Sida : l'ONU exhorte le géant pharmaceutique Gilead à faciliter l'accès à son traitement

Les laboratoires américains Gilead pourraient jouer un rôle décisif pour mettre fin à la pandémie du sida, selon la directrice exécutive de l'Onusida, Winnie Byanyima. Selon elle, si le géant pharmaceutique facilitait l'accès à son nouveau médicament anti-VIH révolutionnaire, il pourrait « sauver le monde » de ce virus, à l’origine encore de 630.000 décès en 2023 dans le monde.
Si 30 millions de personnes dans le monde bénéficient actuellement d'un traitement antirétroviral contre le VIH, 10 millions en sont privées, selon Onusida.
Si 30 millions de personnes dans le monde bénéficient actuellement d'un traitement antirétroviral contre le VIH, 10 millions en sont privées, selon Onusida. (Crédits : Mike Blake)

[Article publié le lundi 22 juillet 2024 à 11h59, mis à jour à 14h57] Lenacapavir : tel est le nom du traitement préventif qui s'est récemment révélé prometteur contre le VIH, le virus du sida. « Deux administrations par an ont démontré son potentiel en tant que nouvel outil pour prévenir les contaminations par le VIH », a déclaré fin juin Gilead Sciences, la biotech américaine qui le développe, assurant « aucune infection et une efficacité à 100% ».

Depuis, le laboratoire fait l'objet d'une campagne concertée de pression de nombreuses personnalités et ONG pour en faciliter l'accès. Parmi elles, Winnie Byanyima, directrice exécutive de l'Onusida, le programme de l'ONU destiné à coordonner l'action pour lutter contre la pandémie de VIH. Elle a exhorté Gilead, ce lundi, à « entrer dans l'Histoire » en autorisant la fabrication générique du lenacapavir. Selon elle, quels que soient les bénéfices financiers à tirer de ce traitement, devenir le laboratoire qui a permis de vaincre la pandémie du sida aurait un impact encore bien plus grand.

« Gilead a l'opportunité de sauver le monde. De sauver le monde, littéralement » du sida, a-t-elle lancé lors d'un entretien avec l'AFP la semaine dernière. Et d'ajouter : Gilead « pourrait devenir l'entreprise qui remporte un prix Nobel. La récompense ne vient pas seulement de l'argent ».

Un enjeu financier

Concrètement, si Gilead accepte cette idée, cela voudrait dire qu'il ne serait plus le seul fabricant de lenacapavir, ni donc le seul à profiter des revenus associés. Or, avec un coût d'environ 40.000 dollars US par an et par patient, la biotech est un peu frileuse à accepter.

Lire aussiJoe Biden fustige de nouveau les bénéfices « exorbitants » des grands labos pharmaceutiques

Winnie Byanyima ne manque pas d'argument pour tenter de convaincre Gilead. Elle a assuré que le laboratoire serait toujours en mesure de faire des bénéfices grâce à une tarification différenciée entre pays riches et ceux moins bien dotés. Et, via un programme appuyé par l'ONU baptisé « Medecines Patent Pool », il est possible de diffuser les versions génériques moins chères, qui pourraient être vendues sous licence, dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Ainsi, leur vente serait limitée.

Gilead a, de son côté, assuré discuter « régulièrement » avec tous les acteurs de la lutte contre le VIH, « y compris les gouvernements et les ONG », pour un accès du traitement « au plus grand nombre de personnes possible ».

Encore trop de patients non soignés

C'est en tout cas plus que nécessaire. Car si 30 millions de personnes dans le monde bénéficient actuellement d'un traitement antirétroviral, 10 millions en sont privées. Or, l'accès à ce type de thérapie est un enjeu majeur parce que très efficace aujourd'hui. Et le lenacapavir peut encore plus changer la donne, selon la responsable, parce qu'il « est tellement tellement efficace qu'il appartient à une catégorie différente de médicaments préventifs », souligne Winnie Byanyima.

Lire aussiLaboratoires pharmaceutiques : une industrie, aujourd'hui encore, plus réactive que prospective

Si Gilead partageait sa licence, une étude a montré que « les fabricants de génériques pourraient en produire, non pas pour 40.000 dollars ou plus par an, mais pour moins de 100 dollars par personne et par an », a souligné Winnie Byanyima. Surtout, ce traitement permettrait d'atteindre ceux qui aujourd'hui sont hors de portée des programmes de soins. « Ces gens qui sont forcés de contourner la loi - les homosexuels, les femmes trans - qui n'auraient à venir que deux fois par an pour se faire injecter et être en sécurité », appuie-t-elle, sans parler des jeunes femmes africaines, qui redoutent stigmatisation et violence domestique. « Nous pourrions être sur le point de mettre fin à cette maladie », insiste-t-elle.

La stigmatisation et la discrimination, parfois la criminalisation, dont sont victimes certains groupes de personnes se traduit par des taux d'infection beaucoup plus élevés parce qu'elles ne peuvent pas se faire aider et soigner sans danger, dénonce Onusida. Pour marteler ce message - qui figurera aussi en bonne place lors de la 25ème Conférence internationale sur le sida qui démarre ce lundi en Allemagne - Winnie Byanyima et le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Volker Türk ont publié la semaine dernière un communiqué commun. « La stigmatisation tue. La solidarité sauve des vies », peut-on y lire.

« Ensemble, nous appelons tous les pays à supprimer toutes les lois punitives contre les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et queer. La décriminalisation des personnes LGBTQ+ est essentielle pour protéger les droits humains et la santé de chacun », ont-ils lancé.

Des mesures politiques nécessaires

Il faut donc aussi que les responsables politiques fassent le nécessaire pour atteindre l'objectif fixé par l'Onusida, de mettre fin au VIH comme menace pour la santé publique d'ici 2030. « Nous voyons des pays progresser dans ce sens, ce qui prouve que c'est possible », explique la responsable, ajoutant que depuis 2010, certains pays d'Afrique subsaharienne ont réduit les nouvelles infections de plus de moitié et les décès jusqu'à 60%.

Cependant, « nous avons également des régions comme l'Europe de l'Est, l'Asie centrale et l'Amérique latine où les nouvelles infections évoluent dans la mauvaise direction et augmentent », a-t-elle ajouté. En Europe de l'est et Asie centrale, seulement la moitié des personnes infectées par le VIH sont traitées et en Afrique du nord et Moyen-Orient c'est seulement 49%.

Lire aussiL'accès aux médicaments dans les pays en développement, un enjeu critique pour l'industrie pharmaceutique

En 2023, un peu moins de 40 millions de personnes vivaient avec le VIH, selon le rapport annuel d'Onusida. Environ 1,3 million ont été nouvellement infectées l'année dernière, soit quelque 100.000 de moins qu'un an plus tôt. C'est 60% de moins que lors du pic de 1995, quand 3,3 millions de personnes avaient attrapé le VIH. Mais Onusida n'est pas satisfait parce que l'objectif de seulement 330.000 infections en 2025, semble inatteignable.

Le sida a par ailleurs encore tué 630.000 morts en 2023, contre 670.000 décès l'année précédente. C'est néanmoins 69% de moins qu'en 2004 l'année noire de la pandémie, mais encore trop.

(Avec AFP)

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.