Énergies renouvelables : le plan de sauvetage de la filière pour éviter une cascade de défaillances

La filière redoute que de nombreux projets solaires, éoliens, hydrauliques et biogaz ne voient pas le jour en raison du contexte actuel de flambée des prix (matières premières et transports) et de hausse des taux d'intérêt. Ils tirent la sonnette d'alarme à l'heure où la France accumule un net retard dans sa transition énergétique et où les inquiétudes grandissent sur la sécurité d'approvisionnement en électricité.
Juliette Raynal
Au total, d'après un sondage réalisé par le SER auprès de ses membres, plus de 2 GW de capacités solaires seraient aujourd'hui en péril du fait du contexte inflationniste, soit peu ou prou l'équivalent des capacités solaires raccordées au réseau l'année dernière. Plus de 5 TWh de capacités de production de biométhane seraient également menacées.
Au total, d'après un sondage réalisé par le SER auprès de ses membres, plus de 2 GW de capacités solaires seraient aujourd'hui en péril du fait du contexte inflationniste, soit peu ou prou l'équivalent des capacités solaires raccordées au réseau l'année dernière. Plus de 5 TWh de capacités de production de biométhane seraient également menacées. (Crédits : EDF Renouvelables)

La crise énergétique, amplifiée par la guerre en Ukraine, devrait constituer un véritable tremplin pour le développement des renouvelables sur le Vieux Continent, l'Union européenne misant sur le déploiement massif des énergies propres pour se défaire du gaz russe à toute vitesse et assurer son indépendance énergétique. Reste que, sur le court terme, les conséquences de l'invasion de l'Ukraine par la Russie pourraient nuire au développement de la filière. C'est en tout cas ce que craignent les professionnels français du secteur, qui alertent sur le risque "d'un trou d'air".

"De nombreux projets renouvelables doivent absorber les surcoûts liés à la crise actuelle et pourraient ne pas voir le jour si des mesures d'urgence ne sont pas adoptées d'ici à l'été", met en garde, ce mercredi 22 juin, le Syndicat des énergies renouvelables (SER), dans un communiqué.

Contrairement à l'industrie automobile, qui est freinée par la faible disponibilité des semi-conducteurs, la filière ne fait pas face à un problème de rareté des composants, mais à un problème de coûts des matières premières, qui flambent.

+ 25% à 30% de dépenses d'investissements

Les professionnels des énergies renouvelables sont surtout touchés par l'envolée du prix de l'acier, notamment utilisé dans les turbines hydrauliques, dans les bacs installés pour accueillir les panneaux solaires ou encore dans les mâts des éoliennes. La filière est aussi impactée par la hausse du prix du béton et par celle du silicium, dont le processus de fabrication requiert beaucoup d'énergie.

A cette hausse des prix des matières premières, s'ajoutent la hausse du coût des transports, mais aussi la remontée des taux d'intérêt, qui grève les capacités d'endettement des porteurs de projets et les obligent à mobiliser plus de fonds propres.

« Tout ça, mis bout à bout, conduit à une hausse des Capex [les dépenses d'investissements, Ndlr] comprise entre 25% et 30% », estime Alexandre Roesch, délégué général du SER.

Il ajoute :

« Les lauréats des derniers appels d'offre soumissionnés à un prix donné doivent désormais supporter des hausses de coûts qui n'avaient pas pu être anticipées. La crainte, c'est que ces projets ne soient plus économiquement viables et ne puissent pas se construire. »

L'équivalent d'une année de développement solaire menacée

Toutes les filières des renouvelables sont touchées (hydraulique, éolien, solaire, biogaz, etc.), mais le solaire est la filière dont on attend le plus de volume, le président réélu visant les 100 gigawatts (GW) de capacités solaires raccordées au réseau à l'horizon 2050, contre seulement un peu plus de 13 GW à la fin 2021.

Au total, d'après un sondage réalisé par le SER auprès de ses membres, plus de 2 GW de capacités solaires seraient aujourd'hui en péril du fait du contexte inflationniste, soit peu ou prou l'équivalent des capacités solaires raccordées au réseau l'année dernière. Plus de 5 TWh de capacités de production de biométhane seraient également menacées.

Deux mesures d'urgence

Dans ce contexte, les professionnels du secteur plaident pour la mise en place de deux mesures d'urgence "d'ordre non législatif", précise Alexandre Roesch. La première consiste à permettre aux lauréats des appels d'offres de vendre leur électricité sur les marchés, et que le contrat de soutien public soit activé ultérieurement.

L'idée est de leur donner la possibilité de profiter des prix actuellement très élevés sur le marché de l'électricité (environ 400 euros le mégawattheure, bien supérieur au prix négocié lors des appels d'offres) pour absorber les surcoûts. Le SER propose que cet aménagement puisse être mis en place sur une période de deux ans.

La seconde piste concerne les acteurs de plus petite taille. Ces derniers ne répondent pas aux appels d'offres, mais bénéficient d'un tarif d'achat d'électricité. C'est ce qu'on appelle le guichet ouvert. "Pour ces acteurs, nous proposons une indexation des niveaux de soutien public, c'est-à-dire de revoir à la hausse le niveau tarifaire auquel ils avaient droit pour couvrir les surcoûts", explique le délégué général du SER. Cette mesure prendrait alors la forme d'un arrêté tarifaire et impacterait le budget de l'Etat, contrairement à la première proposition.

Risque sur la sécurité d'approvisionnement électrique

Selon les professionnels de la filière, ces mesures ne peuvent pas attendre la rentrée, il faut les prendre maintenant.

"Des décisions stratégiques doivent être prises. Les porteurs de projets ont besoin de visibilité. Il y a urgence maintenant. Sur le segment du solaire, le tissu de sous-traitance sera le premier impacté si des chantiers sont annulés", prévient Alexandre Roesch.

Outre les risques économiques encourus par la filière, le SER alerte sur la sécurité d'approvisionnement électrique à l'heure où presque la moitié des réacteurs du parc nucléaire sont à l'arrêt pour diverses raisons, dont un phénomène de corrosion sous contrainte.

"Nous allons sans doute vers une situation marquée par une tension sur l'approvisionnement électrique. Ce serait dommage de se priver de projets renouvelables, qui sont les premiers à pouvoir sortir de terre", fait valoir Alexandre Roesch.

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Les renouvelables, pas encore à la hauteur des enjeux climatiques

L'enjeu est aussi climatique. Car, si la part des renouvelables dans la consommation finale énergétique française s'est largement accrue l'année dernière, atteignant 19,3%, ce niveau reste encore bien loin de l'objectif de 33% visé d'ici à 2030. Et, l'Hexagone est déjà perçu comme un mauvais élève. Avec un taux de 19% en 2020, le pays avait été le seul membre de l'UE à ne pas se conformer à son objectif de 23%, issu d'une directive européenne.

À l'international, aussi, le développement des renouvelables s'effectue à un rythme encore insuffisant pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris sur le climat, malgré une percée attendue pour cette année. En effet, selon les dernières estimations de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), les investissements dans les énergies propres (éolien, solaire, biogaz, réseaux, stockage, etc.) devraient dépasser les 1.400 milliards de dollars en 2022, soit une hausse de 12% par rapport à 2020.

C'est "bien en-deçà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques internationaux, mais cela représente un pas important dans la bonne direction", juge l'AIE.

Juliette Raynal

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Commentaires 6
à écrit le 23/06/2022 à 9:19
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J'ai l'impression que nos élites ont oublié le principe sacré: gouverner c'est prévoir auquel nous pourrions rajouter que la fonction d'un décideur c'est de décider. Nous nous dirigeons vers une impasse énergétique qui pourrait se transformer en cata...

le 23/06/2022 à 19:45
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6 EPR nouveaux d'ici l'année prochaine, c'est ça, anticiper. Mais il faut plutôt prévoir 15 ans... La corrosion qui atteint divers réacteurs, ça serait suite à une modification française du système Westinghouse (sans doute un facteur d'échelle, pour ...

à écrit le 22/06/2022 à 23:15
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Madame Raynal Vos affirmations sur le soi-disant retard français relève d'un pipotron intégral digne des propagandistes de l'industrie de l'éolien allemand. La France produit une électricité, une des plus décarbonnées d'Europe ! Et cela depuis plus...

le 23/06/2022 à 19:50
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Si vous remplacez tous les chauffages gaz et fuel par des pompes à chaleur, il vous faut de l'électricité, beaucoup. Si vous jetez les voitures à pétrole pour faire rouler de l'électrique, pareil. Pensez vous qu'en faisant tourner à fond tous les réa...

le 23/06/2022 à 22:05
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@Photo73 Bien sûr je partage votre propos. Depuis 25 ans, nos politiques sous pression des écologistes marionnettes de certains lobbyistes ont abandonné notre industrie nucléaire et pire ils nous ont imposé un machin franco-allemand (l'EPR) par un p...

à écrit le 22/06/2022 à 20:52
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Oui bon, les énergies renouvelables qu'est-ce que c'est ? Des km2 de campagnes couverts de très laids panneaux photovoltaïques délivrant quelques malheureux kilowatts payés une fortune, des moulins implantés partout grâce aux subventions, même là où ...

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