Transformation de bureaux en logements : pourquoi ça risque de coincer encore

ENQUÊTE - Le Sénat examinera, ce mardi, une proposition de loi de l'Assemblée nationale visant à faciliter la transformation de bureaux en logements. Le texte permettra aux élus locaux de déroger à leur plan local d'urbanisme, mais le sujet de la taxe foncière sur les bureaux est pris à l'envers, selon les professionnels. Et ce, alors que le nombre d'immeubles vides va encore augmenter dans le Grand Paris, avec des situations similaires en province.
Les bureaux de l'ancien ministère de la Défense, situé boulevard Saint-Germain dans le 7ème arrondissement de Paris, ont été transformés en logements sociaux. (Photo d'illustration).
Les bureaux de l'ancien ministère de la Défense, situé boulevard Saint-Germain dans le 7ème arrondissement de Paris, ont été transformés en logements sociaux. (Photo d'illustration). (Crédits : C.A pour La Tribune)

C'est un « gisement énorme » à en croire le ministre du Logement Guillaume Kasbarian : la transformation de bureaux en logements. Alors que la politique de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols pousse à réduire au maximum la consommation des terres agricoles, la mutation d'actifs tertiaires obsolètes en hébergements est une piste privilégiée par le gouvernement pour résoudre la crise de l'immobilier.

L'exécutif soutient ainsi une proposition de loi du député Démocrate de l'Ain, Romain Daubié, qui arrive au Sénat en séance publique ces 21 et 22 mai. Cette dernière vise, notamment, à lever les freins locaux, mais la volonté politique des élus primera toujours sur le reste.

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Déroger au plan local d'urbanisme

L'un des premiers points du texte permettra de déroger au plan local d'urbanisme (PLU) pour faciliter la délivrance de permis de construire. Les maires ou présidents d'intercommunalité pourront ainsi faire de la transformation de bureaux en logements dans les zones du PLU où la destination « habitation » n'est pas autorisée, explique le site Vie-publique.fr. De même que dans toutes les communes ayant un PLU, les bureaux et les anciens bâtiments publics pourront être transformés en bureaux.

Dans le cas où le plan local d'urbanisme d'urbanisme relève de l'intercommunalité, la commune aura le droit de s'opposer à toute mutation dans le cas où elle devra supporter « l'essentiel » des nouveaux services publics.

« Ces opérations doivent préalablement être validées par les collectivités qui peuvent rencontrer des problèmes de financement des équipements induits par les logements créés », rappelle Patrick Supiot, directeur général Immobilier d'entreprise, commercial et aménagement chez Vinci Immobilier.

Un problème pris à l'envers

Et pour cause : aujourd'hui, la métamorphose n'est assujettie à la taxe d'aménagement que s'il y a augmentation de surface. Demain, la collectivité territoriale concernée pourrait assujettir à cette taxe la transformation, même s'il n'y a pas d'augmentation de surface et en définir l'assiette. Les intercommunalités pourront reverser tout ou partie du produit de cette taxe d'aménagement aux communes concernées.

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Outre les élus locaux, les députés ont également pensé aux professionnels qui ont un projet de mutation à « un stade déjà avancé ». Ils ont proposé d'exonérer ces actifs de taxe sur les bureaux en Île-de-France, et en Provence-Alpes-Côte d'Azur pour en assurer l'équilibre économique.

Pour le promoteur Cédric de Lestrange, le problème est pris à l'envers: « Est-il normal que la taxe foncière sur les bureaux produise la même recette que le bureau soit rempli ou vide ? C'est faux économiquement - un immeuble vide a une valeur très inférieure - et cela n'incite pas les élus locaux à transformer », pointe le président d'Axe Immobilier.

Une aberration climatique qui ne peut être résolue en dehors du budget

Saisie pour avis, la commission des Finances du Sénat considère, elle, que ces mesures relatives à la taxe d'aménagement et à la taxe sur les bureaux « apparaissent comme le complément naturel des autres mesures d'incitation de la proposition de loi dans la mesure où leur portée est limitée strictement au périmètre des opérations de transformation de bureaux en logements ».

« Avoir de la taxe foncière sur les bureaux pendant un redéveloppement lourd, c'est antiécologique. Vous avez alors intérêt à démolir et reconstruire plutôt qu'à conserver la structure : cela ne vous coûte pas plus cher et vous économise trois ans de taxe foncière, ce qui est considérable », réagit Cédric de Lestrange.

Une aberration climatique qui ne peut pas être résolue en dehors de la loi de finances. L'article 40 de la Constitution dispose en effet que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique », rappelle, à La Tribune, la présidente (LR) de la commission des Affaires économiques du Sénat, Dominique Estrosi Sassone.

Une vacance qui va encore augmenter dans le Grand Paris

Et ce, alors que selon une étude récente réalisée par le cabinet de conseil Adéquation, et La Place de l'Immobilier, autoproclamée première base de données sur les immeubles en France, 110 immeubles d'un total de 1,2 millions de mètres carrés sont vides depuis plus de deux ans, sur les 4,9 millions de m² vacants en Île-de-France.

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Une vacance qui va encore augmenter dans la région-capitale, selon le directeur général de l'Institut de l'épargne immobilière et foncière (IEIF). « Du fait du vieillissement de la population, la part des nouveaux actifs qui occupe des bureaux est en train de diminuer, alors même que sur la décennie 2010-2020 on a créé 44 m² de bureaux par nouvel emploi contre 23 m² dans les années 2000 », relève Christian de Kerangal.

Sauf que selon des témoignages convergents, dans les villes à proximité de la Défense, lorsque les investisseurs veulent les transformer en logements, les maires leur rétorquent qu'ils ne savent pas remplir leurs bureaux.  « Les élus locaux n'ont pas encore intégré ces changements structurels » lâche un investisseur.

Des situations similaires d'immeubles vides en province

Dans le premier quartier d'affaires européen, où des tours obsolètes peuvent appartenir à plusieurs propriétaires, « des investisseurs collaborent ensemble pour activer une mutation. Des initiatives se dessinent », assure, de son côté, Blaise Heurteux, associé-cofondateur de la Place de l'immobilier.

En dehors du Grand Paris, « on trouve aussi des situations similaires d'immeubles vides qui vont engendrer une diminution du parc de bureaux, mais dans des grandes villes et des proportions bien inférieures », enchaîne Blaise Heurteux.

Par exemple, la métropole de Nantes, qui accueille chaque année 9.000 habitants supplémentaires, mène une réflexion depuis 2018 sur la mutation d'immeubles et d'activités tertiaires inoccupées en logements, bien que le territoire ait peu de bureaux vacants. « Mais il ne s'agit pas de mettre du logement n'importe où, notre démarche étant tournée vers la ville du quart d'heure » indique Pascal Pras, vice-président (PS) de Nantes Métropole chargé de l'urbanisme et de l'habitat.

Un quartier de centralité qui avait du sens

Parmi les métamorphoses les plus emblématiques, il cite l'ancien siège de la direction générale de l'armement (DGA), reconverti en un ensemble immobilier (42 appartements) baptisé Pavillon Cambronne, inauguré en juillet 2023. « C'était un positionnement dans un quartier de centralité qui avait du sens ». D'après l'élu, cette mue de bureaux en logements n'aurait pas nécessité « un gros engagement » en matière d'équipements publics supplémentaires, sans être en mesure de chiffrer les coûts engagés.

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« Seule la structure existante a été conservée, le reste du bâtiment étant soumis à un curage total et une lourde restructuration. L'immeuble se distingue par ses façades classées Monuments Historiques en pierre de taille, conservées et rénovées. Pour densifier par le haut, une surélévation d'un étage en structure bois et plancher bois a permis la construction d'appartements en duplex plus grands », témoigne Linkcity, le développeur immobilier, filiale de Bouygues Construction.

Dans le quartier d'affaires lyonnais de La Part-Dieu, où la vacance frôle les 4,5%, un chantier emblématique illustre parfaitement la complexité : « le 145 Lafayette ». A savoir la régénération de 5 bâtiments, propriété d'Icade, filiale immobilière de la Caisse des Dépôts, avec un changement de destination pour la tour de bureaux qui accueillera, à terme, 105 logements. Dans le détail : 59 logements libres et 46 logements sociaux.

Des aléas avec l'amiante

Une opération qui aura nécessité pas moins de sept ans de réflexion et de concertation pour trouver le juste équilibre financier. Ce, grâce à trois éléments clés : un emplacement très attractif, le marché et la construction de la tour. « L'arrondissement est connoté haut de gamme avec des prix du marché qui vont permettre d'absorber les surcoûts que représentent la part de logements abordables et la régénération », confie le directeur régional d'Icade, Eric Gibeaux. A elle seule, la régénération représente une augmentation de 30% du coût comparé à une construction classique.

Un autre point a également joué : la construction de la tour. « Les porteurs étaient uniquement au niveau des façades et sur les planchers, ce qui fait que tous les plateaux étaient facilement modulables pour pouvoir retravailler du logement assez simplement », ajoute le local de l'étape de la filiale immobilière de la Caisse des Dépôts. Avec, en sus, un coût de désamiantage maîtrisable.

« Il y a toujours des aléas avec l'amiante. Quand on est promoteur, une mauvaise surprise en cours de chantier risque toujours de ruiner la marge », appuie Frédéric Meppiel, président d'Edifipierre, une entreprise strasbourgeoise qui a déjà une demi-douzaine de métamorphoses à son actif.  En 2016, il a ainsi repris l'ancienne Maison du Bâtiment, un monolithe de 13 étages bourré d'amiante, en déshérence depuis dix ans.

Un droit de veto communal

Le chantier a mobilisé 14 millions d'euros d'investissement - dont 1,5 million d'euros de désamiantage - pour 10.000 mètres carrés dont 8.000 m² commercialisés. Au programme : une forêt sur le toit, une résidence étudiante, et des logements sur les quatre étages supérieurs. Les 40 logements, avec vue panoramique sur les Vosges et la Forêt-Noire, sont partis à 5.000 euros le mètre carré, en moyenne.

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Le coût de la réhabilitation est équivalent à celui du neuf, a calculé Francis Meppiel. La difficulté réside, selon lui, dans les relations avec les pouvoirs publics. « Avec la collectivité locale, l'architecte des bâtiments de France et l'administration, le dialogue n'a jamais été évident. Il faut un peu d'imagination et de courage », admet le promoteur.

Peut-être que la solution viendra du permis de construire « « réversible » », à savoir un PC à destinations successives, comme celui instauré pour le Village olympique de Paris 2024. Sauf que le diable étant dans les détails, les communes détiendront un droit de veto pour délimiter les zones en question dès lors que ces dernières ont délégué leur compétence urbanisme à l'intercommunalité.

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Commentaires 6
à écrit le 18/05/2024 à 18:13
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la regeneration des anciens bureaux en appart ne va t elle pas couter plus cher que le neuf? il faudra demonter tout l'interieur souvent desamianter dans les anciennes construction c'etait courant tout remettre en double vitrage etc etc... resul...

le 21/05/2024 à 12:18
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Démolir les immeubles de bureaux pour construire des logements à la place aurait aussi un cout sauf à les laisser à l'abandon comme toutes ces friches industrielles ....

le 21/05/2024 à 15:59
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Oh, il y a beaucoup de bureaux récents n'ayant jamais trouvé preneur, en particulier en Seine St Denis

à écrit le 18/05/2024 à 7:30
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C'est bien Marx hein qui a dit que le capitalisme n'était qu'une organisation de la pénurie ? Un mauvais idéologue mais par contre un excellent économiste.

le 21/05/2024 à 15:02
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Le capitalisme consiste à créer des besoins dont vous n' avez pas ... besoin !

le 21/05/2024 à 17:00
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Aussi mais plus connu, tandis que l'organisation de la pénurie c'était quand même une sacrée bonne analyse que tous les jours les marchés financiers prouvent.

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