Plus petit, plus diversifié, moins rouge : le vignoble bordelais en 2050

LES VIGNOBLES EN 2050 (2/7) À quoi ressemblera le vignoble bordelais en 2050 ? Traversés par des crises profondes, les vins de Bordeaux se trouvent à un moment charnière face au dérèglement climatique et à l'évolution des goûts des consommateurs. De quoi esquisser un vignoble réduit d'un tiers produisant des vins plus simples et diversifiés mais sans nécessairement renoncer à l'identité qui a fait sa renommée.
Dans les années qui viennent, le vignoble bordelais pourrait être réduit d'un tiers, produire des vins plus simples et diversifiés mais sans renoncer à l'identité qui a fait sa renommée.
Dans les années qui viennent, le vignoble bordelais pourrait être réduit d'un tiers, produire des vins plus simples et diversifiés mais sans renoncer à l'identité qui a fait sa renommée. (Crédits : Thibaud Moritz / Agence APPA)

L'allée de petits cailloux blancs qui mène au château de La Tour Carnet, à Saint-Laurent-Médoc, invite à mesurer tout le poids de l'histoire du vignoble bordelais. Pourtant, c'est bien dans ce 4e grand cru classé dont les racines remontent au 11e siècle que Bernard Magrez, le propriétaire depuis 1999, s'attèle à préparer l'avenir des vins de Bordeaux. Sur une parcelle de 2,5 hectares, l'homme d'affaires y a fait planter une cinquantaine de cépages bordelais mais aussi issus du pourtour méditerranéen et du reste du monde. L'enjeu ? Scruter ce que pourront être les vins de Bordeaux à l'horizon 2050.

Pas de cépage magique

« Le vin il ne faut pas le gérer en regardant dans le rétroviseur ! », résume avec malice Bernard Magrez du haut de ses 88 ans et de ses 40 châteaux dans le monde entier. La date de 2050 correspond au moment de bascule du vignoble bordelais dans de nouvelles températures. La pluviométrie devrait rester sensiblement la même, ce qui constituera un atout non négligeable par rapport aux vignobles américains, australiens, espagnols ou même du sud de la France, mais la hausse des températures augmentera l'évapotranspiration des sols. De quoi changer potentiellement la donne pour les cépages canoniques du bordelais tels que le merlot, le cabernet sauvignon, le cabernet franc ou encore le sémillon et le sauvignon blanc.

« On commence à avoir du recul avec cette parcelle vinifiée depuis 2018. On étudie plusieurs aspects viticoles, œnologiques, chimiques et de dégustation. On évalue la phénologie (les variations des phénomènes périodiques de la vie végétale en fonction du climat, NDLR), les maladies, les rendements, les acides, etc. », détaille Lucile Dijkstra, la directrice d'exploitation de La Tour Carnet. C'est elle qui est à la manœuvre dans les chais pour piloter cette expérimentation au long cours. « L'enjeu n'est pas de dire si c'est bon ou pas mais d'évaluer la typicité du vin, c'est-à-dire de savoir s'il est perçu par le dégustateur comme étant un vin typique de Bordeaux », poursuit la viticultrice. « Si c'est le cas, il sera alors temps de se questionner sur l'introduction de ces nouveaux cépages dans les cahiers des charges locaux, mais nous n'en sommes pas encore là ! » Et s'il n'y a évidemment pas de cépage magique cochant toutes les cases, le Vinhao (Portugal), le Manseng noir (Sud Ouest) ou l'Arinarnoa (France) sont, à ce stade, les plus prometteurs parmi les 25 variétés étudiées.

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Bordeaux est-il trop rouge ?

Faut-il pour autant s'accrocher coûte que coûte à la typicité bordelaise, à ses vins de garde, taniques en bouche et complexes à appréhender alors même que les goûts des consommateurs changent et que le vin rouge est le plus touché par la désaffection ? « Les 18-35 ans boivent treize bouteilles par an quand les plus de 65 ans en consomment 61 bouteilles par an ! », rappelle Bernard Farges, le président du Comité national des interprofessions des vins. « Est-ce qu'il y aura encore du Sauternes en 2050 ? C'est une vraie question parce que le Sauternes tout le monde aime mais personne n'en achète ! », pointe également Bernard Magrez.

Mais c'est bien le vin rouge qui est le plus boudé par les consommateurs. La moitié seulement des plus de 65 ans en achètent encore et cette proportion diminue dans toutes les tranches d'âge pour tomber à 33 % chez les moins de 35 ans friands de rosés (29 %) et surtout de blancs (37 %). Un vrai problème pour le vignoble girondin qui produit encore 85 % de rouges...

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« Les consommateurs cherchent des vins moins alcoolisés, avec plus de sucrosité, des vins plus fleuris, plus souples, plus digestes. La couleur et le fruit sont les deux critères de choix », résume Dimitri Basevi, œnologue-consultant au cabinet Enosens. « Cela se traduit par exemple par l'essor des rouge frais. Mais le vignoble bordelais a pris du retard puisqu'il se pose ces questions depuis trois à cinq ans quand les vins du Languedoc travaillent dessus depuis vingt ans ! » L'enjeu est donc de coller au plus près des goûts des jeunes générations mais aussi des femmes qui sont, proportionnellement, plus nombreuses à boire du vin qu'autrefois. « Il n'y a pas d'obstacle majeur à faire des vins frais avec des cépages bordelais. Mais il faut que Bordeaux se refasse une image en allant vers des vins qu'on veut boire. Il faut pousser davantage le Clairet qui correspond parfaitement au marché puisque c'est un vin rouge léger, peu coloré, très fruité, souple et peu structuré ! », complète Stéphane Renversade, œnologue-consultant au cabinet Enosens.

Et, plus largement, les professionnels bordelais sont tous bien conscients qu'il faudra ouvrir et diversifier leur offre d'ici 2050 et même bien plus tôt. « La gamme des vins de Bordeaux devra être plus éclatée avec du rouge, du clairet, du blanc, du rosé, du crémant, des jus, des vins désalcoolisés. Le vignoble bordelais sera mécaniquement moins rouge qu'il ne l'est aujourd'hui ! », anticipe Quentin Seidel, autre œnologue-consultant chez Enosens. Les vins taniques et complexes qui ont forgé l'histoire et l'identité des Bordeaux sont-ils amenés à disparaître ? « Non, j'imagine plutôt des catégories pour chaque consommateur : des grands vins à garder pour les amateurs mais aussi des vins plus simples, plus fruités et plus doux à consommer tout de suite », dessine Lucile Dijkstra.

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À la tête du collectif Vignobles Gabriel & Co, qui regroupe une trentaine de vignerons dans le Blayais, Jean-François Réault pousse dans le même sens :

« Si Bordeaux veut survivre il faudra modifier en profondeur la structure de nos vins. Les vins taniques et de garde continueront à vivre comme une niche puisqu'il faut aussi répondre à la demande de vins plus simples, fruités, et légers avec des techniques de vinifications courtes. Bordeaux doit assumer cette double casquette : le rouge n'est pas mort mais il faut une palette plus variée et accessible pour le consommateur-zappeur. »

30.000 hectares en moins

Bordeaux sera donc moins rouge laissant de la place aux blancs, au crémant voire au rosé mais l'autre tendance lourde c'est l'anticipation de la baisse des surfaces cultivées dans les années qui viennent. Entre la hausse de la concurrence internationale et la baisse tendancielle de la consommation de vin, au plus bas depuis 1996, Bordeaux n'aura d'autre choix que de s'adapter. Avec encore 108.000 hectares de vignes fin 2023, c'est le vignoble le plus étendu de France mais il a déjà enclenché la dynamique de réduction.

L'arrachage sanitaire de près de 10.000 hectares de vignes a été subventionné par l'État le CIVB cette année mais le total de parcelles détruites pourrait en réalité avoisiner les 20.000 hectares. Le collectif Viti33 et la Confédération paysanne expliquent depuis des mois qu'il faudra encore aller au-delà et cette estimation semble de plus en plus consensuelle. « Le vignoble sera plus petit puisqu'il va falloir arracher 30.000 hectares en deux ans si on veut rééquilibrer l'offre à la demande », juge ainsi Quentin Seidel d'Enosens. Cela amputerait le vignoble bordelais d'un tiers de ses surfaces !

« Cela me semble en effet inévitable d'aller vers des surfaces beaucoup plus faibles qu'aujourd'hui », abonde Jean-François Réault alors que Vignobles Gabriel & Co écoule six millions de bouteilles par an. « Il y a 30 ans on produisait un tiers de moins qu'aujourd'hui et c'était pérenne parce qu'on avait une forte consommation qui était dans les habitudes alimentaires. Aujourd'hui, il n'y a aucune raison de conserver un vignoble aussi vaste, il faudra enlever 30.000 hectares si possible dans les zones les moins qualifiées pour faire du bon vin mais ça ce n'est pas gagné... »

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Préserver l'identité

Sur le plan économique, les exploitations viticoles bordelaises seront donc probablement moins nombreuses mais aussi plus petites et mêlant d'autres débouchés économiques agricoles (oliviers, chênes truffiers, kiwis, etc.), touristiques et oenotouristiques voire même énergétiques. « Il est indispensable de conserver des exploitations de petite taille et de préserver l'identité des vignerons qui est importante pour le consommateur », prévient aussi Jean-François Réault. Il faudra cependant qu'elles soient suffisamment solides pour assumer le coût de la transition agro-écologique et de la robotisation et dronisation du vignoble.

« On se dirige vers un vignoble moins empirique grâce à davantage de données objectives à exploiter. Mais cela ne doit pas enlever le côté passionnel, manuel et l'attachement au sol et au terroir », considère Lucile Dijkstra dans les vignes de La Tour Carnet. « Parce que ce qui est beau à Bordeaux c'est l'histoire et la tradition, c'est le fait d'avoir encore besoin des humains pour faire du bon vin. »

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Retrouvez les autres épisodes de la série :

En Languedoc-Roussillon, un vignoble économe en eau à l'horizon 2050

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Commentaires 4
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à écrit le 06/08/2024 à 8:03
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Oui mais quel est l'état du terroir et donc de la terre après des décennies d'arrosages massifs de produits chimiques en tout genre ? Il me semble compliqué dans ces conditions de retrouver la saveur d'une terre qui a été copieusement empoisonnée.

à écrit le 06/08/2024 à 7:21
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Plus authentiques, plus raffinés et plus " complexes " serait un ... plus ! N' importe qui peut aujourd' hui dans le Monde faire un bordeaux ... " standardisé " aux goûts américains ... défendons nos " terroirs " et nos " climats " n' acceptons p...

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