Les secrets du nouveau pneu de Michelin pour le futur rover lunaire de la NASA

REPORTAGE. Le champion français des pneumatiques développe un pneu d’un nouveau genre pour le compte de l’agence spatiale américaine. L’industriel espère équiper son futur rover, véhicule qui permettra aux astronautes du programme habité Artemis d'explorer la Lune à partir de 2028.
Pierre Manière
Michelin a fait le choix d'un pneu sans air. Celui-ci est totalement dépourvu de caoutchouc, une matière inadaptée aux conditions lunaires.
Michelin a fait le choix d'un pneu sans air. Celui-ci est totalement dépourvu de caoutchouc, une matière inadaptée aux conditions lunaires. (Crédits : Pierre Manière)

Un drôle de buggy se fraye lentement un chemin, ce jeudi matin, au cœur du volcan de Lemptégy, en Auvergne, non loin de Clermont-Ferrand. Ses grandes roues bleues se font immédiatement remarquer dans ce paysage ocre, quasi-lunaire. Et c'est précisément la raison pour laquelle les équipes de recherche et développement de Michelin, qui ont conçu l'étrange véhicule, ont investi les lieux.

Le champion français des pneumatiques fait partie d'un consortium, Intuitive Machines, sélectionné par la NASA dans le cadre de son programme Artemis. Avec ses partenaires Boeing, Northrop Grumman et AVL, Michelin planche sur la fabrication d'un rover, un nouveau véhicule d'exploration lunaire. L'agence spatiale américaine entend, d'ici à 2026-2028, renvoyer des hommes sur la Lune en y établissant une base habitée pour une dizaine d'années. Michelin a, pour sa part, la charge de développer les pneus - ou plutôt les « roues lunaires » - du rover qui permettra aux astronautes de parcourir le satellite naturel de la Terre.

Le volcan de Lemptégy constitue un terrain de jeu idéal pour les équipes de Michelin. « Il y a ici des montées et des descentes qui ressemblent à celles qu'on trouve sur la Lune », explique Julien Souquieres, le responsable des tests du prototype de roue lunaire. Le buggy rudimentaire qu'il a imaginé - lequel n'a rien à voir avec la forme et l'esthétique finale du rover - lui permet d'étudier le comportement des pneus, de comprendre ce qu'il faut améliorer. La terre volcanique a l'avantage de se rapprocher du régolithe, une matière extrêmement légère, poussiéreuse et meuble qui recouvre le sol lunaire. « C'est quelque chose qui ressemble à de la farine, à du talc », détaille Julien Souquieres. Les flancs du volcan sont également riches en pouzzelane, une roche rouge particulièrement abrasive, permettant d'éprouver la résistance des pneus. Michelin souhaite qu'ils soient capables d'avaler 10.000 km avant de rendre l'âme. A titre de comparaison, les rovers des missions Apollo, dans les années 1970, n'ont parcouru qu'un total de 37 km.

Un pneu sans air

Concevoir cette roue lunaire représente un immense défi. Son élaboration ne ressemble en rien à celle d'un pneumatique classique. Le choix des matériaux constitue un premier casse-tête. Impossible, par exemple, d'utiliser du caoutchouc. Au pôle Sud de la Lune, où la NASA compte implanter sa base, « les températures vont de moins 243 °C jusqu'à plus de 100 °C », précise Sylvain Barthet, le responsable du programme Vision, en charge du développement du pneu du futur de Michelin. « Lorsqu'on atteint des températures aussi basses, le caoutchouc devient aussi cassant que du verre », explique-t-il. Voilà pourquoi Michelin a choisi de développer un pneu sans air, « avec une structure en plastique à haute performance pour supporter la charge », poursuit le responsable. Cette roue lunaire devra également résister « aux radiations solaires et galactiques », indique Sylvain Barthet. « Il nous faut employer des matériaux qui ne subissent pas le vieillissement accéléré lié à ce type de conditions », indique le responsable.

Au centre de recherche et développement de Michelin de Ladoux, à côté de Clermont-Ferrand, l'équipe en charge de ce projet inédit multiplie les tests et expérimentations. Ils font, par exemple, rouler leur buggy sur une piste de sable pour s'assurer que les prototypes de pneus ne s'enfoncent pas. Les équipes de Julien Souquieres ont notamment fabriqué une nouvelle machine qui applique des flexions à différents matériaux, tout en les plongeant dans un bain d'azote liquide à -196 °C, pour étudier leur résistance. Dans une autre pièce, une machine met à l'épreuve l'endurance du pneu en le faisant rouler pendant des heures, parfois jusqu'à sa destruction, à différentes vitesses et facteurs de charge. L'objectif est ici de se rapprocher au plus près des conditions que la roue lunaire aura à affronter sur la Lune, où la gravité est six fois moindre que sur Terre.

Un accélérateur d'innovation

Aux yeux de Michelin, sa participation au programme Artemis constitue autant une opportunité de braquer les projecteurs sur son savoir-faire qu'un accélérateur d'innovation. L'intérêt de travailler avec un cahier des charges aussi difficile oblige « à changer d'angle d'attaque pour résoudre les problèmes », affirme Sylvain Barthet, qui rappelle que cela fait longtemps que Michelin développe la technologie du pneu sans air. C'est aussi, d'après lui, la raison pour laquelle l'industriel participe à différentes compétitions sportives, comme les 24 Heures du Mans ou le MotoGP.

« Cela nous force à travailler aux limites de ce que nous savons faire, renchérit-il. Ce n'est pas évident tous les jours parce que, soyons clair, nous n'avons pas toujours de bons résultats. Mais c'est comme cela qu'on apprend de nouvelles choses. »

Les chercheurs et ingénieurs de Michelin ont encore du pain sur la planche pour achever leur roue lunaire. Tous espèrent que leur consortium, en compétition avec deux autres équipes internationales, décrochera la timbale en avril 2025, quand la NASA arrêtera définitivement son choix. Voir un tandem d'astronautes rouler avec des Michelin sur la Lune, ça n'est pas une opportunité qui se présente tous les jours.

Pierre Manière

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