Le comité régional Tourisme en Bretagne dit mener un travail d'identification de ces métiers, mais son accompagnement en termes de promotion porte plus volontiers sur « le volet tourisme des savoir-faire » et expérientiel : sur son site web, les ateliers poterie à Baden ou l'enseignement de la technique du verre à Saint-Malo voisinent avec la découverte des techniques du cidre, de la fabrication du caramel et des visites d'entreprises industrielles.

4.000 entreprises et des artisans parfois difficiles à identifier

« Sur le plan touristique, entre le Comité régional du tourisme, les départements, les métropoles et les communes, chacun agit dans son coin. Ce qui complique un peu notre tâche » regrette Jacques Bourniche, conseiller métiers d'art à la Chambre régionale des métiers et de l'artisanat (CMA Bretagne) qui, depuis 2019, coordonne le soutien à la filière.

Cette cellule accompagne les problématiques de développement des métiers d'art et peut aider les artisans à se déplacer sur des salons, des festivals. Elle recense en Bretagne quelque 4.000 entreprises dans seize familles de métiers (tissage, peinture sur faïence, broderie, dentelles, cuir, bijoux, charpenterie de marine, taille de pierre...) et quelques pôles aux traditions séculaires reconnues.

« Avec plus de 150 manifestations programmées dans les quatre départements bretons en avril, les Journées européennes des métiers d'art (JEMA) sont finalement, dans la région, l'initiative publique la plus visible pour la filière » résume Jacques Bourniche.

Malgré le besoin criant de lieux et d'actions de valorisation, le travail de la CMA est rendu complexe par le fait que certains artisans sont difficiles à identifier. « Les ateliers d'art sont répartis sur l'ensemble du territoire, avec des bassins privilégiés, touristiques et littoraux, comme le Finistère ou le Morbihan qui a mis en place un cluster Métiers d'art (660 ateliers), ou plus loin des centres-villes en raison de la cherté des loyers ou du foncier, mais ces métiers sont cependant assez isolés » détaille le conseiller.

Selon un recensement mené de septembre 2022 à mars 2023, 75% relèvent de micro-entreprises, 82% affichent un revenu inférieur à 30.000 euros par an, 52% à moins de 10.000 euros par an. Oeuvrant dans les métiers du patrimoine (ameublement, pierre, ferronnerie, vitrail...), 220 entreprises sont sous statut de sociétés.

Bientôt une marque Métiers d'art en Bretagne

Cette année, la CMA Bretagne a donc poursuivi son travail d'enquête et d'identification tout en élaborant un plan d'action autour des enjeux de reconnaissance des savoir-faire, de communication et de commercialisation.

« Nous dévoilerons une marque des métiers d'art en Bretagne, lors des premiers Rendez-Vous Métiers d'art en octobre. Créée avec la région Bretagne, cette bannière permettra d'animer la filière et de la différentier des activités liées à l'industrie. En parallèle, nous développons des partenariats avec les Petites Cités de caractère afin d'animer une communauté, réfléchir à l'ouverture de boutiques, éphémères ou permanentes, et proposer des rendez-vous des métiers d'art au sein de formations délocalisées » précise Isabelle Doreau, chargée de mission métiers d'art au sein de la CMA et une des pilotes de ce plan d'actions.

Encore faut-il pour cela convaincre les mairies et susciter des investissements, mais la CMA qui, à terme, souhaiterait proposer un annuaire, une cartographie voire des routes ou des parcours des métiers d'art, croit à l'effet d'accélération. « Il y a beaucoup d'actions à mettre en place pour valoriser les métiers d'art. Local ou touristique, il y a un public pour ce type de découverte fondée sur des rencontres humaines avec les artisans. Le consommateur fait de plus en plus attention à la traçabilité des objets qu'il achète » s'enthousiasme Isabelle Doreau.

Retrouvez les autres épisodes de la série :

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